Kant : Préface à la seconde édition de la Critique de la raison pure
Publié le 22/02/2012
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La critique ne s'oppose point à ce que la raison suive une méthode dogmatique dans sa connaissance pure, [considérée] comme science (car la science ne peut pas ne pas être dogmatique, c'est-à-dire strictement démonstrative en vertu de principes a priori certains) ; mais elle est opposée au dogmatisme, c'est-à-dire à la prétention d'aller de l'avant avec [le seul secours d'] une connaissance pure (la connaissance philosophique), tirée de certains concepts à l'aide des principes tels que ceux que la raison emploie depuis longtemps, sans avoir recherché comment et de quel droit elle y est arrivée. Le dogmatisme est donc la raison pure suivant une méthode dogmatique sans avoir soumis sa puissance propre à une critique préalable. Il ne s'agit donc pas ici, en combattant [le dogmatisme], de plaider la cause de cette stérilité verbeuse qui usurpe le nom de popularité, non plus que celle du scepticisme, qui condamne toute la métaphysique sans l'entendre. La critique est plutôt la préparation indispensable à l'établissement d'une métaphysique solide [et fondée] comme science, qui doit être nécessairement traitée d'une manière dogmatique, avec un caractère systématique qui satisfasse aux plus sévères exigences, et, par conséquent, sous une forme scolastique (et non populaire) ; ce sont là des conditions auxquelles cette science ne saurait se soustraire, puisqu'elle s'engage à accomplir son oeuvre tout à fait a priori, et, par conséquent, à l'entière satisfaction de la raison spéculative. Dans l'exécution du plan tracé par la critique, c'est-à-dire dans le système futur de la métaphysique, nous devrons suivre un jour la méthode sévère de l'illustre Wolff, le plus grand de tous les philosophes dogmatiques, qui, le premier, (et c'est par cet exemple qu'il a créé en Allemagne cet esprit de profondeur qui n'est pas encore éteint), montra comment, en établissant régulièrement les principes, en déterminant clairement les concepts, en cherchant l'absolue rigueur des démonstrations, en évitant les sauts téméraires dans les conséquences, on entre dans les voies sûres de la science. Il était par là même supérieurement doué pour donner à la métaphysique le caractère d'une science, s'il avait eu l'idée de se préparer le terrain par la critique de l'instrument, c'est-à-dire de la raison pure elle-même. Mais ce défaut lui doit être moins imputé qu'à la façon dogmatique de penser de son siècle, et, à cet égard, les philosophes, ses contemporains aussi bien que ses devanciers, n'ont rien à se reprocher les uns aux autres. Ceux qui rejettent sa méthode et, du même coup, celle de la critique de la raison pure, ne peuvent avoir d'autre but que de se débarrasser des liens de la science, et de convertir le travail en jeu, la certitude en opinion, la philosophie en philodoxie.
Kant, Critique de la raison pure, Préface à la seconde édition, § 16
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