Kostunica, l'homme de l'ombre
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
Svetlana Stojanovic est l'une des Belgradoises qui connaît le mieux le nouveau président, fils unique d'un juge qui fut officierdans l'armée royale.
« Nous étions ensemble au lycée Beogradska II, lui en terminale, moi en troisième, raconte cette traductricelittéraire, membre du comité exécutif du DSS.
Et, des années plus tard, en 1990, il se souvenait bien de moi lorsque je suisrevenue à ses côtés au moment de la création du Parti démocrate (DS), derrière Micunovic .
La même année, il fut élu auParlement serbe, où il siégea jusqu'en 1997.
» Des rivalités et des dissensions s'étant déclarées avec Zoran Djidjic, le numérodeux bis, qui réussira à prendre les rênes du DS, Kostunica fit scission, en 1992, pour créer le DSS, qui ne dépassa jamais 7 %aux élections.
Cet été, Djindjic - plus médiatique mais handicapé par ses origines bosniaques et sa germanophilie -, sut mettre enveilleuse ses fortes ambitions pour jouer, avec Kostunica l'inattendu, la carte d'un candidat neuf et intègre et assumer le rôle dedirecteur de campagne de l'opposition coalisée.
La fulgurante ascension de « Voja » n'est évidemment pas fortuite et s'est largement appuyée sur une campagne électorale àl'occidentale, ponctuée de nombreux sondages.
D'abord, il y eut une affiche en noir et blanc avec deux yeux : « Qui peut vousregarder droit dans les yeux ? Kostunica.
» Et puis une seconde vague d'affichage laissa apparaître la bouche et un nouveauslogan : « Qui peut parler aujourd'hui au nom de nous tous ? Kostunica.
» Maître d'oeuvre paradoxal de cette campagne « denotoriété » : l'agence Incognito qui avait déjà touché au marketing politique mais travaille aussi pour les multinationales.
NemadMilic, son jeune directeur, confirme les réticences du candidat à se mettre en scène et exhibe volontiers les spots télévisés,messages radio, autocollants et badges rivalisant d'inventivité, mais refuse d'indiquer le montant du budget.
Alors que lesAméricains affirment avoir injecté des millions de dollars pour soutenir l'ensemble de la mouvance démocratique, M.
Milic secontente d'affirmer que « cela représente 0,5 % de ce qu'ont dépensé les autres, car chacun autour de nous a accepté detravailler à la limite de la rentabilité dans un enthousiasme miraculeux » .
Kostunica ayant en serbo-croate la même racineétymologique que « noyau », la prune, fruit populaire dont on fait la slivovic, a été choisie comme emblème.
Sur ses affiches,Milosevic, menton relevé et drapé dans le drapeau national, a pris un sérieux coup de vieux.
A travers une campagne de terrain intense, sans gardes du corps ni gilet pare-balles, Kostunica est surtout allé au contact d'unepopulation désespérée, qui lui criait : « Sauve- nous ! », et s'est progressivement senti investi d'une mission.
Ceux quil'accompagnaient témoignent de sa « transfiguration » et évoquent avec émotion une « scène biblique » lorsqu'à Mitrovica,enclave serbe du Kosovo, il fit stoïquement front à une pluie de tomates, d'oeufs et de pierres, et implora ses compatriotes de nepas se déchirer.
Il n'est pas un tribun mais le sait et en a fait une force : « Je ne suis pas un grand orateur pour m'adresser à lamasse mais vous n'êtes pas la masse ; vous êtes le peuple qui souffre comme moi.
» Et son manque de charisme se dissipalorsqu'il prêta serment avec une impressionnante dignité.
Kremna, le Nostradamus serbe, l'avait prédit : l'homme capable de sauver le pays porterait le nom de son village.
Or lesancêtres de Vojislav sont originaires de Kostunici, en Sumadija profonde, et c'est le grand-père, nommé Damjanovic, qui auraitchangé son patronyme.
Mysticisme de bazar, cette troublante coïncidence n'en a pas moins fait signe.
Celui qui a si souvent dit non voue quasiment un culte à Charles de Gaulle et ne cache pas sa francophilie.
Ce n'est pas unhasard si, par téléphone, il a vite noué des relations privilégiées avec Hubert Védrine, Lionel Jospin et Jacques Chirac, auquel il avanté les mérites de la « révolution démocratique » en se référant à...
Tocqueville.
Parce qu'il s'est opposé à un socialismedévoyé, Kostunica a le profil d'un bourgeois conservateur, voire traditionaliste - durant sa campagne il a rencontré quelquespatriarches orthodoxes - , et une monarchie constitutionnelle à la britannique aurait été pour lui un idéal.
Le prince héritierAlexandre, qui parle à peine le serbo-croate, ne doit pourtant pas se faire d'illusions.
« La fidélité de Kostunica aux principesdémocratiques est inébranlable » , affirme M.
Vitanovic.
L A question de son nationalisme, souvent qualifié de « modéré », reste centrale.
Pas idéologue, plutôt patriote par un mélangede grands sentiments et de grands principes, il a toutefois eu la légèreté de se laisser photographier un fusil Kalachnikov dans lesmains au Kosovo en 1998.
Certains le présentent comme l'ami du chef de guerre Radovan Karadjic, en soulignant que sonprincipal grief à l'encontre de Milosevic portait sur la perte de pans entiers d'une illusoire grande Serbie sans faire l'économie deguerres meurtrières.
En d'autres temps, Kostunica reprochait surtout au Croate Tito d'avoir fragilisé son pays en donnant un statutd'autonomie au Kosovo et à la Voïvodine.
Madeleine Albright a pourtant reconnu que cet adversaire des accords de Dayton, quin'a cessé de condamner vigoureusement « les bombardements criminels des forces de l'Otan » , n'avait rien d'un « nettoyeurethnique » .
Les ambiguïtés d'un personnage aussi entier que secret ont été en partie levées par ses premières déclarations publiques -réitérées au sommet européen de Biarritz -, qui laissent entrevoir des positions assez réalistes.
Sans être un homme decompromis, cet européen convaincu semble prêt à composer, tant son désir est vif de rejoindre la communauté internationale etde profiter d'une aide indispensable au redressement économique.
A propos du Kosovo, il réclame l'application stricte de larésolution 1244, et se résigne à voir sa souveraineté réelle perdue « pour longtemps » .
Pour le rétif Monténégro - où l'étoile du.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- La Legende des Siecles Le soir, l'homme qui met de l'huile dans les lampes A son heure ordinaire en descendit les rampes; Là, mangé par les vers dans l'ombre de la mort, Chaque marquis auprès de sa marquise dort, Sans voir cette clarté qu'un vieil esclave apporte.
- Nicolas Fouquet : l'homme le plus riche de France fait de l'ombre au Roi-Soleil
- André Gide s'adresse ainsi à un jeune homme : « Ne cherche pas à remanger ce qu'ont digéré tes ancêtres. Vois s'envoler les grains ailés du platane et du sycomore, comme s'ils comprenaient que l'ombre paternelle ne leur promet qu'étiolement et qu'atrophie ... sache comprendre et t'éloigner le plus possible du passé. » Par ailleurs Renan a écrit : « Tous les siècles d'une nation sont les feuillets d'un même livre. Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un res
- L'OMBRE D'UN HOMME
- Victor Hugo écrit : «La nature procède par contrastes. C'est par les oppositions qu'elle fait saillir les objets. C'est par leurs contraires qu'elle fait sentir les choses, le jour par la nuit, le chaud par le froid, etc.; toute clarté fait ombre. De là le relief, le contour, la proportion, le rapport, la réalité. La création, la vie, le destin, ne sont pour l'homme qu'un immense clair-obscur. Le poète, ce philosophe du concret et ce peintre de l'abstrait, le poète, ce penseur suprême,