Juste cause
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
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inefficaces ; ou qu'il faille se ranger au réflexe unique qui veut que, dès lors que les Etats-Unis seraient mêlés à une opération,celle-ci s'en trouverait ipso facto polluée.
Mais chacun voit bien qu'il eût été de beaucoup préférable de faire précéder lesbombardements par un large déploiement de troupes au sol, ne serait-ce que pour rendre crédible leur éventuelle intervention,plutôt que d'exclure maladroitement celle-ci a priori, comme le fit Hubert Védrine.
Bien sûr, l'incertitude est une arme de la dissuasion.
Nul ne songerait donc à reprocher aux alliés une part d'incertitude, si l'onétait persuadé de la clarté des objectifs poursuivis.
Or tout s'est passé comme si l'on était entré en guerre à reculons, comme sil'administration Clinton avait été surprise que la Serbie puisse refuser de voir le Kosovo passer sous la tutelle de l'OTAN.
Le filmde ces dix derniers jours, et le sort fait aux Kosovars, a pour le moins montré qu'il y a eu, chez les décideurs, et au premier chefchez les Américains, une certaine légèreté.
Laquelle s'ajoute à un passif déjà lourd : de la critique absurde de Bill Clinton contre lapolitique de son prédécesseur George Bush, qui fit perdre le temps que mit le nouveau président à se raviser, jusqu'au ralliementtardif du même Clinton au plan européen pour la Bosnie, en passant par les inutiles grossièretés du " médiateur " Holbrooke àl'endroit des " partenaires " européens, la liste des erreurs américaines n'est pas exhaustive.
Elles furent toutes dommageables.
Et l'on redécouvre aujourd'hui une diplomatie faible, et un président enfermé dans trop de considérations de politique intérieure,touchant désormais aux conditions de l'élection de son vice- président Al Gore à la prochaine présidentielle.
Au reste, cettesituation renvoie à un constat plus général : depuis dix ans, l'intensité et la qualité de la réflexion et de l'action ont quitté la sphèrede la géopolitique pour rejoindre celle de la géo-économique.
En Europe, l'euro est là et M.
Pesc (celui qui devrait porter unepolitique extérieure et de défense commune) n'est pas même nommé ! Aux Etats-Unis, MM.
Greenspan et Rubin agissent demain de maître, tandis que Mme Albright et M.
Cohen font piètre figure !
A tout le moins, il eût fallu des moyens de négociation plus forts, et des moyens de dissuasion, au sol notamment, plus amples.Mais il va de soi qu'au point où nous en sommes, il faut éviter un scénario " à l'irakienne ", qui verrait Milosevic rester maîtred'une Serbie en ruine.
Il faut donc souhaiter la victoire, aussi rapide et totale que possible, des alliés.
Et ce d'autant plus que les conséquences de cet énième épisode balkanique mettent en jeu beaucoup plus que nos relationsavec les Etats-Unis, beaucoup plus que le sort du Kosovo.
En premier lieu se joue le premier conflit d'ampleur régionale en Europe depuis la Libération.
L'OTAN élargie à trois ancienspays de l'Est teste sa propre efficacité, et avec elle la future architecture de la sécurité en Europe.
A travers elle se joue l'ébauched'une ambition européenne : un outil propre de défense, coordonné avec celui de l'OTAN.
En second lieu, et là encore pour la première fois, l'Europe défend une population à dominante musulmane, d'un islam " laïcisé "certes, mais tout l'arc islamique observe avec attention cette situation inédite, qui rompt avec l'idée simple selon laquelle la lignede partage du prochain millénaire séparerait inéluctablement l'" Occident " d'origine chrétienne de l'Islam.
Ceci nous rappelle quel'Islam est une composante de l'Europe.
En troisième lieu, et pour la première fois depuis la chute du Mur de Berlin, l'Union européenne elle-même est confrontée à laRussie.
Une Russie que l'on croyait alignée, occupée par sa propre misère, et qui en fait a pris fait et cause pour la Serbie,spontanément, profondément : comme si beaucoup de Russes, vivant leur actuelle précarité comme la fin d'un monde, avaienttrouvé, dans les bombes de Belgrade, la preuve, enfin, de la culpabilité de l'Ouest dans le malheur russe ! De ce point de vue,Jacques Chirac a raison de se dissocier de Washington, pour tenter d'obtenir que la Russie soit associée à tout règlement global.Faire crédit aux Russes ne serait pas, dans ce domaine, inutile pour l'avenir si l'on veut préserver l'Europe d'une relationconflictuelle avec Moscou.
Enfin, qui ne voit que Milosevic exprime, avant l'heure, ce mélange rouge-brun, cette fusion du ressentiment communiste et del'exaltation sous-nationale qui pourrait bien un jour, si toutes les digues rompent, emporter la Russie, provoquer cette fois unecatastrophe de dimension planétaire.
Loin d'être une resucée balkanique ou une butte- témoin du passé, le régime Milosevicincarne en pointillé du neuf, et non du vieux : la tentative d'inventer, sur les décombres du communisme et dans le réveil dunationalisme, une nouvelle vision totalitaire qui trouve le chemin d'un soutien populaire.
Voilà pourquoi cette guerre n'est pas, contrairement aux apparences d'un commandement unifié, une guerre américaine : elleconcerne l'avenir de l'Europe.
Celle-ci est, hélas, contrainte de se construire contre la Serbie, pour que cette dernière puisse larejoindre un jour !
Notre siècle a commencé dans ces mêmes lieux, par ce que tout le monde s'accorde à décrire comme un suicide de nos vieillesnations.
L'Europe a depuis, et surtout depuis 1957, tout fait pour échapper à ce vertige.
C'est le même effort qui se prolongeaujourd'hui.
Chacun est en droit d'espérer que ces jours inquiets et sanglants passent vite.
Mais chacun peut aussi constater que.
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