Jean-Marie Le Pen, des paras d'Indochine au second tour de la présidentielle
Publié le 17/01/2022
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21 avril 2002
LA PARTICIPATION du chef du Front national au second tour de l'élection présidentielle couronne une carrière politique de plus d'un demi-siècle. Jean- Marie Le Pen a toujours compté sur sa propre personnalité pour imposer son courant politique. Fils de patron pêcheur, né le 28 juin 1928 à La Trinité-sur-Mer, il milite dès l'automne 1947, à la Corpo de droit. Il apprend à séduire une assemblée, à se mettre en scène, et le goût de la provocation. En novembre 1953, il endosse l'uniforme parachutiste, direction l'Indochine, mais il n'y arrive qu'après la chute de Dien Bien Phu. Là, il se jure, s'il en revenait : « Je consacrerai ma vie à la politique. » En 1955, Le Pen intègre l'UDCA, mouvement de Pierre Poujade. Le 3 janvier 1956, à 27 ans, il devient le plus jeune député de France, porté par une vague éphémère.
Dès juillet, il s'engage à nouveau dans l'armée pour participer à l'expédition de Suez, puis aux débuts de la guerre d'Algérie. En 1957, il poursuit le combat, cette fois dans le domaine, à ses yeux décisif, de la politique. En 1960, il participe à la fondation du Front national pour l'Algérie française. Exploitant les ressentiments provoqués par l'indépendance algérienne, il se lance ensuite dans la bataille présidentielle, en animant la campagne de Jean-Louis Tixier-Vignancour. Deux ans de militantisme, pour recueillir, en 1965, un score décevant de 5,27 % des voix.
Le Pen entame une traversée du désert, vit chichement de sa maison de disques politiques, la SERP, créée en 1963 avec Léon Gaultier, ancien des guerres coloniales et de la Waffen SS. Il ne refera surface qu'en 1972, quand le groupe activiste néofasciste Ordre nouveau crée le Front national et en offre la présidence à Le Pen, au titre de sa gloire passée. Le rôle de Le Pen perdra son caractère honorifique en 1973, après la dissolution d'Ordre nouveau, dont le noyau militant part fonder le Parti des forces nouvelles (PFN). Le Pen garde le FN, avec quelques amis et un groupuscule « militant » animé par plusieurs anciens SS français. Il commence alors à rassembler, non point les foules mais toutes les familles de l'extrême droite. Il recrute ainsi les réseaux « nationalistes révolutionnaires », dont le chef, François Duprat - qui sera tué dans un attentat à la veille des législatives de mars 1978 -, deviendra vite son second. Le chef du FN agira dix années sans espoirs raisonnables de percer. Il lui est arrivé de commencer des réunions de préau sans public, devant un seul militant venu l'accompagner.
« durafour crématoire »
L'héritage d'un riche sympathisant, le cimentier Hubert Lambert, assurera néanmoins une réelle aisance matérielle à Le Pen, qui est toujours en 2002 le plus fortuné des candidats. Il touche à nouveau le fond politique lors de la présidentielle de 1981. N'arrivant pas à réunir les signatures de maires, Le Pen appelle à « voter Jeanne d'Arc ». Son second, Jean-Pierre Stirbois, venu d'un groupuscule « solidariste » mène une politique d'implantation locale à Dreux. Un score municipal de 17 %, en septembre 1983, accorde au FN une notoriété que Le Pen par ses prestations télévisuelles, notamment lors de l'émission « L'Heure de vérité » du 13 février 1984, va transformer en courant de sympathie. Et, lors des européennes de 1984, qu'il qualifiera de « séisme politique », il récolte 11 %. Le FN additionne alors les voix de celles et ceux qui estiment que la droite française a failli en laissant en 1981 le gouvernement aux socialo-communistes après que de Gaulle eut trahi en laissant l'Algérie aux Algériens en 1962.
Dès lors, Le Pen tente sans succès d'arracher des pans entiers aux partis de la droite républicaine. Il s'attache aussi à constituer, en partie hors du FN, un vivier de candidats. Trente-cinq d'entre eux, dont Le Pen, sont élus députés en mars 1986. Mais il ne les associe pas à la direction du parti. Le patron du FN s'affiche séducteur, et chef. Mais a du mal à travailler en équipe. Le Pen obtient 14,5 % lors de l'élection présidentielle de 1988. Il sent que son électorat évolue. Les déçus de la stratégie politique de la droite sont rejoints par les déçus de la politique sociale de la gauche. Il laisse ses cadres entamer un travail intellectuel et politique ambitieux au début des années 1990. C'est aussi vers cette époque que Jean-Marie Le Pen joue à plein de la provocation et des effets médiatiques.
En septembre 1987, il soutient que les chambres à gaz sont « un point de détail de l'histoire de la seconde guerre mondiale ». Un an plus tard, il récidive par un jeu de mots douteux « Durafour crématoire », du nom de Michel Durafour, ministre de la fonction publique du gouvernement Rocard. C'est alors Bruno Mégret qui joue un rôle moteur. Le FN opère un tournant « social », adopte une orientation anti-américaine, antilibérale. Le Pen s'investit peu dans ce travail de reformulation, synthèse des différentes sensibilités d'extrême droite qui forment alors le FN. Le chef n'est pas la locomotive intellectuelle. Il a pour fonction de traduire dans ses discours cette stratégie destinée à séduire les couches sociales qui craignent la mondialisation libérale, dans ses aspects politiques, sociaux, mais aussi culturels. En effet, Le Pen publie peu et signe surtout des textes écrits par d'autres. Ses éditoriaux ont donc sacrifié aux références, citations et tics de langage de plusieurs cultures de l'extrême droite. En revanche, ses discours « collent » aux attentes du public d'un meeting ou de son électorat. Sa force est de faire coïncider une culture politique, dont il assume toutes les générations et toutes les variantes avec des angoisses sociales bien plus largement répandues.
Il a ainsi su construire un discours qui fournit une réponse unique aux multiples insécurités. L'insécurité résultant de la menace de chômage, du déclin de la classe ouvrière comme de celui des petits commerçants est conjuguée avec la crainte de la délinquance en une description unique, aux causes communes (la mondialisation) et au remède simple : renvoyer les immigrés. En 1995, Le Pen progresse encore, à 15 %. Après les grèves de décembre 1995, son parti tente de construire des relais militants dans les entreprises, mais échoue devant les réactions syndicales. Lors des régionales de 1998, Le Pen engage à nouveau la stratégie du bulldozer contre la droite, qui se divise sur la stratégie à adopter face au FN et manque d'exploser. Une crise éclate lors de la préparation des européennes de l'année suivante. Menacé d'inéligibilité, Le Pen évoque la candidature de sa femme. Tandis que son numéro deux, Bruno Mégret, se propose. Cela suffit pour que Le Pen le pousse vers la sortie. Bruno Mégret part début 1999, mais avec la majorité des cadres. Le Pen préfère risquer de tout perdre que de partager une parcelle de son pouvoir. Il traite de « racistes » et de « nazis » ceux sur qui il s'appuyait la veille pour diriger son parti. Sa priorité est alors de détruire le « félon » Mégret. Il déclare préférer faire 6 % si cela place Mégret à 3 % que 12 % si Mégret obtient 6 %. Les dégâts infligés par la scission sont lourds, des cadres s'éloignent, les relais militants dépérissent, le public militant boude les fêtes et les manifestations. Le Pen passe tout près d'en payer le prix lorsque son appareil démotivé peine à réunir les signatures de maires. Aujourd'hui, Le Pen compte plus sur lui-même, sur son verbe et sur sa verve que sur un appareil affaibli. Jean-Marie Le Pen a toujours mis en avant son propre personnage par rapport à son parti. Il a privilégié les batailles présidentielles. Celle de 2002 est, à ses yeux, la dernière élection présidentielle en France (avant sa dissolution dans l'Europe) et la dernière à laquelle il puisse raisonnablement participer.
RENE MONZAT
Le Monde du 23 avril 2002
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