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La mort de Félix Houphouët-Boigny

Publié le 22/02/2012

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7 décembre 1993 - Le président Félix Houphouët-Boigny est mort le 7 décembre. Un peu comme s'il ne pouvait en être autrement. Le " Vieux ", comme l'appelaient avec affection ses compatriotes, estimait sa vie indissociable de l'histoire de la Côte-d'Ivoire indépendante. Le hasard - ou des exigences de politique intérieure - aura voulu qu'il cessât de vivre - ou que sa mort fût annoncée - le jour même de la fête nationale ivoirienne. Il était malade depuis de longs mois et n'a finalement cédé devant le cancer qui le rongeait qu'une fois rentré dans son village natal de Yamoussoukro, " promu " capitale de la Côte-d'Ivoire le 21 mars 1983. Il revenait au premier ministre Alassane Ouattara - qui ne rendait de comptes qu'au chef de l'Etat - d'annoncer le décès du président. C'est ce qu'il a fait, avec émotion, dans un communiqué diffusé par la télévision et la radio nationales, mardi à la mi-journée. Il s'était, la veille au soir, substitué au président Houphouët qui traditionnellement s'adressait à la nation tous les 6 décembre . La disparition du doyen des chefs d'Etat africains laisse la Côte-d'Ivoire " orpheline ", a fait remarquer M. Ouattara. Elle ouvre aussi une période d'incertitude pour l'un des rares pays africains à n'avoir jamais connu de tentative de coup d'Etat. Les modalités de la succession sont théoriquement garanties par l'article 11 de la Constitution, qui stipule que le président de l'Assemblée nationale doit assumer les fonctions de chef de l'Etat jusqu'au terme du mandat en cours, c'est-à-dire jusqu'en septembre 1995. Mardi soir, Henri Konan Bédié, le président de l'Assemblée nationale, s'est lui-même investi dans ses nouvelles fonctions, sans autre forme de cérémonie. " La Constitution me confère dans cette dramatique situation les responsabilités dont je mesure le poids, les responsabilités de chef de l'Etat. Je les assume dès maintenant. Le pays sera gouverné pour tous les Ivoiriens et étrangers vivant sur notre sol ", a déclaré M. Bédié, un avocat de cinquante-neuf ans. Cette solution constitutionnelle ne fait pas l'unanimité dans la classe politique ivoirienne qui a beau jeu de remarquer que la prise de fonctions de M. Bédié n'a pas été avalisée par le président de la Cour suprême. Et pour cause ! Le président de ladite Cour a été démis de ses fonctions, il y a quelque temps, pour malversations, et deux des sept autres membres sont décédés. Les trois remplaçants ne peuvent êtres nommés que par décret... présidentiel. La Cour ne peut plus siéger. Elle ne pourra donc pas constater officiellement " la vacance du pouvoir " comme l'exige la Constitution, et comme le demande Alassane Ouattara dont l'hostilité à l'égard d'Henri Konan Bédié est ancienne. Le principal parti d'opposition, le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo rejette les dispositions de la Constitution qui introduisent de fait " une succession de type héréditaire et monarchiste, en contradiction flagrante avec les principes démocratiques ". Le FPI fonde ses arguments sur l'article 9 de la Constitution selon lequel " le président de la République est élu au suffrage universel direct " et réclame qu'un gouvernement de transition - auquel participerait M. Gbagbo - soit mis en place et chargé d'organiser des élections législatives et présidentielle dans les douze mois. Au début de cette année, avant même que le problème de la succession ne se pose, un courant contestataire au sein du Parti démocratique de Côte-d'Ivoire (PDCI), l'ancien parti unique de Félix Houphouët-Boigny, demandait le retour à l'ancienne formulation de l'article 11 de la Constitution. Selon celle-ci (avant la réforme du 6 novembre 1990), en cas de vacance du pouvoir, le président du Parlement devait assurer l' " intérim " de la présidence avec obligation d'organiser de nouvelles élections dans un délai de quarante-cinq à soixante jours. Cette stratégie s'expliquait déjà, à l'époque, par la " guerre non déclarée " que se livraient MM. Bédié et Ouattara, les deux " barons " du PDCI. Mais le président veillait au grain et avait mis fin à la querelle en s'opposant personnellement à toute nouvelle réforme du processus de succession. Le " Vieux Sage " reconnaissait pourtant, selon un membre du gouvernement, que la Constitution adoptée au temps du " monopartisme " n'était plus " applicable ". Le président aurait même confié au ministre son intention de proposer lui-même les amendements rendus nécessaires par l'avènement du multipartisme, le 3 mai 1990, au cours du prochain congrès du PDCI. Mais le président Houphouët, qui avait souvent promis de régler une fois pour toutes le problème de sa succession, prenait un plaisir certain à dresser ses fidèles les uns contre les autres, neutralisant ainsi les ambitions de ses " barons ". Il se plaisait à répéter : " Je suis entré en politique la tête haute, je partirai la tête haute ". Celui qui avait été six fois ministre - dont quatre fois ministre d'Etat - de la République française, sous-entendait qu'il comptait bien diriger la Côte-d'Ivoire jusqu'au terme de sa vie, fidèle à la tradition des Baoulés qui veut qu' " un chef n'abdique pas ! " FREDERIC FRITSCHER Le Monde du 9 décembre 1993

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