La naissance de la CPI, un miracle diplomatique
Publié le 17/01/2022
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11 avril 2002
L'ÉVÉNEMENT que l'on a célébré jeudi 11 avril à New York comme historique - la création d'une Cour pénale internationale (CPI) permanente, dont les Nations unies auront mis plus d'un demi-siècle à accoucher - n'aurait pu survenir à plus mauvais moment. La nouvelle institution n'est pas encore sur pied que déjà on pressent la bourrasque qu'elle pourrait essuyer en guise de baptême : un débat passionné à propos du Proche-Orient, c'est-à-dire sur l'un des sujets qui font le mieux apparaître les divers handicaps dont le bébé est affligé à la naissance. Imaginons que, dès l'entrée en vigueur effective de la Cour, des plaintes déferlent, mettant en cause les dirigeants israéliens pour crimes de guerre. D'abord, les Israéliens et sans doute les Américains ne manqueraient pas d'y voir la justification de leurs préventions contre la CPI et de relancer leur antienne : « Nous l'avions bien dit, cette Cour est un instrument politique dirigé contre nous ! » Ils ne manqueraient pas de faire valoir aussi que des Israéliens se font massacrer dans des attentats dont les auteurs ne risquent pas d'être poursuivis par la Cour, puisqu'elle n'a pas compétence pour les actes de terrorisme.
D'un autre côté, les plaignants auraient bien du mal à obtenir de la Cour autre chose qu'un avis d'irrecevabilité : la CPI ne peut en principe se saisir d'une affaire que si le pays des responsables présumés des crimes ou le pays dans lequel ils ont été commis a adhéré au traité créant la Cour ; ce n'est le cas ni d'Israël, qui a signé mais pas ratifié, ni de l'Autorité palestinienne, qui n'est pas formellement un Etat, ni d'aucun Etat de la région, à l'exception de la Jordanie. On peut imaginer que s'enflamment des polémiques sur le statut de la Palestine. Ou bien encore que certains se tournent vers le Conseil de sécurité, seul en mesure d'imposer autoritairement la compétence de la Cour à des Etats qui n'adhèrent pas au traité : et là encore l'indignation si le Conseil refuse de la saisir ; là encore, le reproche adressé à la Cour d'être le jouet de la politique, mais de celle des Américains cette fois... La CPI, à ce stade, n'est encore que le frêle embryon de ce qui pourrait un jour devenir, pour peu qu'on ne la condamne pas d'emblée, une juridiction véritablement universelle et puissante. Elle doit sa naissance à un mécanisme conventionnel : un traité qui ne s'applique en principe qu'à ceux qui y ont volontairement adhéré. On peut s'étonner qu'ait été choisie cette méthode du volontariat s'agissant de la création d'une instance répressive.
une raison de faire confiance à l'avenir
Mais il n'y en avait pas d'autre possible, particulièrement pour ce projet qui n'avait les faveurs ni des Etats-Unis, ni de la France, ni de la Russie, ni de la Chine au Conseil de sécurité. La naissance de la CPI tient, de ce point de vue, du miracle diplomatique. Plutôt que de se borner à déplorer les faiblesses de la nouvelle institution, on peut y puiser une raison de faire un peu confiance à l'avenir. Revenons moins de dix années en arrière. La question posée aux Etats de la planète était en substance la suivante : souscrivez-vous à l'idée que certains actes constituent des crimes internationaux et acceptez-vous le principe selon lequel vos ressortissants - vos militaires, vos fonctionnaires, votre gouvernement, votre chef d'Etat même - pourraient en être tenus pour responsables par une juridiction internationale ? Entre les dirigeants agrippés au principe de la souveraineté nationale parce qu'elle protège leurs turpitudes, ou parce qu'ils ne possèdent rien d'autre, et les Etats démocratiques mais « souverainistes » par crainte de voir bridées leurs prérogatives internationales ou mises en cause leurs interventions militaires extérieures (les Etats-Unis et la France), le compte n'y était pas. Que s'est-il donc passé pour que 139 pays en viennent à signer ce traité et que plus de 60 d'entre eux l'aient déjà ratifié ?
La vieille problématique d'un tribunal international a ressurgi dans les années 1990, quand les Occidentaux, incapables de prévenir les massacres de civils dans les Balkans puis au Rwanda, créent coup sur coup deux tribunaux internationaux ad hoc. « Ces tribunaux internationaux, c'est la pire connerie qu'on ait jamais faite », dira, quelques années plus tard, un ministre français, témoignant de la haute ambition qui animait alors la France en matière de justice internationale. Les militants des droits de l'homme vont s'engouffrer dans la brèche, prendre les grandes puissances au mot de la lutte contre l'impunité, et réclamer qu'on transforme l'essai : l'heure du combat pour un tribunal universel et permanent a sonné pour eux. Près de mille ONG du monde entier s'organisent en une coalition qui va mener un intense lobbying à New York. Les associations seront admises en tant qu'observateurs à toutes les réunions de l'ONU sur la Cour, et leur présence exclut de fait les habituelles hypocrisies de la diplomatie secrète. Elles vont prendre pied dans cette négociation comme dans aucune autre avant ; la Cour est d'abord leur victoire.
Les associations ont pour relais sûr un groupe d'Etats dits pilotes : des Etats vertueux, européens ou autres. Elles savent sentir aussi que le sujet ne met pas aux prises les Etats démocratiques et ceux qui ne le sont pas, mais que les positionnements sont beaucoup plus complexes et les ralliements moins attendus. Des Africains désespérant, après le traumatisme du Rwanda, de la capacité d'intervention politique et militaire des puissants se tournent en dernier recours vers la justice. Des pays qui se sentent menacés par quelque intrusion extérieure voient dans la Cour un moyen de se protéger plus qu'un risque de s'exposer. D'autres voudraient en faire un moyen d'endiguer la suprématie du Conseil de sécurité. L'un des sujets centraux de la négociation est effectivement le degré d'indépendance de la Cour par rapport à ce Conseil, sa marge d'empiètement sur les prérogatives qui sont celles des cinq membres permanents dans la gestion des conflits.
Le 17 juillet 1998 à Rome, une interminable ovation debout salue finalement l'adoption par 120 pays d'un traité dont les Etats-Unis ne veulent pas. Il est le fruit de longues et très difficiles tractations, imparfait comme tous les compromis. Il n'a cependant pas retenu les amendements que réclamaient les Etats-Unis, à seule fin de mettre leurs dirigeants et leurs militaires à l'abri de toute poursuite. En vertu d'une semblable préoccupation, la France a obtenu l'inscription dans le statut d'une clause permettant aux Etats adhérents de récuser la compétence de la Cour pour l'une des trois catégories de crimes visés : les crimes de guerre. Elle est la seule à avoir invoqué cette clause au moment de la ratification ; une distinction à la fois peu brillante et inutile, étant donné les nombreuses garanties qu'offre le statut contre des poursuites abusives et la primauté qu'il reconnaît aux justices nationales. Les ONG, depuis, poursuivent leur combat planétaire pour que se multiplient les ratifications. Cela prendra du temps, mais le mouvement est engagé, même si aujourd'hui la fête est un peu triste.
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