La barbarie n'est-elle qu'une affaire de point de vue ?
Publié le 22/07/2010
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Introduction : Dans les Essais publié en 1580, Montaigne dénonçait un préjugé tenace, consistant à ignorer, voire à nier l’humanité des peuples d’Amérique, simplement parce que leur culture était différente de celle des Européens. Ce préjugé, que l’anthropologie moderne avec Claude Lévi-Strauss nommera ethnocentrisme, correspond à un aveuglement sur ses propres habitudes culturelles qui empêche l’acceptation de la différence. Du même coup, considérer comme barbares ces populations ne relève que d’un jugement de valeur, d’un point de vue totalement arbitraire, et la seule attitude cohérente est celle de la tolérance (un point de vue en vaut un autre…). Pourtant, faut-il s’interdire de juger des pratiques qui portent atteinte à la dignité humaine, sous prétexte que la barbarie n’existe que comme croyance erronée ? La réponse à cette question dépend des critères de jugement mis en œuvre. Sont-ils nécessairement subjectifs ? Ou bien peut-on trouver des critères objectifs et universels ? I) Les critères de jugement sont internes à la culture à laquelle on appartient et sont donc illégitimes. - Qu’est ce qu’un critère ? Un outil méthodologique permettant de trier, classer, hiérarchiser. - Y’a-t-il un critère de la barbarie ? Dans la mesure où nos jugements sont conditionnés par notre culture, les critères qui les déterminent le sont aussi. Exemple : y’a-t-il un critère pour juger de la religion des autres ? De leur organisation familiale ? Des structures de la parenté ? Evidemment non ! Chacun aura tendance à juger les pratiques culturelles qu’il ne comprend pas comme étranges, parce qu’étrangères (voir la notion de xénophobie). - La barbarie n’est donc qu’une croyance erronée. On retrouve Lévi-Strauss : « le barbare, c’est celui qui croit à la barbarie «. Transition : La bonne attitude semble donc être celle de la neutralité critériologique, gage de prudence et de tolérance : il faut comprendre et non juger. Telle sera la leçon de l’ethnologie moderne. Mais cette neutralité n’est-elle pas dangereuse ? En cautionnant le relativisme culturel, elle risque de rendre acceptable l’inacceptable. Précisément, dès que l’on parle d’inacceptable, on invoque implicitement un critère moral, qui peut permettre de juger certaines pratiques comme barbares et donc intolérables. Mais ce critère est-il valable ? II) La barbarie relève de la négociation délibérée de la dignité humaine. - Si le barbare c’est celui qui croit à la barbarie, il existe bien une forme de barbarie dans l’attitude de ceux qui rejettent la culture des autres, et du même coup l’humanité de ceux qu’ils jugent barbares, puisqu’ils les rabaissent au rang d’animaux sauvages, incultes ou pervers. Donc la barbarie n’est pas qu’une affaire de point de vue ! - Le critère moral de la barbarie est l’irrespect de l’humanité. Si aucun peuple n’est naturellement barbare, certaines pratiques partagées, soit au nom d’une tradition (excision, cannibalisme, prostitution), soit au nom d’une idéologie (esclavagisme, colonialisme, nazisme) ont en commun de refuser à certaines catégories d’êtres humains le droit d’exercer librement leur humanité. - Aucune culture n’est à l’abri de la barbarie. L’histoire en témoigne. La barbarie n’est pas l’inculture, mais la perversion de la culture sous l’effet d’une pulsion destructrice (Voir Freud : la pulsion de mort) II) Culture et civilisation - Si les cultures sont plurielles et diverses, la civilisation est une et universelle : sa signification est essentiellement morale. Elle consiste moins dans un état que dans un mouvement, présent à des degrés divers dans toutes les cultures, vers plus d’humanité, vers un arrachement, toujours à renouveler à notre sauvagerie toujours implicitement présente, même dans nos comportements culturels les plus raffinés, pour réaliser l’impératif catégorique (voir Kant) : « je dois agir en traitant l’humanité, aussi bien dans ma personne que dans celle d’autrui, toujours comme fin et jamais simplement comme moyen « - Dans ces conditions, il n’est aucune culture qui ne présente les signes de cet élan civilisateur ; mais aucune n’est pour autant pleinement civilisée. Dans l’histoire et les pratiques culturelles d’une même communauté, cet élan peut toujours être contrecarré par la tentation barbare (voir les progrès des lumières et dans le même temps les pratiques colonisatrices dans l’Europe du 18 et 19ème siècle). - La barbarie n’est donc pas l’antithèse de la culture mais e la civilisation. Conclusion : Il convient donc de dissiper une ambiguïté. Si la croyance à la barbarie n’est qu’un préjugé issu de la xénophobie, cela n’empêche pas qu’il existe des pratiques barbares qui peuvent être identifiées par référence au critère universel du droit de tout homme au respect de sa personne et qui, du même coup, doivent être dénoncées partout où elles s’exercent.
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