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Immigration : le gouvernement reste sourd aux critiques émises à gauche

Publié le 17/01/2022

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- Sous la pression du mouvement des sans-papiers et des manifestations contre la loi Debré, les socialistes avaient promis, au printemps, de " supprimer " les lois Pasqua et Debré. Le projet actuel du gouvernement se contente de les réformer. Le texte de Jean-Pierre Chevènement rompt-il avec ceux de ses prédécesseurs ? En modifie-t-il la logique ? En supprime-t-il les effets pervers ? La loi Chevènement va-t-elle réduire le nombre de sans-papiers ? Partiellement. Aujourd'hui, la loi Pasqua " produit " des sans-papiers car elle empêche certains étrangers attachés à la France par des liens familiaux d'être régularisés, tout en interdisant leur reconduite à la frontière. La loi Debré avait quelque peu limité ces impasses. Le projet gouvernemental actuel accentue cette évolution libérale sans pour autant supprimer toutes les situations paradoxales. Ainsi, le texte Chevènement maintient le refus des régularisations en cas de " menace pour l'ordre public ", notion vague laissée à l'appréciation de l'administration. De même, s'il supprime l'exigence d'une entrée régulière sur le territoire pour l'accès à la carte de dix ans, il conserve la nécessité d'un séjour régulier, ce qui exclut de la régularisation des personnes dont le titre de séjour n'est plus valide. Des catégories nouvelles pourront prétendre à des papiers leur permettant de travailler : les étrangers qui souffrent d'une " pathologie grave ", ceux pour qui un refus de séjour porterait atteinte au " respect de la situation personnelle et de la vie familiale ", les bénéficiaires de l'asile territorial ou les conjoints de Français, mais ils ne se verront délivrer qu'un titre de séjour provisoire d'un an renouvelable. Quant aux étrangers sans papiers ayant donné naissance à des enfants en France, ils ne pourront compter que sur l'éventuelle attribution de la nouvelle carte " situation personnelle et familiale " : l'acquisition de la nationalité française par leurs enfants, qui les protégerait définitivement, restera impossible avant l'âge de seize ans. La situation des couples mixtes va-t-elle changer ? Assez largement, mais des blocages subsisteront. Le projet entend faire cesser la suspicion que fait porter la loi Pasqua sur l'ensemble des mariages mixtes. Il autorise, dès la célébration du mariage avec un ressortissant français, la délivrance d'un titre de séjour provisoire d'un an, même si l'étranger n'est pas en situation régulière au moment de l'union. Cette régularisation instantanée mettra un terme au casse-tête des époux condamnés à retourner dans le pays d'origine du conjoint étranger pour obtenir un hypothétique visa pour la France, et qui préféraient souvent la clandestinité à cette démarche aléatoire. Le texte prévoit cependant un contrôle a posteriori : en cas de mariage de complaisance, la carte peut être retirée. Pourtant, dans le cas de ces " mariages mixtes ", le projet maintient à titre exceptionnel l'exigence d'une entrée régulière en France du conjoint étranger, ce qui empêchera la régularisation de certains époux, même si l'union est sincère. Le texte de M. Chevènement maintient également la possibilité pour les maires de suspendre la célébration d'un mariage qu'ils jugent suspect, mais le procureur ne pourra suspendre le mariage moins de dix jours avant sa célébration. La vie familiale est-elle facilitée ? Symboliquement, sans aucun doute. Pour la première fois, une carte de séjour pourra être délivrée au seul titre de la " situation personnelle et familiale ". Les parents d'enfants français, conjoints de Français ou jeunes entrés en France avant l'âge de dix ans, sortiront ainsi de l'impasse où les avait placés la loi Pasqua. D'autres personnes, disposant en France de " liens personnels et familiaux " particulièrement forts mais n'entrant dans aucune catégorie protégée comme certains parents d'enfants nés en France mais qui, depuis la loi Méhaignerie, ne peuvent devenir Français qu'à seize ans, auront également droit à cette carte. Le projet facilite également le regroupement familial, en assouplissant les exigences de revenu et de logement. Le certificat d'hébergement, qui permet aux personnes vivant en France de faire venir leurs famille ou amis, voit lui aussi sa procédure entourée de plus de garanties. Enfin, le nouveau texte limite les possibilités d'interdire du territoire certains délinquants étrangers ayant leur famille en France, en obligeant les tribunaux à motiver une telle décision " au regard de la situation personnelle et familiale " du condamné. Ces ouvertures vont toutefois se heurter à la réalité des pratiques administratives. Qui contrôlera la façon dont les préfectures évalueront les " liens personnels et familiaux " ? Qui vérifiera le respect des nouveaux critères de regroupement familial ? Que changera l'attribution de quelques certificats d'hébergement supplémentaires si les consulats continuent de refuser aussi massivement les visas d'entrée ? La motivation de la fameuse " double peine " (prison et éloignement) n'était-elle pas déjà partiellement inscrite dans la loi Pasqua, avec des effets limités ? L'administration sera-t-elle mieux contrôlée ? Nullement. Il s'agissait pourtant de l'un des principaux griefs adressés aux lois Pasqua et Debré. Elles avaient fait disparaître la " commission de séjour " chargée de surveiller certains refus d'attribution ou de renouvellement de cartes. Elles avaient retiré tout pouvoir à la " commission d'expulsion ", censée se prononcer sur les dossiers d'étrangers expulsés pour trouble à l'ordre public. Elles avaient autorisé l'administration à refuser toute carte pour motif " d'ordre public ". Sur tous ces aspects, le projet Chevènement ne change rien. La politique des visas est-elle assouplie ? Pratiquement pas. Le principe demeure le même : les refus de visas ne sont pas motivés. Les consulats devront, pour la première fois, justifier les refus pour certains étrangers, mais la pratique relativisera sérieusement cette avancée. Les recours ne seront examinés par le Conseil d'Etat qu'après un marathon de plusieurs années. Pourquoi ne pas avoir supprimé purement et simplement les visas pour ces catégories ? Un conjoint ou un parent de Français ne devrait-il pas disposer d'un droit à entrer en France ? Un travailleur auquel le préfet aurait exceptionnellement accordé une autorisation de travail ne devrait-il pas être automatiquement admis sur le territoire ? Pourquoi refuser un visa à une femme autorisée par la préfecture à rejoindre son mari dans le cadre, déjà rigoureux, du regroupement familial ? Pourquoi, de la même façon, continuer à subordonner les visites familiales au double filtre du certificat d'hébergement et du visa ? Le gouvernement souhaite ne pas ébranler le droit de l'Etat à contrôler ses frontières, qui constitue une des bases du " consensus républicain ". Les reconduites à la frontière sont-elles facilitées ? L'architecture générale de la procédure de reconduite à la frontière n'est pas modifiée : l'administration reste largement maîtresse du processus. Les délais de recours sont légèrement allongés mais, en contrepartie, la durée de la rétention est étendue. Est supprimée la procédure de recours dissymétrique introduite par la loi Debré, qui donne un caractère suspensif à l'appel du parquet contre une décision de remise en liberté d'un étranger en instance d'éloignement. Cette abrogation partielle ne va pas dans le sens d'une amélioration de l'efficacité de la procédure de reconduite à la frontière, qui est exécutée dans moins de 30 % des cas. Le gouvernement entend pourtant atteindre cet objectif grâce à l'allongement du délai de rétention de dix à quatorze jours. Ces quatre jours supplémentaires devraient permettre à la police de surmonter deux des principaux obstacles à l'éloignement : l'identification des étrangers qui refusent de décliner leur état civil et l'obtention d'un laisser-passer consulaire pour ceux qui ont fait disparaître leur passeport. Le succès reste hypothétique : ce délai suffira-t-il pour lever l'anonymat qui protège un étranger contre la reconduite ou pour convaincre un consul rétif de reconnaître l'un de ses compatriotes ? L'argument avait déja été utilisé par Charles Pasqua en 1993 pour justifier le passage, qui s'est révélé peu efficace, de sept à dix jours de la durée maximale de rétention. Le droit d'asile est-il étendu ? Oui, mais prudemment. Actuellement, la législation n'accorde l'asile qu'en application de la convention de Genève de 1951. Contrairement aux recommandations du Haut Comité des nations unies pour les réfugiés, la France réserve ce statut aux personnes menacées par leur Etat. Les islamistes algériens peuvent donc être protégés, pas les démocrates pourchassés par les religieux. Pour contourner ce paradoxe, tous les ministres de l'intérieur accordent l'" asile territorial " à certaines de ces personnes. Cette protection, qui touche environ mille personnes chaque année, ex-Yougoslaves et Algériens, est cependant discrétionnaire et provisoire, et ne donne aucun droit au travail. Le projet inscrit l'" asile territorial " dans la loi, en l'étendant à toutes les personnes courant des " risques vitaux " en cas de retour dans leur pays, et leur donne le droit au travail. Ceux qui sont persécutés " en raison de leur action en faveur de la liberté " se verront même accorder un " asile constitutionnel ", en tout point équivalent (droits, aides...) au statut classique. Ces avancées restent pourtant timides. L'asile constitutionnel ne devrait concerner, selon les spécialistes, que quelques dizaines de personnes chaque année. L'asile territorial sera accordé par le ministère de l'intérieur, sans aucune voie de recours efficace et rapide. Quant à l'asile classique, le projet en limite l'accès en proposant une procédure simplifiée et moins protectrice pour les demandeurs issus de pays jugés sans risques. PHILIPPE BERNARD et NATHANIEL HERZBERG Le Monde du 16 septembre 1997
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« L'administration sera-t-elle mieux contrôlée ? Nullement.

Il s'agissait pourtant de l'un des principaux griefs adressés aux lois Pasqua et Debré.

Elles avaient fait disparaître la "commission de séjour " chargée de surveiller certains refus d'attribution ou de renouvellement de cartes.

Elles avaient retiré toutpouvoir à la " commission d'expulsion ", censée se prononcer sur les dossiers d'étrangers expulsés pour trouble à l'ordre public.Elles avaient autorisé l'administration à refuser toute carte pour motif " d'ordre public ".

Sur tous ces aspects, le projetChevènement ne change rien. La politique des visas est-elle assouplie ? Pratiquement pas.

Le principe demeure le même : les refus de visas ne sont pas motivés.

Les consulats devront, pour lapremière fois, justifier les refus pour certains étrangers, mais la pratique relativisera sérieusement cette avancée.

Les recours neseront examinés par le Conseil d'Etat qu'après un marathon de plusieurs années.

Pourquoi ne pas avoir supprimé purement etsimplement les visas pour ces catégories ? Un conjoint ou un parent de Français ne devrait-il pas disposer d'un droit à entrer enFrance ? Un travailleur auquel le préfet aurait exceptionnellement accordé une autorisation de travail ne devrait-il pas êtreautomatiquement admis sur le territoire ? Pourquoi refuser un visa à une femme autorisée par la préfecture à rejoindre son maridans le cadre, déjà rigoureux, du regroupement familial ? Pourquoi, de la même façon, continuer à subordonner les visitesfamiliales au double filtre du certificat d'hébergement et du visa ? Le gouvernement souhaite ne pas ébranler le droit de l'Etat àcontrôler ses frontières, qui constitue une des bases du " consensus républicain ". Les reconduites à la frontière sont-elles facilitées ? L'architecture générale de la procédure de reconduite à la frontière n'est pas modifiée : l'administration reste largementmaîtresse du processus.

Les délais de recours sont légèrement allongés mais, en contrepartie, la durée de la rétention est étendue.Est supprimée la procédure de recours dissymétrique introduite par la loi Debré, qui donne un caractère suspensif à l'appel duparquet contre une décision de remise en liberté d'un étranger en instance d'éloignement.

Cette abrogation partielle ne va pasdans le sens d'une amélioration de l'efficacité de la procédure de reconduite à la frontière, qui est exécutée dans moins de 30 %des cas. Le gouvernement entend pourtant atteindre cet objectif grâce à l'allongement du délai de rétention de dix à quatorze jours.

Cesquatre jours supplémentaires devraient permettre à la police de surmonter deux des principaux obstacles à l'éloignement :l'identification des étrangers qui refusent de décliner leur état civil et l'obtention d'un laisser-passer consulaire pour ceux qui ontfait disparaître leur passeport.

Le succès reste hypothétique : ce délai suffira-t-il pour lever l'anonymat qui protège un étrangercontre la reconduite ou pour convaincre un consul rétif de reconnaître l'un de ses compatriotes ? L'argument avait déja été utilisépar Charles Pasqua en 1993 pour justifier le passage, qui s'est révélé peu efficace, de sept à dix jours de la durée maximale derétention. Le droit d'asile est-il étendu ? Oui, mais prudemment.

Actuellement, la législation n'accorde l'asile qu'en application de la convention de Genève de 1951.Contrairement aux recommandations du Haut Comité des nations unies pour les réfugiés, la France réserve ce statut auxpersonnes menacées par leur Etat.

Les islamistes algériens peuvent donc être protégés, pas les démocrates pourchassés par lesreligieux.

Pour contourner ce paradoxe, tous les ministres de l'intérieur accordent l'" asile territorial " à certaines de ces personnes.Cette protection, qui touche environ mille personnes chaque année, ex-Yougoslaves et Algériens, est cependant discrétionnaire etprovisoire, et ne donne aucun droit au travail. Le projet inscrit l'" asile territorial " dans la loi, en l'étendant à toutes les personnes courant des " risques vitaux " en cas deretour dans leur pays, et leur donne le droit au travail.

Ceux qui sont persécutés " en raison de leur action en faveur de la liberté "se verront même accorder un " asile constitutionnel ", en tout point équivalent (droits, aides...) au statut classique. Ces avancées restent pourtant timides.

L'asile constitutionnel ne devrait concerner, selon les spécialistes, que quelques dizainesde personnes chaque année.

L'asile territorial sera accordé par le ministère de l'intérieur, sans aucune voie de recours efficace etrapide.

Quant à l'asile classique, le projet en limite l'accès en proposant une procédure simplifiée et moins protectrice pour lesdemandeurs issus de pays jugés sans risques. PHILIPPE BERNARD et NATHANIEL HERZBERG Le Monde du 16 septembre 1997. »

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