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JEAN - PIERRE CHEVENEMENT Un nationalisme républicain dirigé contre les particularismes

Publié le 17/01/2022

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29 AOUT 2000 Une fois de plus, la troisième, Jean-Pierre Chevènement a choisi la démission comme acte politique. Tentera-t-il, une fois encore, de fonder sur ce départ une entreprise politique ? Après avoir rompu, en 1983, avec le gouvernement de la rigueur et de l'Europe, il avait transformé son courant du PS, le Ceres, en Socialisme et République. Après avoir refusé la guerre du Golfe, en 1991, il avait lancé le Mouvement des citoyens. Quel nouvel emblème l'ex-ministre de l'intérieur va-t-il brandir, maintenant qu'il a mis fin à une alliance de cinq ans avec Lionel Jospin ? Comme les deux fois précédentes, c'est, finalement, mû par "une certaine idée de la République" - autrement dit, pour lui, de la France - que l'élu de Belfort a choisi, à soixante et un ans, de prendre de nouveau le large. Toujours au coeur de la gauche, toujours en décalage, un pied dedans, l'autre dehors : cette dialectique, intime avant d'être politique, M. Chevènement la pratique depuis bientôt quarante ans. Fils d'instituteurs, né à Belfort à la veille de la guerre, reçu en 1963 à l'ENA, où il croisa de loin M. Jospin, il avait connu auparavant une expérience qui explique peut-être pour une part ses réactions d'aujourd'hui face à l'évolution de la Corse et à celle du premier ministre sur ce dossier. En avril 1961, au lendemain du putsch des généraux, M. Chevènement était arrivé à Alger pour y faire son service militaire. Faisant ses classes d'officier à Cherchell, il avait découvert, en même temps que l'horreur de la guerre dans l'Oranais, les derniers soubresauts de l'Algérie française. Au lendemain des accords d'Evian, en mars 1962, il avait décidé ce "confondre [son] action avec le mouvement de l'Histoire ", rempilé comme chef adjoint du cabinet du dernier préfet d'Oran et, dans une préfecture qui servait de cible, chaque jour, aux bazookas des desperados de l'OAS, il avait tenté de servir un Etat agonisant, qui ne songeait qu'à plier bagage. Responsable consulaire, il s'était dépensé pendant six mois pour faire libérer les centaines d'Européens enlevés le 5 juillet, dernier jour de l'Algérie française ; malgré plusieurs démarches auprès du nouveau chef de l'Etat, Ahmed Ben Bella, ses efforts étaient restés vains : seuls une vingtaine d'enlevés avaient été rendus vivants par les Algériens. Le jeune Chevènement n'avait-il pas consacré son mémoire de fin d'études, à Sciences-Po, sous la direction de Raoul Girardet, à "La droite nationaliste devant l'Allemagne", avec l'ambition d'expliquer "la fascination commune de l'Allemagne" chez les maurrassiens, les gaullistes et l'extrême droite vichyssoise ? N'avait-il pas, à Sciences-Po encore, flirté avec un petit club, Patrie et Progrès, qui cherchait la voie médiane d'un "socialisme patriotique" et d'une révolution nationale permettant à la République de survivre à de Gaulle ? N'y avait-il pas noué, d'ailleurs, de solides amitiés avec quelques- uns des futurs animateurs du Ceres comme Didier Motchane, Alain Gomez ou Michel Charzat ? Enfin, n'avait-il pas éprouvé, tout au long de la crise algérienne, une admiration qui ne se démentirait plus pour Michel Debré ? Ces jours-ci, il rappelait volontiers que le premier ministre de la Ve République était parti, en 1962, lorsque de Gaulle avait, selon lui, changé de politique en Algérie. Et qu'il était revenu au gouvernement, quatre ans plus tard, comme ministre de l'économie et des finances... A la même époque, M. Chevènement, lui, créait au sein de la vieille SFIO (Section française de l'Internationale ouvrière, le PS d'alors, dirigé par Guy Mollet) le Centre d'études, de recherches et d'éducation socialiste, le Ceres, avec M. Gomez - futur PDG de Thomson -, M. Motchane - aujourd'hui à la Cour des comptes - et Georges Sarre, actuel député de Paris, maire du 11e arrondissement et, à l'époque, syndicaliste FO au centre de tri postal Paris-Brune. Dès 1968, le Ceres et ses "énarques" apparaissaient comme le laboratoire d'idées de la gauche "non communiste", comme on disait alors. Des événements de Mai, M. Chevènement et ses amis avaient tiré froidement cet ordre du jour : "Le socialisme ne se décrète pas d'en haut. Il se construit d'en bas. Pour impulser le processus, l'action d'un parti de classe et de masse est capitale. La construction d'un tel parti doit devenir la priorité immédiate." Dès 1969, le premier bastion était conquis : avec les sections d'entreprise de M. Sarre en guise de commandos, le Ceres déboulonnait les vieux caciques de la fédération socialiste de Paris et inventait l'emblème du poing à la rose. Le 11 juin 1971, à l'ouverture du congrès d'Epinay, M. Chevènement et ses amis avaient gagné : avec les 8,5 % des mandats rassemblés sur leur motion, ils étaient à la charnière, entre la vieille garde Savary-Mollet et l'aventure proposée par le trio Mitterrand- Mauroy-Deferre. Les hussards du Ceres choisissaient l'aventure. Convaincus que le sens de l'Histoire justifiait quelques acrobaties tactiques, ils n'hésitaient pas devant une alliance avec la droite du parti, ni à faire triompher Mitterrand, pour entrer au secrétariat, où M. Chevènement, à trente-deux ans, se voyait confier la tâche stratégique d'élaborer le programme du nouveau PS. En mars 1973, il conquérait son premier mandat de député à Belfort, dont il a fait, depuis vingt-sept ans, un fief inexpugnable en y gagnant, en 1983, la mairie. Quatre ans après Epinay, au congrès de Pau, le Ceres était renvoyé dans la minorité par François Mitterrand, qui avait alors accueilli Michel Rocard dans sa majorité. Amer devant le triomphe de cette "deuxième gauche " honnie, entrée en force au PS l'année précédente, M. Chevènement, renouant avec le patriotisme claironné, quinze ans auparavant, par Patrie et Progrès, affichait, à côté de Charles Hernu, sa volonté de réconcilier les socialistes avec l'armée, multipliait les propositions de réforme du service national, défendait la conscription en revendiquant sa double fidélité à l'idéal révolutionnaire de 1789 et à Jaurès. Enfin, contre les courants atlantistes ou internationalistes dominants au sein de la gauche, il plaidait pour la dissuasion nucléaire française, garante de l'indépendance nationale entre les deux blocs. Au point de passer, dès ce moment, aux yeux de bon nombre de ses camarades, pour un indécrottable nationaliste. A l'été 1976, il esquissait même quelques gestes en direction des gaullistes... Trois ans plus tard, M. Rocard lançant une offensive contre François Mitterrand après l'échec de la gauche aux législatives de 1978, et M. Mauroy commençant à se laisser séduire par son ancien camarade des Jeunesses socialistes, le Ceres retrouvait la faveur du futur chef de l'Etat - et des places à la direction du PS. C'est ainsi qu'en 1981 M. Chevènement est devenu, pour la première fois, ministre. Le pouvoir, il s'y engouffrait alors avec la conviction que l'Etat avait vocation à transformer la société, selon le programme de "rupture avec le capitalisme" qu'il avait rédigé pour le PS. Au ministère de la recherche, tout d'abord, il bousculait tout sur son passage, y compris les épidermes ; remobilisait la communauté scientifique ; faisait voter une loi de programmation qui consacrait la recherche comme un enjeu central pour l'avenir du pays. Fort de ce succès, il se voyait confier, un an plus tard, un super-ministère de la recherche et de l'industrie. La méthode fut la même, le bilan plus mitigé, les patrons des entreprises fraîchement nationalisées ne supportant pas longtemps un interventionnisme tous azimuts, que Mitterrand n'allait pas tarder à qualifier, en conseil des ministres, de "tatillon". C'est à cette occasion que M. Chevènement avait forgé son célèbre adage - "Un ministre, ça ferme sa gueule. Si ça veut l'ouvrir, ça démissionne" -, avant de prendre la plume pour plaider sa cause auprès de M. Mitterrand, puis de conclure : "Dans ces conditions, j'ai le sentiment de pouvoir être plus utile en dehors du gouvernement qu'en son sein." Il avait accepté de différer ce départ de quelques semaines, pour ne pas perturber la campagne des municipales qui, malgré le reflux général de la gauche, lui avait permis de sauver la mairie de Belfort. Au-delà de la politique industrielle, c'est toute la politique économique conduite par Jacques Delors que M. Chevènement récusait alors, après avoir tenté, pendant des mois, de l'infléchir. De la même façon, vingt ans plus tard, il a tenté de mener, au sujet de la Corse, ce qu'il appelle une "stratégie d'influence", avant de constater que cette stratégie "a des limites", puis que ces limites sont "réduites à rien". En 1983, il avait cru longtemps, avec d'autres, avoir convaincu Mitterrand de sortir du Système monétaire européen, d'oser échapper à la fatalité du "libre-échangisme mondial ", de faire le pari d'une "autre politique" ; il avait ressenti le tournant de la "rigueur" comme une défaite en rase campagne. Devant la convention du PS, au mois de mai suivant, il avait lancé : "La conception sur laquelle la rigueur est assise n'a rien de socialiste. Prenons-nous le chemin de la réussite ? Si je le pensais, je serais resté au gouvernement." Et c'était le premier secrétaire d'alors, Lionel Jospin, qui lui avait répondu : "On ne peut pas faire une autre politique avec des "y'a qu'à". Fouetter les mollets du gouvernement, oui. Lui couper les jarrets, non !" Un an plus tard, en plein naufrage scolaire, Mitterrand avait appelé M. Chevènement à la rescousse pour entrer dans le gouvernement de Laurent Fabius. Il avait accepté, à la fois, bon mousquetaire, pour "relever le gant ", mais aussi et surtout pour "préparer la suite" : redresser l'école publique n'est-ce pas refonder la citoyenneté et permettre à la France de gagner le "pari sur l'intelligence". Refonder la République, en somme. En deux mois, au prix de quelques mesures "simples et pratiques", il avait soldé la querelle avec l'école privée. Avec un flair politique incontestable, il avait engagé ensuite une offensive idéologique de grande envergure, à rebrousse-poil de tout ce que la gauche pédagogique préconisait depuis quinze ans. "Votre tâche principale, c'est la transmission des savoirs", écrivait-il à tous les enseignants pour la rentrée 1984. La mission de l'école, pour ce fils d'instituteurs ? Apprendre aux enfants à "lire, écrire et compter", sans oublier La Marseillaise ni l'instruction civique. En même temps qu'il réhabilitait "l'élitisme républicain", cette "exigence profondément démocratique", il traçait un objectif stratégique, qui serait réalisé par ses successeurs : doubler avant l'an 2000 le nombre des bacheliers, égaler le Japon. C'est "Jules Ferry en kimono", grimaçaient ses détracteurs, mais les parents applaudissaient, l'opinion le plébiscitait, M. Fabius lui emboîtait le pas : un triomphe. En 1988, M. Chevènement avait accepté le ministère de la défense. Au printemps 1990, au congrès socialiste de Rennes, il avait esquissé une alliance avec M. Jospin contre M. Fabius, mais s'était heurté à M. Rocard, son adversaire historique. Le PS n'était plus, dès lors, à ses yeux, qu'un "parti de gestion sans horizon". L'amertume se transforme en révolte au moment de la crise du Golfe. Une certaine idée de la politique arabe de la France, un respect certain pour le président irakien, Saddam Hussein, en qui il voulait voir un autocrate éclairé, mais aussi le refus absolu de l'alignement sur les Etats-Unis et jusqu'à ses souvenirs de la débâcle algérienne : tout le pousse, de plus en plus seul et contesté, à résister à la "logique de guerre". Puis à démissionner quand elle s'impose. "Il y a un moment où un homme politique doit se mettre en règle avec ses convictions, quoi qu'il lui en coûte", a-t-il écrit alors à M. Mitterrand pour lui faire part de sa décision. La crise du Golfe n'est pas tout. Au même moment se réunissent les conférences intergouvernementales destinées à mettre en forme le traité européen de Maastricht. Là aussi, tout hérisse M. Chevènement. "On détruisait l'Etat républicain sous prétexte de construire l'Europe et, en fait, on livrait sans défense le monde du travail, et le pays avec lui, aux marchés financiers internationaux." Pour le référendum de septembre 1992, il appellera à voter "non" à un traité dans lequel, de plus en plus gaullien, il ne voit que repli et abandon. Le divorce est consommé. M. Chevènement veut croire, en effet, que son double refus - sur le Golfe et sur Maastricht, c'est-à-dire sur le rôle de la France dans le monde - sera "fondateur". Mais fondateur de quoi ? Il ne s'était pas privé, depuis longtemps, de souligner qu'on ne crée pas un parti ex nihilo. C'est pourtant dans cette voie qu'il s'est engagé en créant le Mouvement des citoyens (MDC). L'ambition n'est pas mince et renvoie trente ans plus tôt : reconstruire la gauche, que le PS n'a plus ni la capacité, ni la volonté, ni la légitimité d'incarner. Le score de la liste du MDC aux élections européennes de 1994 - 2,54 % - sonne très vite le glas de cette reconquête. Avant le scrutin, M. Chevènement avait prévenu ses amis : "On ne dispose que d'un fusil à un coup." Au vu des résultats, la dérision est de rigueur : "J'ai encore ma fronde dans la poche." Après avoir pris parti pour M. Jospin comme candidat à l'élection présidentielle, en 1995, avant même que l'ancien ministre de l'éducation nationale ne soit désigné par le PS, M. Chevènement est devenu un allié de la reconstruction d'une gauche "plurielle". C'est tout naturellement qu'il est entré au gouvernement, en juin 1997, avec le poste stratégique de ministre de l'intérieur, chargé d'incarner l'autorité républicaine et la conversion de la gauche à la sécurité. Entre ces deux hommes, la fréquentation, depuis un quart de siècle, a été rude, sans complaisance, mais sans coups bas. Mêmes racines politiques, même génération, mêmes repères, même dépression politique au début des années 90, même exercice du droit d'inventaire sur le mitterrandisme, même rationalisme, même trempe : le premier ministre de la gauche "plurielle" et son ministre de l'intérieur sont de plain-pied. Lorsque M. Jospin appelle, dans son discours de politique générale, à "revenir aux sources de notre République", quand il déclare que "l'Europe doit être un espace supplémentaire de démocratie " qui "ne saurait se substituer à la nation", quand il assure que "la sécurité, garante de la liberté, est un droit fondamental de la personne humaine" et "un devoir primordial de l'Etat", M. Chevènement savoure en connaisseur, même s'il a compris que, sur tous ces thèmes, le chef du gouvernement n'a pas à forcer sa nature. Quant à M. Jospin, il est confiant : dans la bouche du président du MDC, il sait que cette fermeté républicaine sonnera juste. Entretien hebdomadaire en tête à tête, soutien sans faille du premier ministre au plus fort des controverses sur la politique d'immigration, liberté laissée au locataire de la Place Beauvau de dire son mot sur tous les sujets : en quelques mois, la complicité entre les deux hommes s'est imposée comme un des ingrédients essentiels de l'alchimie gouvernementale. La régularisation partielle des sans-papiers et la loi sur l'entrée et le séjour des étrangers en France ont été des temps forts de la première année du gouvernement de M. Jospin. Face à l'opinion, face à la droite, le ministre de l'intérieur était un "poids lourd" respecté, dont la contestation par l'extrême gauche renforçait l'autorité. Aussi l'accident d'anesthésie qui l'a plongé dans le coma le 2 septembre 1998 a-t-il suscité une forte émotion. Il a eu pour conséquence, d'ailleurs, de mettre l'Hôtel Matignon en première ligne sur l'un des dossiers les plus difficiles, celui de la Corse, huit mois après que le préfet Claude Erignac y eut été assassiné. Revenu à son poste au début de 1999, après quatre mois d'absence, M. Chevènement avait dû affronter un premier conflit, au sein du gouvernement, avec la ministre de la justice, Elisabeth Guigou, au sujet de la délinquance des mineurs. Il en était sorti à demi désavoué par l'arbitrage du premier ministre. C'est surtout à propos de la Corse, toutefois, que les relations entre M. Jospin et M. Chevènement, entre l'Hôtel Matignon et la Place Beauvau n'ont cessé de se détériorer. L'affaire des paillotes a entraîné une opposition entre le ministre, enclin à défendre le préfet Bernard Bonnet, et le chef du gouvernement, dont le préfet tentait de mettre en cause les collaborateurs. Le cas Bonnet d'abord, puis la politique à suivre vis-à-vis des nationalistes et de leurs revendications ont anéanti peu à peu la confiance dont M. Chevènement se prévalait dans ses relations avec M. Jospin. Après avoir manifesté son désaccord avec plus d'éclat qu'il ne l'avait jamais fait au sein d'un gouvernement, le président du MDC a fini par convenir, avec le premier ministre, que le mieux était de partir. Il a fini par se convaincre qu'il n'avait, à rester, rien à gagner, et rien à perdre à partir. Toute la question, pour lui, est de savoir si ce nouveau départ est plus prometteur que les deux précédents. GERARD COURTOIS Le Monde du 30 août 2000

« service national, défendait la conscription en revendiquant sa double fidélité à l'idéal révolutionnaire de 1789 et à Jaurès.

Enfin,contre les courants atlantistes ou internationalistes dominants au sein de la gauche, il plaidait pour la dissuasion nucléaire française,garante de l'indépendance nationale entre les deux blocs.

Au point de passer, dès ce moment, aux yeux de bon nombre de sescamarades, pour un indécrottable nationaliste.

A l'été 1976, il esquissait même quelques gestes en direction des gaullistes... Trois ans plus tard, M.

Rocard lançant une offensive contre François Mitterrand après l'échec de la gauche aux législatives de1978, et M.

Mauroy commençant à se laisser séduire par son ancien camarade des Jeunesses socialistes, le Ceres retrouvait lafaveur du futur chef de l'Etat - et des places à la direction du PS.

C'est ainsi qu'en 1981 M.

Chevènement est devenu, pour lapremière fois, ministre.

Le pouvoir, il s'y engouffrait alors avec la conviction que l'Etat avait vocation à transformer la société,selon le programme de "rupture avec le capitalisme" qu'il avait rédigé pour le PS. Au ministère de la recherche, tout d'abord, il bousculait tout sur son passage, y compris les épidermes ; remobilisait lacommunauté scientifique ; faisait voter une loi de programmation qui consacrait la recherche comme un enjeu central pour l'avenirdu pays.

Fort de ce succès, il se voyait confier, un an plus tard, un super-ministère de la recherche et de l'industrie.

La méthodefut la même, le bilan plus mitigé, les patrons des entreprises fraîchement nationalisées ne supportant pas longtemps uninterventionnisme tous azimuts, que Mitterrand n'allait pas tarder à qualifier, en conseil des ministres, de "tatillon".

C'est à cetteoccasion que M.

Chevènement avait forgé son célèbre adage - "Un ministre, ça ferme sa gueule.

Si ça veut l'ouvrir, çadémissionne" -, avant de prendre la plume pour plaider sa cause auprès de M.

Mitterrand, puis de conclure : "Dans cesconditions, j'ai le sentiment de pouvoir être plus utile en dehors du gouvernement qu'en son sein." Il avait accepté de différer cedépart de quelques semaines, pour ne pas perturber la campagne des municipales qui, malgré le reflux général de la gauche, luiavait permis de sauver la mairie de Belfort. Au-delà de la politique industrielle, c'est toute la politique économique conduite par Jacques Delors que M.

Chevènementrécusait alors, après avoir tenté, pendant des mois, de l'infléchir.

De la même façon, vingt ans plus tard, il a tenté de mener, ausujet de la Corse, ce qu'il appelle une "stratégie d'influence", avant de constater que cette stratégie "a des limites", puis que ceslimites sont "réduites à rien".

En 1983, il avait cru longtemps, avec d'autres, avoir convaincu Mitterrand de sortir du Systèmemonétaire européen, d'oser échapper à la fatalité du "libre-échangisme mondial ", de faire le pari d'une "autre politique" ; il avaitressenti le tournant de la "rigueur" comme une défaite en rase campagne.

Devant la convention du PS, au mois de mai suivant, ilavait lancé : "La conception sur laquelle la rigueur est assise n'a rien de socialiste.

Prenons-nous le chemin de la réussite ? Si je lepensais, je serais resté au gouvernement." Et c'était le premier secrétaire d'alors, Lionel Jospin, qui lui avait répondu : "On ne peutpas faire une autre politique avec des "y'a qu'à".

Fouetter les mollets du gouvernement, oui.

Lui couper les jarrets, non !" Un an plus tard, en plein naufrage scolaire, Mitterrand avait appelé M.

Chevènement à la rescousse pour entrer dans legouvernement de Laurent Fabius.

Il avait accepté, à la fois, bon mousquetaire, pour "relever le gant ", mais aussi et surtout pour"préparer la suite" : redresser l'école publique n'est-ce pas refonder la citoyenneté et permettre à la France de gagner le "pari surl'intelligence".

Refonder la République, en somme.

En deux mois, au prix de quelques mesures "simples et pratiques", il avait soldéla querelle avec l'école privée.

Avec un flair politique incontestable, il avait engagé ensuite une offensive idéologique de grandeenvergure, à rebrousse-poil de tout ce que la gauche pédagogique préconisait depuis quinze ans.

"Votre tâche principale, c'est latransmission des savoirs", écrivait-il à tous les enseignants pour la rentrée 1984.

La mission de l'école, pour ce fils d'instituteurs ?Apprendre aux enfants à "lire, écrire et compter", sans oublier La Marseillaise ni l'instruction civique.

En même temps qu'ilréhabilitait "l'élitisme républicain", cette "exigence profondément démocratique", il traçait un objectif stratégique, qui serait réalisépar ses successeurs : doubler avant l'an 2000 le nombre des bacheliers, égaler le Japon.

C'est "Jules Ferry en kimono",grimaçaient ses détracteurs, mais les parents applaudissaient, l'opinion le plébiscitait, M.

Fabius lui emboîtait le pas : un triomphe. En 1988, M.

Chevènement avait accepté le ministère de la défense.

Au printemps 1990, au congrès socialiste de Rennes, ilavait esquissé une alliance avec M.

Jospin contre M.

Fabius, mais s'était heurté à M.

Rocard, son adversaire historique.

Le PSn'était plus, dès lors, à ses yeux, qu'un "parti de gestion sans horizon".

L'amertume se transforme en révolte au moment de la crisedu Golfe.

Une certaine idée de la politique arabe de la France, un respect certain pour le président irakien, Saddam Hussein, enqui il voulait voir un autocrate éclairé, mais aussi le refus absolu de l'alignement sur les Etats-Unis et jusqu'à ses souvenirs de ladébâcle algérienne : tout le pousse, de plus en plus seul et contesté, à résister à la "logique de guerre".

Puis à démissionner quandelle s'impose.

"Il y a un moment où un homme politique doit se mettre en règle avec ses convictions, quoi qu'il lui en coûte", a-t-ilécrit alors à M.

Mitterrand pour lui faire part de sa décision. La crise du Golfe n'est pas tout.

Au même moment se réunissent les conférences intergouvernementales destinées à mettre enforme le traité européen de Maastricht.

Là aussi, tout hérisse M.

Chevènement.

"On détruisait l'Etat républicain sous prétexte deconstruire l'Europe et, en fait, on livrait sans défense le monde du travail, et le pays avec lui, aux marchés financiersinternationaux." Pour le référendum de septembre 1992, il appellera à voter "non" à un traité dans lequel, de plus en plus gaullien,. »

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