La folie meurtrière du prince Dipendra
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
parle dans l'anonymat.
Le prince aurait-il, comme l'affirment certains, confié à ses parents que, quoi qu'il arrive, il épouserait - oul'aurait déjà fait dans le secret - Devyani ? Et s'entendant répondre que, dans ces conditions, la couronne reviendrait à son frère,Nirajan, serait-il devenu enragé ? Jeune homme ouvert et affable, dévoué à son pays, Dipendra pouvait, selon certains de sesproches, devenir très violent sous l'influence de l'alcool, qu'il prenait en grande quantité, et de la drogue, qu'il consommait aussi.Son histoire d'amour contrarié, source de grande tension dans la famille, couvait depuis longtemps, et les relations de Dipendra etde sa mère, femme d'autorité et extrêmement ambitieuse, étaient depuis plusieurs mois exécrables.
La reine, selon des proches,manifestait une affection plus prononcée pour son deuxième fils, Nirajan.
CETTE version d'un drame passionnel qui accuse Dipendra, les Népalais, qui révèrent la famille royale quasiment comme uneentité divine - le roi étant pour beaucoup la réincarnation du dieu de la mythologie hindou Vishnou -, ne voulaient pas jusqu'àmaintenant l'accepter.
Ils préféraient accuser Paras Shah, le fils honni du roi, qui, en état d'ivresse, a déjà tué plusieurs personnesau volant de sa voiture.
C'est lui, accusaient-ils, qui aurait préparé un cocktail de drogue à son cousin, qui serait alors devenu fou.En ce sens, il n'est pas sûr que les hommages appuyés, mais sans explication, à la conduite de Paras le soir du drame, donnés parplusieurs témoins, satisfassent l'opinion.
« Ce qui s'est passé est très difficile à comprendre, car personne ne pouvait s'attendre àcela, ni même nous », affirme M.
Mangal Raj Joshi, quatre-vingt-un ans, un des trois astrologues de la cour.
« Le janam patri(horoscope) du roi Birendra a, comme le veut la tradition, été jeté dans la rivière sacrée avec ses cendres », explique-t-il,affirmant prudemment qu'il ne se rappelle plus ce qu'il avait dit au roi le 28 décembre dernier, à l'occasion de son cinquante-cinquième anniversaire.
« Un choc et une surprise de cette magnitude ne sont jamais arrivés ici et il faudra du temps pour que lesesprits se calment », explique un homme d'affaires.
Les accusations de la vox populi, le roi les a, d'une certaine façon, entendues, puisqu'il n'a pas officiellement déclaré Paras, sonfils unique - seul descendant mâle de la famille -, prince héritier.
« C'est le minimum que le roi pouvait faire, souligne l'hommed'affaires cité plus haut.
Donner le temps à son fils de se racheter, le contrôler, et peut-être, dans quelques années, sera-t-il plusacceptable.
» Mais selon certains présages, avec lesquels on ne joue pas dans cette partie du monde, les rois de la dynastie Shahne dépassent pas les cinquante ou cinquante-cinq ans.
Or Gyanendra est âgé de cinquante-quatre ans, ce qui, dans l'espritpopulaire, accélère sérieusement le risque de voir Paras accéder au trône.
Le traumatisme des Népalais est aussi d'autant plus grand que la monarchie était quasiment la seule institution stable et solidedans un environnement qui ne cesse de se dégrader, avec un gouvernement impopulaire et corrompu, des partis politiques et desinstitutions discrédités et une situation économique qui tient près de la moitié de la population en un état de pauvreté absolue.Symbole et ciment de l'unité de la nation, dans un pays aux multiples ethnies et langues, la monarchie sous le roi Birendra avait suprendre le tournant de la démocratie et, dans l'anarchie régnant, son image était la plus brillante.
Aujourd'hui, l'image est brisée et,impopulaire, le roi Gyanendra va avoir du mal à rétablir ce lien de confiance avec son peuple.
Dans les campagnes reculées, les maoïstes, qui ont, depuis 1996, pris les armes pour obtenir la fin de la monarchie etl'instauration d'une république, vont sans doute accélérer leur pression.
Déjà, un de leurs chefs a appelé l'armée,traditionnellement fidèle au trône, à se joindre au peuple pour en finir avec le roi Gyanendra.
« Aujourd'hui, les Népalais neveulent qu'une chose, que le désordre cesse tout autant que la corruption effrénée qui ruine le pays », affirme un analyste, quipoursuit : « Si le roi décrète l'état d'urgence, convoque des élections, en maintenant toutefois le multipartisme, et obtient uneréforme de la Constitution qui lui donne plus de pouvoirs, le peuple suivra.
» Dans le cas contraire, si le roi n'arrive pas às'imposer et que le gouvernement soit toujours aussi inutile, les maoïstes pourraient peut-être avoir leurs chances.
Un changement de cette ampleur ne pourrait toutefois laisser indifférents les grands voisins du Népal, la Chine et, en particulier,l'Inde, qui craint les débordements sur ses régions instables du Nord-Est, minées par des guérillas diverses.
Certains intellectuelsNépalais mettent déjà l'Inde en cause dans cette récente tragédie, affirmant que New Delhi voulait que cesse l'anarchie dontprofitent les maoïstes.
La proximité prêtée au nouveau roi, grand homme d'affaires, avec la communauté marwari d'origineindienne qui domine la vie économique du Népal n'est pas faite pour dissiper ce sentiment.
« La demande au nouveau souverainde choisir entre ses affaires et sa couronne est d'abord un appel pour qu'il se détache de son influence indienne », commente unautre analyste.
Huit jours après une tragédie sans précédent dans ce pays où les intrigues de cour ont toujours été légion, c'est unmélange de peine, de colère et de peur de l'avenir qui domine chez les Népalais.
Un sentiment d'incompréhension aussi, devantl'ampleur d'un drame qui pourrait changer à jamais le destin de ce petit royaume himalayen, qui a, jusqu'à maintenant, supréserver son originalité et son indépendance face aux deux géants que sont l'Inde et la Chine.
FRANCOISE CHIPAUXLe Monde du 9 juin 2001.
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