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GUIZOT (1787-1874). Cromwell

Publié le 17/01/2022

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Né à Nîmes, d'une famille protestante, François Guizot fit ses études à Genève et vint à Paris faire son droit, en 1805. En 1812, il fut nommé professeur d'histoire à la Sorbonne. Dans cette chaire, il étudia les institutions de la France; son cours fut fermé en 1822, et repris seulement en 1828, sous le ministère Martignac. La Révolution de 1830 l'interrompit de nouveau, et fit de Guizot un politique. Ses principaux ouvrages, en grande partie tirés de ses cours de la Sorbonne sont : Histoire du gouvernement représentatif (1822), Essais sur l'histoire de France (1823), Histoire de la Révolution d'Angleterre (parue en trois fois, de 1826 à 1856), Histoire de la civilisation en Europe et en France depuis la chute de l'Empire romain (1828-1830), Washington (1841), Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps (1858-1868).
Guizot est un philosophe de l'histoire, un homme qui cherche l'esprit des institutions, et qui d'ailleurs se base sur une étude exacte et savante des documents; chez lui, comme chez Montesquieu, l'analyse a précédé la synthèse. Personne ne fut moins utopique que ce théoricien de la civilisation.
Il néglige peut-être trop la peinture pittoresque et vivante des hommes et des faits; il écrit volontiers d'une manière sentencieuse; il dédaigne de plaire. Ce qui le sauve de la froideur, c'est la conviction de sa double foi religieuse et libérale, et l'ardeur mesurée mais profonde avec laquelle il plaide pour ses idées.


Cromwell (1832).


Ce portrait de Cromwell devra être comparé avec celui que trace Bossuet (Oraison funèbre d'Henriette de France). Le deuxième paragraphe pourra devenir l' occasion d'une courte analyse du Cromwell de V. Hugo, qui se termine par ces mots : « Quand donc serai-je roi? « Enfin on signalera aux élèves le Cromwell de Carlyle, dans le livre intitulé : les Héros.
Cromwell mourut dans la plénitude de son pouvoir et de sa grandeur. Il avait réussi au delà de toute attente, bien plus que n'a réussi aucun autre des hommes qui, par leur génie, se sont élevés, comme lui, au rang suprême, car il avait tenté et accompli, avec un égal succès, les desseins les plus contraires. Pendant dix-huit ans, toujours en scène et toujours vainqueur, il avait tour à tour jeté le désordre et rétabli l'ordre, fait châtier la révolution, renversé et relevé le gouvernement de son pays. A chaque moment, dans chaque situation, il démêlait avec uni; sagacité admirable les passions et les intérêts dominants pour en faire les instruments de sa propre domination, peu soucieux de se démentir pourvu qu'il triomphât d'accord avec l'instinct public, et donnant pour réponse aux incohérences de sa conduite l'unité ascendante de son pouvoir. Exemple unique peut-être que le même homme ait gouverné les événements les plus opposés et suffi aux plus diverses destinées. Et dans le cours de cette carrière si forte et si changeante, incessamment en butte à toute sorte d'ennemis et de complots, Cromwell eut de plus cette faveur du sort que jamais sa vie ne fut effectivement attaquée; le souverain contre lequel était écrit le pamphlet : Tuer n'est pas assassiner, ne se vit jamais en face d'un assassin. Le monde n'a point connu d'exemple de succès à la fois si constants et si contraires, ni d'une fortune si invariablement heureuse au milieu de tant dé luttes et de périls.
Pourtant Cromwell mourut triste. Triste, non seulement de mourir, mais aussi, et surtout, de mourir sans avoir atteint son véritable et dernier but. Quel que fût son égoïsme, il avait l'âme trop grande pour que la plus haute fortune, mais purement personnelle et éphémère, comme lui-même ici-bas, suffît à le satisfaire. Las des ruines qu'il avait faites, il avait à coeur de rendre à son pays un gouvernement régulier et stable, le seul gouvernement qui lui convînt, la monarchie avec le Parlement. Et en même temps ambitieux au delà du tombeau, par ' cette soif de la durée qui est le sceau de la grandeur, il aspirait à laisser son nom et sa race en possession de l'empire dans l'avenir. Il échoua dans l'un et l'autre dessein : ses attentats lui avaient créé des obstacles que ni son prudent génie ni sa persévérante volonté ne purent surmonter; et comblé, pour son propre compte, de pouvoir et de gloire, il mourut déçu dans ses plus intimes espérances, ne laissant après lui, pour lui succéder, que les deux ennemis qu'if avait ardemment combattus, l'anarchie et les Stuarts.
Dieu n'accorde pas aux grands hommes qui ont posé dans le désordre les fondements de leur grandeur le pouvoir de régler, à leur gré et pour des siècles, même selon leurs meilleurs désirs, le gouvernement des nations.


(Histoire de la Révolution d'Angleterre, La République et Cromwell, t. II, livre VIII, Perrin et Cie, éditeurs.)


QUESTIONS D'EXAMEN


I. — L'ensemble. — Nature du morceau : un portrait. — 1° Le portrait d'un personnage comporte habituellement la description de ses traits physiques et celle de ses traits intellectuels et moraux : est-il question ici des traits physiques de Cromwell? 2° Quels traits intellectuels et moraux de ce personnage sont indiqués par l'auteur? (sa prodigieuse activité, — son admirable sagacité..., etc...); 3° A quel moment de l'existence de Cromwell, Guizot parle-t-il de lui? 4° Quelle idée développe-t-il dans la première partie du morceau? (Cromwell avait tenté et accompli, avec un égal succès les desseins les p',4s contraires. En suivre le développement); 5° Quelle est l'idée développée dans la seconde partie? (Et pourtant Cromwell mourut triste. — En indiquer les raisons) ; 6° Montrez le contraste qui existe entre ces deux parties; 7° Et cependant, il y a unité dans le morceau, faire ressortir cette qualité littéraire.
II. — L'analyse du morceau. — 1° La division du morceau est tout indiquée : donnez un titre à chacun des trois alinéas; —2° N'y a-t-il pas dans ce morceau quelques réflexions de l'auteur sur le rôle de Cromwell? indiquez-en quelques-unes; 3° Cromwell mourut dans la plénitude de son pouvoir et de sa grandeur : citez quelques autres grands hommes, et dites s'ils sont morts dans une situation identique; 4° Fut-il attenté à sa vie? 5° il aurait voulu laisser le pouvoir à « sa race « : avait-il un fils? Comment l'histoire parle-t-elle de ce fils?
— Le style; — les expressions. — 1° Montrez que le style, dans ce morceau, est net et concis, — que l'auteur dit beaucoup en peu de mots. (Cromwell avait tour à tour jeté le désordre et rétabli l'ordre..., renversé et relevé le gouvernement...; le monde n'a point connu d'exemple de succès à la fois si constants et si contraires, ni d'une fortune si invariablement heureuse...); 2° Mais ce style si sobre et si parfaitement correct n'est ni animé, ni pittoresque; le faire remarquer par l'étude de quelques passages; 3° Quel est le sens des expressions suivantes : la plénitude de son pouvoir, — les incohérences de sa conduite, — l'unité ascendante de son pouvoir, —
ses plus intimes espérances? 4° Indiquez la signification du mot sagacité.
IV.— La grammaire.— 1° Indiquez le contraire de chacun des mots : succès, égoïsme, gloire, — un synonyme du mot anarchie; faites connaître aussi la composition de ce dernier mot; 2° Quels sont les adverbes contenus dans la dernière phrase du premier alinéa? (Le monde n'a point connu...), fonction de chacun d'eux. Rédaction. — Dégagez, d'après le récit de Guizot, les principaux traits du caractère de Cromwell.
  

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