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La culture de masse Edgar MORIN

Publié le 24/03/2020

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La culture de masse

Edgar MORIN

né en 1921 L’Esprit du temps (1962)

L’industrie culturelle ne produit pas que des clichés ou des monstres. L’industrie d’Etat et le capitalisme privé ne stérilisent pas toute création. Seul, à son point extrême de rigidité politique ou religieuse, le système d’Etat peut, pendant un temps, parfois assez long, annihiler presque totalement l’expression indépendante.

Entre le pôle d’onirisme débridé et le pôle de standardisation stéréotypée, se développe un large courant culturel moyen, où s’atrophient les poussées les plus inventives, mais où s’affinent les standards les plus grossiers. Il y a un dépérissement constant, aux Etats-Unis, en Angleterre, en France, des journaux et magazines de «bas étage» au profit de ceux d’étage moyen. Médiocrité, au sens le plus précis du mot, c’est-à-dire qualité de ce qui est moyen, et non tant au sens devenu péjoratif du terme. Les basses eaux s’élèvent et les hautes eaux s’abaissent. «N’avez-vous pas remarqué que nos journalistes deviennent toujours meilleurs et nos poètes toujours pires», fait dire à Arn-heim Robert Musil dans L’Homme sans qualités1. Effectivement, les standards se remplissent de talent, mais étouffent le génie. Un rewri-ter2 de Paris-Match écrit mieux qu’Henri Bordeaux, mais ne saurait être André Breton.

La qualité littéraire, et surtout la qualité technique s’élèvent dans la culture industrialisée (qualité rédactionnelle des articles, qualité des images cinématographiques ou télévisées, qualité des émissions radiophoniques), mais les canaux d’irrigation suivent implacablement les grands tracés du système. Partout la qualité Boussac3 remplace à la fois l’ancienne camelote et l’ancien cousu-main. Partout le nylon remplace les vieilles cotonnades et la soie naturelle. La finition industrielle explique cette élévation et cette décrue qualitative. L’élévation qualitative des standards ne répond plus aux critères aristocratiques d’opposition de la qualité à la quantité : elle naît de la quantité elle-même. Par exemple, la qualité des westerns vient aussi de leur quantité, c’est-à-dire d’une longue tradition de production en série. En même temps, le «génie» tend à être intégré dans la mesure où il est curiosité,

culture

« 1 1 r r CULTURE ET MODERNITÉ nouveauté, bizarrerie, scandale.

Cocteau et Picasso font partie de la galerie des vedettes, avec Distel 4, Margaret 5, Bardot.

Le «génie» donne 35 le label « haute culture», analogue au label « haute couture»; Picasso, Buffet, Cocteau sont les Dior, Balenciaga, Lanvin de la culture de masse.

Le courant moyen triomphe et nivelle, brasse et homogénéise, emportant Van Gogh et Jean Nohain 6 • Il favorise les esthétiques 40 moyennes, les poésies moyennes, les vulgarités moyennes, les intelli­ gences moyennes, les bêtises moyennes.

C'est que la culture de masse est moyenne dans son inspiration et sa visée, parce qu'elle est la culture du commun dénominateur entre les âges, les sexes, les classes, les peuples, parce qu'elle est liée à son milieu naturel de formation, la 4 5 société où se développe une humanité moyenne, aux niveaux de vie moyens, au type de vie moyen.

LEsprit du temps, Éd.

Bernard Grasset.

1.

Roman de l'écrivain autrichien Robert Musil (1880-1942).

- 2.

Personne chargée de réécrire des textes destinés à la publication.

- 3.

Industriel français qui associa qualité des tissus et prix abordables.

-4.

Chanteur de variétés.

-5.

La sœur de la reine de Grande-Bretagne Élisabeth Il.

- 6.

Ancien présentateur d'émissions télévisées.

(~ ~elevez les deux principaux réseaux lexicaux antithétiques et montrez qu'ils illus- 1 trent la problématique du texte.

Î • Jnalysez les procédés de l'ironie et leur valeur dans l'argumentation.

i • l~entifiez le procédé stylistique auquel Edgar Morin a recours dans le deuxième 1 P,aragraphe.

1 1.

)> Groupement de textes: voir 29 -34 -37.

61. »

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