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Hérodote, Histoires (livre I)

Publié le 13/04/2013

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Dans les premiers livres des Histoires (l’Enquête en grec), l’historien grec Hérodote étudie les coutumes et traditions des peuples protagonistes dans les guerres médiques. Enracinant son récit dans d’exhaustives généalogies, le « père de l’histoire « mêle rigueur historique aux récits d’amour, de meurtres et de vengeances, dans lesquels les dieux se révèlent par les oracles.

Histoires d’Hérodote (livre premier)

 

Le pouvoir avait passé, comme nous allons le dire, des Héraclides, à qui il appartenait, à la famille de Crésus, appelée famille des Mermnades. Candaule, que les Grecs nomment Myrsilos, était roi de Sardes ; il descendait d’Alcaios fils d’Héraclès. Car Agron fils de Ninos fils de Bèlos fils d’Alcaios était, le premier des Héraclides, devenu roi de Sardes, comme Candaule fils de Myrsos le fut le dernier. Ceux qui, avant Agron, régnaient sur ce pays descendaient de Lydos fils d’Atys, d’après qui fut appelé lydien ce peuple tout entier, auparavant appelé méonien. Chargés par les descendants de Lydos de l’exercice du pouvoir, les Héraclides en prirent possession en vertu d’un oracle ; ils étaient issus d’une esclave d’Iardanos et d’Héraclès ; il régnèrent l’espace de vingt-deux générations en ligne masculine, pendant cinq cent cinq ans, le fils recevant le pouvoir des mains du père, jusqu’à Candaule fils de Myrsos.

 

 

Or donc, ce Candaule s’était épris de sa femme, et, épris d’elle, il pensait posséder la femme de beaucoup la plus belle du monde. Plein de cette pensée, — parmi ses gardes du corps, Gygès, fils de Daskylos, était son favori, — Candaule, qui, fait confidence à ce Gygès des plus importantes de ses affaires, l’entretenait aussi de la beauté de sa femme, qu’il louait à l’excès. Au bout de peu de temps, — car le destin voulait qu’il arrivât malheur à Candaule, — il adressa à Gygès ces paroles : « Gygès, je pense que tu ne me crois pas quand je te parle de la beauté de ma femme ; c’est que les oreilles des hommes sont plus incrédules que leurs yeux ; fais donc en sorte de la voir toute nue. « Gygès se récria fort : « Maître «, dit-il, « quel propos malsain tiens-tu là, en m’ordonnant de voir ma souveraine toute nue ? En même temps qu’elle se dépouille de sa chemise, une femme se dépouille aussi de sa pudeur. Depuis longtemps, les hommes ont découvert les sages préceptes qui doivent servir à leur instruction. L’un de ces préceptes est celui-ci : que chacun ait les yeux sur ce qui est sien. Je suis persuadé que la reine est la plus belle de toutes les femmes ; et je te prie de ne pas demander des choses déshonnêtes. « En parlant de la sorte, il repoussait la proposition, redoutant que, de cette aventure, il ne résultât pour lui quelque mal. Candaule répondit : « Sois rassuré, Gygès ; et n’aie peur ni de moi, dans l’idée que je te mette à l’épreuve en te parlant comme je fais, ni de ma femme, dans la crainte d’éprouver aucun dommage de son chef ; je prendrai toutes mes dispositions, de façon qu’elle ne s’aperçoive même pas que tu la voies. Je t’introduirai dans la chambre où nous passons la nuit, et te placerai derrière le battant de la porte qui s’ouvre ; aussitôt que je serai entré, ma femme se présentera à son tour pour se coucher ; il y a près de l’entrée un siège ; elle déposera sur ce siège ses vêtements un à un à mesure qu’elle les quittera ; et il te sera loisible de la regarder tout à l’aise. Puis, quand du siège elle se dirigera vers le lit et que tu te trouveras dans son dos, à toi de t’arranger alors pour qu’elle ne te voie pas pendant que tu franchiras la porte. « Ne pouvant trouver d’échappatoire, Gygès prit son parti. Quand l’heure d’aller au lit parut venue, Candaule le mena dans la chambre, où aussitôt après sa femme parut à son tour ; après qu’elle fut entrée, pendant qu’elle posait ses vêtements, Gygès la regarda ; et, lorsqu’il se trouva dans son dos, au moment où elle se dirigeait vers le lit, il se glissa de sa cachette et gagna le dehors. La femme l’entrevit comme il sortait ; mais, bien qu’elle s’aperçût de ce qu’avait fait son mari, elle ne poussa pas des cris de honte et fit semblant de ne s’apercevoir de rien, ayant l’intention de se venger de Candaule ; car, chez les Lydiens, comme aussi chez les autres Barbares en général, être vu nu est, même pour un homme, chose qui induit en grande honte. Sur le moment donc, il en alla ainsi ; elle ne laissa rien voir et se tint coite. Mais, aussitôt que le jour eût paru, elle alerta ceux de ses serviteurs qu’elle voyait lui être le plus fidèles, et fit appeler Gygès. Lui, qui ne pensait pas qu’elle sût rien de ce qui s’était passé, se rendit à l’appel ; car il avait coutume aussi auparavant, quand la reine l’appelait, de venir auprès d’elle. Lorsqu’il fut arrivé, la femme lui dit : « Maintenant, Gygès, de deux routes qui s’offrent, je te donne à choisir celle où tu veux t’engager : tue Candaule et sois possesseur de ma personne et de la royauté des Lydiens ; ou bien c’est toi-même qui dois périr sur l’heure sans plus d’affaires, pour ne plus désormais, en obéissant en toutes choses à Candaule, voir ce qui t’est interdit. Ou bien lui, qui a formé ce complot, doit perdre la vie, ou bien toi, qui m’as regardée nue et as agi contre les convenances. « Gygès, pendant un temps, s’étonna de ce qu’on lui disait ; ensuite il supplia qu’on ne l’enfermât pas dans la nécessité de faire un pareil choix. Il ne réussit pourtant pas à persuader la reine, mais se vit véritablement en face de la nécessité ou de tuer son maître ou d’être lui-même tué par d’autres ; il choisit son propre salut. Il posa alors cette question : « Puisque tu me contrains à assassiner mon maître contre mon gré, je voudrais bien apprendre maintenant de quelle manière nous pourrons porter la main sur lui. « Elle répondit : « L’attaque partira du même endroit d’où il m’a fait voir nue ; et c’est pendant son sommeil qu’on portera la main sur lui. « Quand ils eurent combiné le guet-apens, la nuit venue, Gygès, — qu’on ne relâchait pas et qui n’avait aucun moyen de s’échapper, mais qui était forcé ou de périr lui-même ou de tuer Candaule, — suivit la femme dans la chambre à coucher ; elle lui donna un poignard et le cacha derrière la même porte ; puis, tandis que Candaule reposait, Gygès se glissa hors de sa cachette, le tua et devint possesseur de sa femme et de sa royauté. Archiloque de Paros, qui vécut vers la même époque, a aussi fait mention de lui dans un trimètre ïambique.

 

 

Il entra en possession de la royauté et y fut confirmé par l’oracle de Delphes. Comme les Lydiens en effet prenaient mal le meurtre de Candaule et qu’ils étaient en armes, les partisans de Gygès et les autres Lydiens tombèrent d’accord que, si l’oracle le désignait pour être roi des Lydiens, il règnerait ; que, dans le cas contraire, il restituerait le pouvoir aux Héraclides. Or l’oracle le désigna ; et ainsi Gygès devint roi. Toutefois, la Pythie ajouta que les Héraclides seraient vengés sur leur quatrième descendant de Gygès. Mais ni les Lydiens ni leurs rois ne tinrent compte de cette prédiction avant qu’elle fût accomplie.

 

 

Voilà comment les Mermnades s’emparèrent de la royauté en dépouillant les Héraclides.

 

 

Source : Hérodote, Histoires, trad. de Ph.-E. Legrand, Paris, Les Belles-Lettres, 1964.

 

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