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Hugo Chavez, le révolutionnaire converti

Publié le 17/01/2022

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6 décembre 1998 - L'ancien colonel putschiste et leader d'une gauche insurrectionnelle a été élu démocratiquement à la présidence de la République du Venezuela. Se déclarant serviteur de Dieu et du peuple, il entend lutter contre la corruption et redresser l'économie de son pays. Tout en s'efforçant de rassurer les milieux d'affaires et les Etats-Unis, premier débouché pour le pétrole IL n'a pas une gueule d'ange ; il vénère le Christ. Le cheveu noir, ras, la tête carrée, la démarche lourde : il a une allure de boxeur. "Je suis un enfant de la violence, mais je la déteste. Je viens de la violence, mais je veux la paix et l'amour." Il aime bien l'histoire des chrétiens, dans laquelle le fils d'un Dieu est envoyé sur Terre pour sauver les hommes. Oui, il est fasciné par "ce soldat-là". Tout son discours s'articule autour d'une obsession : sa mission. Même s'il ne l'énonce pas de cette manière, il truffe ses interventions d'allusions et de renvois au Nouveau Testament. "Dieu est présent dans ma vie, dans mes pensées, dans mes actes, surtout lorsque j'étais en prison", assure-t-il, en ajoutant que pendant cette période de deux années de réclusion, il a "été au fond de l'abîme". Sa voix désespérément monocorde ne gagne en rythme et en nuances qu'à l'instant où il évoque "le peuple qu'il a choisi de servir" et lorsqu'il laisse libre cours à son indignation et à sa révolte face à la misère "rampante et croissante qui sévit" dans son pays. Une photo de lui, prise il y cinq ans dans une cellule de sa prison, avec dix de ses "compagnons d'armes", amorce son destin : certains d'entre eux sourient, lui non. Il se tient raide, la moue boudeuse et le regard triste. A l'arrière-plan, un dessin érigé en banderole de protestation représente le Christ les poings liés, la mine basse avec un énorme titre : "Jésus prisonnier". Hugo Chavez, ancien colonel putschiste de l'armée vénézuélienne, gracié en 1994 par le président Caldera, justifie son coup de force de février 1992 comme une mission au service du peuple. "Nous, jeunes militaires, nous étions indignés par la répression menée par le gouvernement de l'époque après la crise de 1989 où un millier de Vénézuéliens ont été tués par la répression conduite par le gouvernement de Carlos Andres Perez. " Pendant les trois années qui ont précédé leur action, ils ont organisé des milices dans les quartiers pauvres et les bidonvilles de Caracas. Ils se sont préparés à ce qui, pour eux, était inévitable : l'action armée contre l'autorité civile du pays. En 1982, il avait fondé un groupe d'étude, le Mouvement bolivarien révolutionnaire 200 (MBR 200), dans lequel des jeunes de l'école militaire "se réunissaient pour étudier la pensée de Bolivar et discuter de la situation du pays". Son chemin depuis cette époque jusqu'à son élection, dimanche 6 décembre, à la présidence de la République du Venezuela, se trouve dans cette expression d'une révolte, dont les événements de février 1992 ne sont qu'une facette. Il dit, aujourd'hui, que cet itinéraire "est un cadeau de Dieu". Il n'existe, pour lui, aucune rupture entre son serment de "soldat de la patrie et du peuple" et ce coup de force qu'il ne regrette pas et auquel il a renoncé "pour éviter un bain de sang". Tout le reste, depuis cet événement, n'est en fait qu'une rédemption et un apprentissage de la conquête du pouvoir par la voie démocratique. Son discours public est empreint de rhétorique guerrière et de mystique sincère. A quelques heures de son succès, il citait cette maxime d'une humilité qu'il revendique pour lui-même : "Toi soldat, quand tu vas à la bataille, après le triomphe, remercie Dieu et retire-toi pour célébrer ta victoire en silence, parce que demain viendront d'autres batailles." Pour ses adversaires, Hugo Chavez n'a rien d'un paisible curé, repu de sa seule foi. Il est "l'ange exterminateur de la démocratie", celui qui va faire basculer le Venezuela dans la dictature. Ils ont diffusé, à outrance, pendant la campagne électorale, la photo de l'une des victimes de la tentative de putsch de février 1992, qui fit une trentaine de victimes, avec ce slogan : "Pense à ton vote !" L'ancien président Carlos Andres Perez le récuse sans nuances en le qualifiant "de traître à la patrie, de séditieux et de félon". Pendant la campagne, il a prédit que l'élection d'Hugo Chavez mettrait en péril la démocratie vénézuélienne, assurant qu'il "serait renversé dans un laps de temps allant de quatre mois à un an", parce que les forces armées n'admettront pas d'être commandées par un homme qui a violé la Constitution. Hugo Chavez fait peur, et ses adversaires ont tenté jusqu'au bout de jouer avec cet argument en le satanisant. Lui rejette avec de plus en plus de décontraction toutes les rumeurs et les légendes qui ont parsemé les dernières semaines de sa campagne. Non, il n'a jamais combattu avec la guérilla colombienne ; non, il n'est pas lié aux narcotrafiquants ; non, il n'est pas financé par la Libye ; non, il n'est en aucune manière "sous l'influence de Fidel Castro". Il s'indigne d'être contraint de préciser qu'il garantira les libertés individuelles et qu'il n'a aucun plan pour restreindre la liberté d'expression, de réunion ou de rassemblement. "Mon chemin depuis que je suis sorti de prison montre que de telles attaques ne se fondent que sur des rumeurs malveillantes." Il ne se réclame d'aucun modèle. Il ne croit qu'à l'histoire du Venezuela. Il s'accorde quelques emprunts et, après avoir lorgné jusqu'en 1995 vers un "changement radical, total de modèle", propre à toutes les révolutions, il se contente aujourd'hui de récuser le néolibéralisme outrancier pour vanter les mérites de la troisième voie, telle que la présente le chef du gouvernement britannique, Tony Blair. Il se reconnaît évidemment "dans un chef militaire, le père de l'indépendance vénézuélienne, Simon Bolivar". Ses adversaires également. Ses partisans voient en lui le sauveur, celui qu'ils attendaient depuis si longtemps. Et les 60 % de miséreux ou de pauvres du pays, les recalés des classes moyennes, ruinés ou acculés par une économie dépressive, attendent des miracles, des vrais et rapidement. Depuis l'annonce de sa candidature et la succession des enquêtes d'opinion prédisant sa victoire, un vent de panique s'est emparé des états-majors politiques traditionnels et des milieux d'affaires. Après les élections régionales et législatives du 8 novembre, la Bourse de Caracas a plongé de 6,5 % à l'annonce des résultats de la coalition de partis qu'il dirige, le Pôle patriotique, qui a obtenu près d'un tiers des sièges au congrès et huit postes de gouverneur. Une broutille, comparée aux 45 % de chute qui, l'été dernier, ont suivi l'effondrement des cours du pétrole, la richesse principale du pays, puisque l'or noir fournit plus de 50 % des ressources du budget de l'Etat. Pendant que le peuple exulte, les adversaires d'Hugo Chavez redoutent les mesures que pourrait prendre ce baroudeur para, héros d'une gauche insurrectionnelle, fraîchement converti aux vertus de la démocratie. Il a entretenu le flou sur ses intentions, trop occupé à unir les voix de ceux qui attendent tout de lui. Charismatique, Hugo Chavez porte avec ostentation, dans les meetings populaires, son béret rouge, emblème de ses supporters dans les rues de Caracas et du pays. A l'occasion de ses prestations télévisées, celui que ses supporters appellent "le commandant" se contente, à la manière d'un Castro recevant le pape, d'un simple costume civil. De la même manière, il utilise deux discours. Le premier, "pour les masses", consiste en une dénonciation récurrente, aussi facile qu'efficace, de ses adversaires "unis dans une corruptocratie". Ceux qui s'adressent aux élites et à la communauté internationale, sont plus subtils. Il veut avant tout rassurer les Etats-Unis, dont le Venezuela est le premier fournisseur pétrolier, et les autres pays dont la présence est indispensable pour couvrir les besoins en capitaux qu'exige la situation économique. Aussi, tout en raillant les "corrompus", lors des derniers jours de la campagne, alors que sa victoire paraissait de plus en plus certaine, il s'est voulu apaisant. Il a assuré, par exemple, qu'il "garantira la sécurité politique et juridique" dont les investisseurs étrangers ont besoin. Décrit comme "autoritaire, violent et inflexible" par ses détracteurs, il montre, selon un diplomate en poste à Caracas, "une grande capacité d'écoute et d'attention". Pour ses proches, il est un homme "ouvert conciliant, intelligent, sensible et drôle". Le directeur de The Americas Group, Howard Glicken, un conseiller du vice-président américain Al Gore, le décrit dans une note du 16 septembre adressée à l'ambassadeur des Etats-Unis à Caracas, John Maisto, comme étant "attentif aux critiques et tout à fait disposé à modifier ses positions de telle sorte qu'elles n'altèrent pas les relations avec les Etats- Unis ". Le lobbyer américain vante la curiosité intellectuelle et la réceptivité de cet homme qu'il décrit par ailleurs comme "peu sophistiqué ou extrêmement éduqué". Il le juge "malléable et réceptif", au point de recommander aux autorités américaines d'engager un dialogue avec lui, alors qu'il est interdit de visa d'entrée sur le territoire américain, en raison de son passé de putschiste et des similitudes qu'il présente avec un autre dirigeant des Caraïbes, toujours au pouvoir. Hugo Chavez sait que son charisme, né dans l'opposition, se heurtera rapidement à la réalité des contraintes de l'exercice du pouvoir. La dégradation de la situation économique est telle que sa marge de manoeuvre sera réduite. Avec une démagogie sincère, il annonce qu'il prendra des mesures urgentes. Il se dit certain que le mouvement qui est en route va au-delà de lui-même. "Nous sommes en train de construire, dit-il , un mouvement social national qui n'est pas celui de Hugo Chavez, mais qui regroupe un ensemble de forces du pays." Il cite l'histoire pour expliquer que les leaders qui tombent sont individuels. Lui se dit certain qu'il ne tombera pas, parce qu'il est le dirigeant d'un mouvement puissant. "Je crois aux miracles, par exemple, à celui de la résurrection d'un peuple", lance-t-il à la foule avant d'évoquer "le rêve collectif qui n'existait plus dans ce pays depuis quarante ans". Il analyse cette élection comme le choix entre la continuité ou la transformation, c'est-à- dire entre "la mort d'une époque et l'avènement d'une autre". Pour lui, "c'est un miracle" qui en annonce d'autres. Sa foi charrie des axiomes de catéchisme mâtinés de réalisme économique. "Je crois que nous allons faire des miracles, comme Jésus de Nazareth multipliant les pains", soutient-il. Ce ne sera pas l'oeuvre d'Hugo Chavez, mais du peuple vénézuélien à travers le travail, grâce à la mise en place d'une économie productive, qui va se développer au- delà de la seule ressource pétrolière. Il décline, alors, tous les secteurs non exploités de ce pays potentiellment riche pour ses vingt millions d'habitants, que ce soient les petites et moyennes entreprises, le secteur rural, etc. Et il annonce : "Nous allons faire des miracles avec la main, avec le coeur, avec la raison et l'intelligence. Nous allons en finir avec la misère et la pauvreté." Son cheval de bataille, l'une des raisons de sa popularité, c'est sa dénonciation radicale de la corruption, qui coûte au pays, selon les estimations, plus de 15 % de sa richesse. Sur ce thème, il est apparu comme le seul candidat crédible, une sorte de justicier qui n'a jamais appartenu aux partis qui, eux, ont géré la corruption. Ses propos sont d'une parfaite banalité pour les Vénézuéliens, et sa proposition d'une Assemblée constituante destinée à l'éradiquer en jetant les fondements d'une cinquième République (d'où le nom de son parti, Mouvement cinquième république, MVR) est résolument populaire. En plaçant le peuple, consulté par référendum, comme seul acteur d'une réforme radicale de la République, il nie toute légitimité à ceux (députés, sénateurs, gouverneurs) qui ont été démocratiquement élus, le 8 novembre. Parce qu'il ne dispose pas d'une majorité politique au Congrès qui lui permettrait de mener à bien cette entreprise, il en appelle au peuple "qui récupère sa dignité, son espérance ; un peuple qui va montrer au monde entier ce dont il est capable". Il prend ainsi le risque d'un affrontement avec son opposition, voire, d'un coup de force anticonstitutionnel, déjà dénoncé par ses adversaires et par de nombreux juristes. Il le sait, mais il aime les batailles et les affrontements tout autant que les miracles. ALAIN ABELLARD Le Monde du 8 décembre 1998

« Il s'indigne d'être contraint de préciser qu'il garantira les libertés individuelles et qu'il n'a aucun plan pour restreindre la libertéd'expression, de réunion ou de rassemblement.

"Mon chemin depuis que je suis sorti de prison montre que de telles attaques nese fondent que sur des rumeurs malveillantes." Il ne se réclame d'aucun modèle.

Il ne croit qu'à l'histoire du Venezuela.

Il s'accorde quelques emprunts et, après avoir lorgnéjusqu'en 1995 vers un "changement radical, total de modèle", propre à toutes les révolutions, il se contente aujourd'hui de récuserle néolibéralisme outrancier pour vanter les mérites de la troisième voie, telle que la présente le chef du gouvernement britannique,Tony Blair.

Il se reconnaît évidemment "dans un chef militaire, le père de l'indépendance vénézuélienne, Simon Bolivar".

Sesadversaires également. Ses partisans voient en lui le sauveur, celui qu'ils attendaient depuis si longtemps.

Et les 60 % de miséreux ou de pauvres dupays, les recalés des classes moyennes, ruinés ou acculés par une économie dépressive, attendent des miracles, des vrais etrapidement. Depuis l'annonce de sa candidature et la succession des enquêtes d'opinion prédisant sa victoire, un vent de panique s'estemparé des états-majors politiques traditionnels et des milieux d'affaires.

Après les élections régionales et législatives du 8novembre, la Bourse de Caracas a plongé de 6,5 % à l'annonce des résultats de la coalition de partis qu'il dirige, le Pôlepatriotique, qui a obtenu près d'un tiers des sièges au congrès et huit postes de gouverneur.

Une broutille, comparée aux 45 % dechute qui, l'été dernier, ont suivi l'effondrement des cours du pétrole, la richesse principale du pays, puisque l'or noir fournit plusde 50 % des ressources du budget de l'Etat. Pendant que le peuple exulte, les adversaires d'Hugo Chavez redoutent les mesures que pourrait prendre ce baroudeur para,héros d'une gauche insurrectionnelle, fraîchement converti aux vertus de la démocratie.

Il a entretenu le flou sur ses intentions,trop occupé à unir les voix de ceux qui attendent tout de lui.

Charismatique, Hugo Chavez porte avec ostentation, dans lesmeetings populaires, son béret rouge, emblème de ses supporters dans les rues de Caracas et du pays.

A l'occasion de sesprestations télévisées, celui que ses supporters appellent "le commandant" se contente, à la manière d'un Castro recevant le pape,d'un simple costume civil. De la même manière, il utilise deux discours.

Le premier, "pour les masses", consiste en une dénonciation récurrente, aussi facilequ'efficace, de ses adversaires "unis dans une corruptocratie".

Ceux qui s'adressent aux élites et à la communauté internationale,sont plus subtils.

Il veut avant tout rassurer les Etats-Unis, dont le Venezuela est le premier fournisseur pétrolier, et les autres paysdont la présence est indispensable pour couvrir les besoins en capitaux qu'exige la situation économique. Aussi, tout en raillant les "corrompus", lors des derniers jours de la campagne, alors que sa victoire paraissait de plus en pluscertaine, il s'est voulu apaisant.

Il a assuré, par exemple, qu'il "garantira la sécurité politique et juridique" dont les investisseursétrangers ont besoin. Décrit comme "autoritaire, violent et inflexible" par ses détracteurs, il montre, selon un diplomate en poste à Caracas, "unegrande capacité d'écoute et d'attention".

Pour ses proches, il est un homme "ouvert conciliant, intelligent, sensible et drôle".

Ledirecteur de The Americas Group, Howard Glicken, un conseiller du vice-président américain Al Gore, le décrit dans une notedu 16 septembre adressée à l'ambassadeur des Etats-Unis à Caracas, John Maisto, comme étant "attentif aux critiques et tout àfait disposé à modifier ses positions de telle sorte qu'elles n'altèrent pas les relations avec les Etats- Unis ". Le lobbyer américain vante la curiosité intellectuelle et la réceptivité de cet homme qu'il décrit par ailleurs comme "peusophistiqué ou extrêmement éduqué".

Il le juge "malléable et réceptif", au point de recommander aux autorités américainesd'engager un dialogue avec lui, alors qu'il est interdit de visa d'entrée sur le territoire américain, en raison de son passé deputschiste et des similitudes qu'il présente avec un autre dirigeant des Caraïbes, toujours au pouvoir. Hugo Chavez sait que son charisme, né dans l'opposition, se heurtera rapidement à la réalité des contraintes de l'exercice dupouvoir.

La dégradation de la situation économique est telle que sa marge de manoeuvre sera réduite.

Avec une démagogiesincère, il annonce qu'il prendra des mesures urgentes.

Il se dit certain que le mouvement qui est en route va au-delà de lui-même."Nous sommes en train de construire, dit-il , un mouvement social national qui n'est pas celui de Hugo Chavez, mais qui regroupeun ensemble de forces du pays." Il cite l'histoire pour expliquer que les leaders qui tombent sont individuels.

Lui se dit certain qu'il ne tombera pas, parce qu'il estle dirigeant d'un mouvement puissant.

"Je crois aux miracles, par exemple, à celui de la résurrection d'un peuple", lance-t-il à lafoule avant d'évoquer "le rêve collectif qui n'existait plus dans ce pays depuis quarante ans".. »

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