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Jugé dangereux pour son pays, M. Nétanyahou a coalisé contre lui un front d'une ampleur inégalée

Publié le 17/01/2022

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17 mai 1999 Il est des écarts qui témoignent, et les plus de douze points qui séparent Ehoud Barak de Benyamin Nétanyahou sont de ceux-là. Même si les sondages des deux dernières semaines prédisaient la défaite de "Bibi " Nétanyahou, même si les partisans d'Ehoud Barak commençaient, enfin, à envisager la victoire, bien peu osaient rêver d'un tel résultat. Comme s'ils ne croyaient pas eux-mêmes à la validité de leurs analyses, explicitement évoquées dans le nom "Israël uni", donné à la liste conduite par Ehoud Barak, pour bien montrer son ambition de réunir ce que M. Nétanyahou avait divisé. Force pourtant est de constater que leur intuition était la bonne : le premier ministre sortant, comme en témoigne l'ampleur de sa défaite, a réussi à liguer contre lui un front d'opposants d'une étendue jamais égalée. "Bibi" avait raison de mettre en cause l'establishment : il y est vomi. Non, comme il le croit, par parti pris, mais par appréciation assez objective des dangers de sa politique et, encore plus, de son comportement personnel. Les journalistes, hués par les troupes les plus frustes du Likoud, n'en croyaient pas leur yeux. Habitués à fréquenter les hommes politiques, ils ont observé un responsable d'un type nouveau, cynique et manipulateur, menteur et sans scrupules. Une semaine avant le scrutin, Yoël Marcus, prestigieux commentateur du quotidien Haaretz, dans une tribune libre donnée à l' International Herald Tribune, avait lancé une charge significative : "Peu importe, écrivait-il, qui remplacera Benyamin Nétanyahou, Barak ou Mordehaï. Notre priorité nationale est de l'écarter et avec lui tout ce qu'il représente. Avec ses mensonges, ses intrigues et ses manoeuvres de haine, il met en danger le bien-être et l'avenir d'Israël." Ce constat était partagé par quasi tous les responsables, hauts fonctionnaires ou dirigeants des services de sécurité. On saura peut-être un jour ce que ces derniers ont redouté ; ce qu'ils ont confié à leurs anciens collègues entrés en politique, Itzhak Mordehaï, ministre de la défense de "Bibi", ou Amnon Lipkin-Shahak, ancien chef d'état-major général, et que ces derniers évoquaient par allusion, lorsqu'ils parlaient de la "dangerosité" du premier ministre. Au fil des jours, tout le monde semblait s'être donné le mot : empêcher "Bibi" de nuire Sous son règne, Israël frisa plusieurs fois la catastrophe : lorsque, malgré les mises en garde, M. Nétanyahou fit ouvrir un tunnel contesté le long du mont du Temple, à Jérusalem, provoquant dans la population arabe de violentes émeutes qui firent une bonne centaine de victimes ; lorsqu'il ordonna l'assassinat (raté) d'un responsable islamiste, en Jordanie, l'un des rares pays arabes en paix avec Israël, et dut accepter la libération de cheikh Ahmad Yassine, leader du mouvement de la résistance islamique, Hamas, en échange de celle des agents maladroits qui s'étaient fait pincer. Quelques jours avant l'élection, Benyamin Nétanyahou traitait de "poule mouillée" son ministre de la sécurité, Avigdor Kahalani, qui refusait de faire donner la police à la Maison d'Orient, à Jérusalem-Est, craignant qu'une telle intrusion ne provoque des émeutes en Cisjordanie. Et lorsqu'enfin il réussit à lui imposer sa décision, ce fut la Cour suprême qui la suspendit. Au fil des jours, tout le monde semblait s'être donné le mot : l'empêcher de nuire. Idéologue, il ne comprit pas que ses concitoyens aspiraient à la paix et, plus encore, à la normalisation ; qu'après avoir été adulés pour s'être ouverts à leurs voisins palestiniens, ils ne supportaient plus d'être revenus en arrière, désignés citoyens d'un Etat paria, qui avaient eu entre les mains les chances de la paix, mais s'ingéniaient à ne pas la saisir ; qu'ils étaient dirigés par un homme dépeint comme un menteur, auquel plus aucun dirigeant au monde, à commencer par ceux des Etats-Unis, leur principal allié, ne faisait plus confiance. Tous les puissants de la terre attendaient sa chute, comme en témoignent le nombre et la rapidité des messages de félicitation envoyés lundi à Ehoud Barak. Isolé, M. Nétanyahou alla chercher son réconfort chez les colons les plus extrêmes, alignant sa politique sur leurs exigences, mais oubliant que seuls cent soixante-dix mille Israéliens, sur près de six millions, peuplaient les implantations. Il fit la même erreur avec les ultra-religieux, flattant leurs préjugés et leur sectarisme, sans s'apercevoir que la majorité de ses concitoyens, des militants laïques aux traditionalistes conservateurs, craignaient le corset clérical que voulaient leur imposer les rabbins. Les Israéliens d'origine russe, qui furent un jour parmi ses soutiens, mais avaient tout à redouter de son rapprochement avec les ultra- religieux, le quittèrent pour cette bévue. En 1993, il avait pris son parti, le Likoud, à la hussarde, réussissant à l'amener au pouvoir. Six ans plus tard, il laisse une maison dévastée, désertée par les plus talentueux de ses anciens compagnons. Les militants qui y sont restés n'ont même pas jugé utile de faire la campagne de leur chef, réduit, la veille du scrutin, à implorer ceux qui s'étaient éloignés à "rentrer à la maison" et à voter pour lui. En annonçant, quelques minutes à peine après la proclamation des premières fourchettes, qu'il se retirait, "Bibi" Nétanyahou aura rendu aux siens un authentique service : leur épargner la peine de l'écarter. GEORGES MARION Le Monde du 19 mai 1999

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