La communauté internationale envisage un "plan Marshall" pour le Kosovo
Publié le 17/01/2022
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12 mai 1999
L'idée d'un "plan Marshall" pour les Balkans prend forme à mesure que se précise la réflexion sur l'après-guerre au Kosovo. Le chancelier allemand Gerhard Schröder a utilisé ce terme plusieurs fois au cours des dernières semaines. Le premier ministre britannique, Tony Blair, a fait de même, tout comme les dirigeants albanais et macédoniens... La référence historique a le mérite de faire comprendre aux opinions l'ampleur de la reconstruction dans les Balkans. Celle-ci va nécessiter des efforts humains et financiers beaucoup plus importants que ceux qui s'inscrivent dans le cadre des opérations humanitaires en cours (ces dernières se chiffrent en centaines de millions de dollars). La Banque mondiale et la Commission européenne viennent de mettre en place, le 12 mai à Londres, une task force chargée de coordonner les aides financières destinées à financer la reconstruction.
Les premiers contours de l'après-guerre seront dessinés lors d'une grande conférence internationale, le 27 mai à Bonn. Au menu des travaux : un "pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est", présenté par l'Allemagne il y a quelques jours et qui devrait servir de base à la restauration d'un ordre de paix durable pour l'ensemble de la région. Si la rencontre ne porte pas sur les "Balkans" mais sur l' "Europe du Sud-Est", c'est pour éviter toute confusion avec les conférences balkaniques de la fin du siècle dernier.
On évoquera le prix de la reconstruction. "Ce sera peut-être 10, 20, 30 milliards de dollars. C'est impossible à évaluer pour l'instant, car c'est une situation en perpétuelle évolution", avait avancé il y a quelques semaines le commissaire européen Yves-Thibault de Silguy. Les besoins "dépasseront probablement" les 5,1 milliards de dollars (4,68 milliards d'euros) d'aide à la reconstruction pour la Bosnie après le conflit de 1992-1995, une somme dont plus de la moitié a déjà été dépensée. Le nouveau président de la Commission européenne, Romano Prodi, a parlé d'une aide européenne de 5 milliards d'euros par an aux pays frappés par la guerre au Kosovo.
De très lourds programmes financiers vont donc devoir être mis en place pour assurer le redressement économique d'une région qui était déjà au bord de la faillite économique avant les frappes aériennes de l'OTAN. Le FMI et la Banque mondiale, qui ont commencé à se saisir du dossier, estiment que le recul de la richesse dans la région va être considérable en raison de la guerre : le PIB des cinq pays les plus touchés par le conflit (Albanie, Bosnie, Croatie, République fédérale de Yougoslavie, Macédoine) devrait reculer de 5 points.
Les dirigeants français estiment que le terme de "plan Marshall" n'est pas très bien choisi. L'utiliser, disent-ils, c'est donner une connotation américaine à un programme qui devrait être majoritairement inspiré, financé et conduit à son terme par les Européens. "Et pourquoi pas un plan Wesley Clark, tant qu'on y est ?", souligne-t-on dans l'entourage du ministre des affaires étrangères français Hubert Védrine. De même qu'en Bosnie, les Européens seront en première ligne pour gérer l'après- guerre : "Une fois de plus, il semble que les Américains payent pour les bombes et nous les Européens pour la reconstruction", soulignait il y a quelques jours dans le Spiegel Jonathan Eyal, spécialiste britannique en questions stratégiques. En Bosnie, depuis les accords de Dayton (novembre 1995), l'Europe fournit les deux tiers de l'aide à la reconstruction si l'on additionne les aides de la Commission européenne et celles accordées par les pays membres à titre bilatéral (on remarque que les Pays-Bas et l'Italie sont les principaux donateurs, alors que la France se trouve loin derrière).
Mais surtout, l'après-guerre au Kosovo sera beaucoup plus complexe à organiser que ne le fut l'Europe occidentale après 1945, même si les cinq pays les plus touchés par la guerre ne représentent qu'une population totale de 25 millions d'habitants. "Ce ne sera pas avant tout un problème d'argent", souligne un conseiller d'Hubert Védrine. Les pays de la région des Balkans, à la différence de l'Europe occidentale de 1945, ne pourront pas créer une dynamique régionale de leur propre chef.
La volonté de réconciliation n'existe pas dans les Balkans d'aujourd'hui
Il y avait, dans l'Europe de 1947, une cohésion et une volonté politique qui manquent complètement aux pays d'Europe du Sud-Est aujourd'hui. La volonté de réconciliation n'existe pas dans les Balkans d'aujourd'hui . "Il s'agit d'une région très hétérogène", souligne le texte du "pacte de stabilité" présenté par les Allemands. On note avec consternation, au Quai d'Orsay, que la Roumanie et la Bulgarie ne parviennent même pas à s'entendre depuis des mois sur le tracé d'un pont traversant le Danube...
Dans la foulée de la conférence de Bonn du 27 mai, une perspective d'intégration à l'Union européenne devrait être offerte à tous ces pays, y compris à la Serbie. Mais les dirigeants européens n'ont jamais défini de ligne stratégique claire à ce propos... Le jour où la Serbie entrera dans l'Union européenne, pourra-t-on fermer la porte à la Turquie ? Les dirigeants européens se contentent pour l'instant d'évoquer des accords d'association avec la Macédoine et l'Albanie. "Les cinq pays doivent pleinement intégrer l'Union en 2010", peut-on lire dans un document de travail présenté il y a quelques jours à Bruxelles par le très influent Centre for European Policy Studies.
L'exemple de la Bosnie-Herzégovine montre que les plaies du conflit risquent d'être très longues à cicatriser. Un peu plus de trois ans après les accords de Dayton, la Bosnie n'est maintenue dans un état de paix que grâce à une présence militaire internationale considérable (les 30 000 soldats de la SFOR). La région est devenue un protectorat international où les moindres détails de la vie quotidienne (y compris la forme des plaques minéralogiques et des billets de banque) est défini par le Haut- Représentant de la communauté internationale, l'Espagnol Carlos Westendorp.
"La Bosnie a stoppé les massacres, mais n'a pas terminé la guerre", soulignait récemment devant un auditoire britannique l'adjoint du Haut-Représentant, le diplomate américain Jacques Klein. Son portrait de la Bosnie était particulièrement déprimant : "Pas de partis politiques, pas de pouvoir judiciaire indépendant, pas de lois, pas d'activité économique notable..." Il soulignait l'étendue de la corruption, notamment dans la police.
L'idée d'un "plan Marshall" pour la Bosnie est séduisante, mais peu adaptée à la situation présente. Comme la Russie postcommuniste, les Balkans ne peuvent pas s'en sortir avec des dons ou des aides financières, au contraire de l'Europe occidentale après 1945. "Dans le plan Marshall, l'aide fut coordonnée par les bénéficiaires", rappelle Ivan Samson, économiste spécialisé dans l'étude de la transition dans les pays de l'Est à l'université de Grenoble. Aujourd'hui, ce ne peut pas être le cas.
L'exemple de la Russie montre les limites d'une approche inspirée du plan Marshall. L'aide internationale apportée à la Russie entre 1991 et 1996 a représenté un volume équivalent à 10 % de son PIB annuel selon les calculs d'Ivan Samson. L'aide délivrée au titre du plan Marshall a représenté, quant à elle, l'équivalent de 2 % du PIB annuel des pays bénéficiaires entre 1947 et 1951. Or l'économie russe est aujourd'hui en état de quasi-faillite.
LUCAS DELATTRE
Le Monde du 15 mai 1999
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