La culture générale Jacqueline de ROMILLY
Publié le 24/03/2020
Extrait du document
La culture générale
Jacqueline de ROMILLY
née en 1913
Nous autres professeurs (1969)
Avant d’être un luxe, la culture est une formation. Culture et éducation sont synonymes. On cultive des plantes, des arbres. Cela veut dire qu’on leur fournit ce qui est nécessaire à leur épanouissement: on les nourrit, on détruit les mauvaises herbes qui les gêneraient ou les étoufferaient, on les débarrasse des parasites, on les taille, pour accroître leur force : bref, on agit de mille manières pour aider leur vitalité naturelle et décupler tout à la fois leur beauté et leur fécondité. On fait de même pour les esprits. On leur fournit leur nourriture — c’est-à-dire que l’on développe, à travers toute discipline, quelle quelle soit, leur aptitude au raisonnement, leur connaissance des problèmes, leur expérience des solutions déjà tentées. On leur fait comprendre également, dans les disciplines littéraires, les sentiments, les émotions, qui se sont fait jour avant eux chez des hommes de toute espèce. On les rend aussi capables, par le contact des exemples et l’exercice de la critique, de s’exprimer avec plus de force, de rigueur et d’éclat. Enfin, s’il est vrai que l’apprentissage de l’histoire et la fréquentation de modes de pensée divers rend leurs propres doctrines plus riches et plus conscientes, il faut préciser encore que cette double épreuve doit les rendre plus tolérants envers les idées d’autrui et plus libres eux-mêmes, vis-à-vis des pressions immédiates. Les cultiver, ce n’est donc pas autre chose que développer leurs qualités d’hommes, qualités qu’ils emploieront ensuite comme ils voudront, à ce qu’ils voudront.
Simplement, Platon l’a dit, il ne faut pas être trop pressé. Le grec n’a guère d’utilité pratique. Il ne sert, en pratique, que si on l’enseigne, ce qui représente un cercle clos, en soi injustifiable. Mais, si l’analyse des phrases grecques, avec leur cortège de moyens mis au service de la rigueur, développe les facultés de raisonnement et la précision du langage, si le contact des philosophes aide à penser les grands problèmes sous leur forme première, si la lecture des tragiques vous fait connaître des émotions qui ne doivent rien aux menues conventions du moment mais qui, venant de très loin, s’imposent pour cela sous leur forme la plus pure, au niveau même de l’homme et de ses mythes lointains, il est certain que l’on aura
«
r CULTURE ET MODERNITÉ
appris, à la suite de ses études grecques, à s'insérer de façon plus riche
dans
la vie que l'on aura choisie -quelle que soit cette vie -et que l'on
35 y apportera des qualités profondes, qui se révèleront efficaces.
Et puis, par-delà l'efficacité pratique, faudrait-il négliger le fait
d'être un homme et de vivre avec
le maximum de joie? Avoir à sa dis
position
le trésor des connaissances accumulées au cours des siècles,
cela compte.
Réagir aux maux quotidiens
avec le secours de tous ceux
40 qui ont, de quelque manière, embelli la vie humaine, cela compte.
Pouvoir lire, pouvoir penser, pouvoir mesurer son propre sort aux
dimensions
du grand dialogue humain où rayonnent les héros, les
artistes, les penseurs, cela aide.
Et pouvoir éclairer ses journées des
accents des poètes, cela aide.
Chaque minute vécue, chaque incident
45 subi, chaque malheur et chaque bonheur en reçoivent une portée plus
pure.
Et souvent, comme on dit, la vie étant ce qu'elle est, une telle
transposition «n'est pas
du luxe».
Refuser délibérément sa possibilité,
la refuser pour tous, quel que soit
le degré de participation qui leur est
accessible, c'est condamner
les hommes à des vies de bêtes.
[ ...
]
50 Personnellement, même si la culture était un luxe, je n'aurais rien
contre.
Cessera-t-on de fabriquer des automobiles, parce que certains ne
peuvent en avoir ? et
les bicyclettes ? beaucoup d'enfants n'en ont jamais
possédé.
Supprimera+on l'électricité parce qu'il reste des villages qui
n'en disposent pas, et parfois des pays entiers?
Ou plutôt, puisqu'il ne
55 s'agit pas de biens extérieurs -de produits de consommation! -renon
cera-t-on aux championnats de ski parce qu'il y a des pays plats?
On
essaiera plutôt d'ouvrir de plus en plus les voies d'accès à de tels luxes.
Or, de tous
les luxes, la culture est celui qui est le moins réservé à
l'argent,
le plus propre à nier et transcender 1 toute hiérarchie sociale.
1.
Dépasser.
« Nous autres professeurs», 1969, Écrits sur l'enseignement,
Éd.
de Fallais, 1991.
·~-Quelle utilisation l'auteur fait-il de la comparaison dans le premier paragraphe? 1 ' Quel en est l'intérêt?
' • t quelles critiques implicites Jacqueline de Romilly répond-elle quand elle défend,
dans le deuxième paragraphe, l'enseignement du grec?
: • ~ontrez que
le choix des mots concourt à l'efficacité de l'argumentation dans le troi-
1 s;ième paragraphe.
•
Dans un développement structuré, vous direz comment notre époque est capable de
rbndre
la culture accessible à tous.
1 ~ > Groupement de textes: voir 25 -28 -32 -38.
~-- -------~ ---- --~-- -~ ---
65.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- « De tous les luxes, la culture est celui qui est le moins réservé à l'argent, le plus propre à nier et transcender toute hiérarchie sociale. » Jacqueline de Romilly, philologue française, membre de l'Académie française.
- De tout les luxes, la culture est celui qui est le moins réservé à l'argent, le plus propre à nier et à transcender toute hiérarchie sociale. Jacqueline de Romilly
- « De tous les luxes, la culture est celui qui est le moins réservé à l’argent, le plus propre à nier et transcender toute hiérarchie sociale. » Jacqueline de Romilly (1913), philologue française, membre de l’Académie française
- E1 Culture Générale et expressions écrites La synthèse
- Devoir 1 Culture générale