Devoir de Philosophie

Grand cours: LE DROIT (2 de 16)

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

droit

I) LE FONDEMENT DU DROIT

- Dans l’introduction, nous avons défini le droit comme un ensemble de règles établies dans une société (droit positif), de sorte que tout ce qui est conforme à ces règles est légal. Mais ces lois positives sont-elles toujours légitimes ? Au nom de quel principe peut-on décider de ce que la loi doit prescrire ou non ? Au nom de quel principe peut-on décider si une loi est juste ou non ? Faut-il admettre l’existence d’un droit naturel (idéal de justice), d’un ensemble de principes  moraux immanents à toute conscience humaine, qui serait le fondement des lois positives et au nom duquel nous jugerions de leur valeur ? Poser ce problème, c’est poser la question du fondement du droit et de la valeur objective de l’idée de justice. C’est aussi envisager la question du rapport entre le droit et la morale.

- La question des fondements du droit est une question de nature philosophique qui se distingue de la question des origines ou des sources du droit, qui est une question historique et juridique. Entendons par fondement ce à partir de quoi une chose est possible et par source ou origine le commencement d’une chose comme réelle. Sur quelle autorité en principe indiscutable le droit repose-t-il ? Ce fondement en autorité du droit s’appelle justement légitimité. Nous verrons qu’il y a essentiellement trois sources de légitimité possible : Dieu (théories de droit divin), la nature (droit naturel antique), le peuple (droit naturel moderne).

- En ce qui concerne le rapport entre le droit et la morale, il convient de préciser d’emblée que la morale renvoie à la volonté de l’individu et présente un caractère subjectif, ce qui ne veut pas dire arbitraire. Le droit se déploie dans un autre ordre : il est objectif et s’impose aux individus, quelles que soient leur volonté et leurs intentions (je peux être contre telle ou telle loi, il n’empêche que je suis tenu de lui obéir malgré tout). De fait, c’est précisément parce que les hommes  ne sont pas moraux que le droit est nécessaire. En outre, il existe des questions de droit qui peuvent apparaître moralement neutres en ce qu’elles ressortissent aux règles d’organisation sociale ou politique (la morale n’a rien à dire, par exemple, sur les règles à appliquer pour élire les députés, si bien sûr la juste représentativité des citoyens est garantie). Pour autant, le droit peut-il être pour lui-même sa propre référence et se passer tout à fait de la morale ?

A) DROIT, FAIT ET DEVOIR

- Pour comprendre ce qui fonde le droit, il semble d’abord nécessaire d’établir un certain nombre de distinctions conceptuelles, afin de préciser les caractéristiques, ainsi que la sphère d’appartenance, du droit. Deux notions importantes apparaissent dans le sillage du droit : le fait et le devoir.

1)     LE DROIT ET LE FAIT

- La référence au droit suppose toujours la parole et relève d’abord du jugement : « Tu n’as pas le droit «, « J’ai le droit «. Il s’agit, dans ces expressions, de comparer ce qui est à ce qui doit être. Le fait s’impose : produit par des causes, il est toujours explicable et son existence est incontestable. La force, par exemple, qui est de l’ordre du fait, a toujours une certaine forme d’autorité : “ça ne se discute pas”. Mais l’argument du droit consiste à contester le bien-fondé de ce qui cherche à s’imposer par sa seule présence.

- En ce sens, le droit se présente comme un absolu qui a valeur critique. Se référer au droit, c’est distinguer, au sein de la réalité de fait, ce qui est acceptable de ce qui ne l’est pas. Exemple d’Antigone qui s’insurge contre Créon. Le droit est une série d’énoncés normatifs: parce qu’un certain nombre de comportements observés ou possibles dans le cadre d’une société donnée ne sont pas acceptables, on a imaginé de normer les comportements par des règles de droit, ou règles juridiques, qui instituent des devoirs en prononçant l’interdiction de certains actes, ou l’obligation d’en adopter d’autres. Ainsi les systèmes juridiques se construisent sur la base d’un refus du fait brut, et notamment de la violence entre les particuliers, ou entre les groupes (une bande, un parti politique, un mouvement religieux, etc.).

- Si le droit est une norme idéale, il faut alors le distinguer des lois. Je peux être dans mon bon droit et en opposition avec la loi : mon acte me paraît légitime, en accord avec une norme idéale absolue, mais il n’est pas légal, conforme aux lois instituées. Si l’on ne pouvait pas distinguer le droit des lois, il serait impossible de réclamer des droits que la loi ne reconnaît pas. Le droit de publier  ses écrits, par exemple, existe même dans un pays qui pratique la censure de façon systématique. Le problème, qui sera étudié plus loin, étant de savoir d’où vient ce droit, ce qui le fonde.

- Ces droits idéaux, ou naturels (naturels en ce sens qu’ils ne sont pas institués), ne peuvent néanmoins être efficaces que s’ils sont reconnus par les lois positives, les lois instituées. Le droit, en effet, n’est pas invoqué uniquement pour porter un jugement de valeur sur un fait, mais aussi pour conformer la réalité à l’idée, à l’exigence, à la valeur (celle de justice, en l’occurrence). Le droit est ainsi la référence qui garantit la possibilité d’un acte.

2) LE DROIT ET SES COMPOSANTES

- Le droit apparaît comme le système des lois qui définit les droits et les obligations des sujets soumis à une même autorité étatique. Il est aussi la définition des conditions et procédures selon lesquelles les lois peuvent être appliquées. D’où trois composantes essentielles du droit :

2.1  - Les règles

- Il s’agit des lois ou coutumes  qui délimitent pour chacun le domaine du permis, de l’obligatoire et de l’interdit; ces lois s’organisent de façon hiérarchique et différenciée : certains types de règles l’emportent sur d’autres (une règle de droit international l’emporte sur une règle nationale, une règle appartenant à la constitution l’emporte sur les lois ordinaires…); division des règles quant à l’objet : droit administratif (il règle les rapports entre l’Etat et les citoyens), droit constitutionnel (il s’occupe de la validité des lois et des règles d’organisation du pouvoir), droit civil (il règle les conflits entre les citoyens), droit pénal (il concerne les délits et les peines), etc.

2.2  - Les tribunaux

- Institutions légales, officielles, compétentes pour arbitrer les litiges en fixant des dédommagements et en infligeant des peines conformément à ces règles. Un particulier dispose de la capacité de se plaindre, et de porter devant la justice un litige avec un particulier, ou avec la puissance publique.

- Il existe un accusateur public, représentant du pouvoir exécutif et défenseur des intérêts de la société (un procureur). Selon la nature de l’affaire, il convient de se tourner vers des tribunaux différents : tribunal d’instance (contraventions), tribunal de grande instance (les délits), les assises, où siège un jury populaire (crimes).

- Parmi les décisions de justice, on distinguera celles qui visent à la réparation matérielle d’un tort (versement d’une indemnisation), et celles qui obéissent à une finalité répressive (amende, emprisonnement). En plus de la loi, le droit comporte la série des décisions de justice, qui s’appuient sur une interprétation de la loi et forment la jurisprudence : une décision prise par un tribunal constitue un précédent qui engage le juge qui jugerait une affaire similaire, à rendre un verdict similaire (la jurisprudence, dans le droit français, se développe à partir des imprécisions inévitables de la loi).

- Enfin, l’institution judiciaire n’étant pas infaillible, il convient qu’un recours puisse être déposé contre une décision : en France, par exemple, il est possible de porter devant une cour d’appel une affaire jugée devant un tribunal , de même que la cour de cassation peut être saisie.

2.3  - Les moyens humains et matériels

- Ils permettent de faire appliquer effectivement les décisions judiciaires. L’acte fondateur du droit est l’intervention d’une tierce personne, le juge, entre les parties en conflit, afin de trancher le litige et d’ôter aux particuliers le pouvoir de se faire juges de leur propre cause (il n’est pas possible d’être “juge et partie”). Cela commence avec la fameuse loi du talion qui représente l’une des premières tentatives pour codifier la violence, pour en limiter les débordements : « (…) fracture pour fracture, oeil pour oeil, dent pour dent; selon la lésion qu’il aura faite à autrui, ainsi lui sera-t-il fait…Même législation vous régira, étrangers comme nationaux; car je suis l’Eternel, votre Dieu à tous « (Lévitique 24, 20-22).

- Pour imposer l’exécution de son arbitrage, le juge doit pouvoir disposer d’une force infiniment supérieure à celle d’un particulier, c’est-à-dire de la force de l’Etat (le problème de la nature de la violence légale et/ou légitime sera examinée dans la troisième partie du cours).

- Pour que sa position d’arbitre soit acceptée, il faut que le juge soit indépendant des parties en présence, c’est-à-dire impartial. Si ces trois conditions ne sont pas réunies, c’est le règne de la vengeance et de la violence à l’état brut. La fameuse loi du talion

- Pour une approche plus précise et plus détaillée de la justice, lire le document annexe sur le fonctionnement de la justice en France.

3) LE DROIT ET LE DEVOIR

- Le droit n’existe qu’à la condition que les individus obéissent à la loi : mon droit de circuler librement est corrélatif de mon devoir de respecter les conditions juridiques qui rendent cet acte possible pour moi et pour les autres (exemple, respect des normes de sécurité). Le droit est étroitement lié au devoir : je rends possible la relation de droit par mon attitude active d’obéissance et de respect des normes qui s’imposent à tous. Le devoir signifie ce qui est dû. En tant qu’individu, je dois à la cité le respect des lois qui garantissent mes droits. Le droit est ainsi associé à la justice entendue comme relation de réciprocité : il instaure une relation d’échange dans laquelle chacun peut être reconnu à la fois comme individu et comme membre du tout.

- On peut alors parler d’une réciprocité entre le devoir et le droit : ce qui est un droit pour moi correspond chez autrui à une obligation à mon égard. Et réciproquement, mes devoirs envers autrui sont la contrepartie de ses droits : par exemple, si je suis pris à parti dans un journal, j’ai le droit de me justifier en écrivant au directeur du journal (« le droit de réponse «) et le directeur du journal a le devoir d’insérer ma réponse dans un prochain numéro.

- Or, selon Auguste Comte, le devoir absorbe le droit : la notion de droit peut disparaître sans dommage, la notion de devoir suffisant : si tout le monde fait son devoir envers tout le monde, les droits de tous se trouveront garantis sans qu’il soit nécessaire d’en parler. Et il vaut mieux ne pas parler des droits : chacun ayant un sentiment très vif de ses droits et en leur, il réclamera en leur nom volontiers plus qu’il ne lui est dû. Notion de droit comme alibi honorable de l’égoïsme. Il vaut bien mieux qu’on me parle de mes devoirs envers autrui et qu’on fasse le silence sur mes droits, de peur de fournir des arguments à des revendications individualistes ruineuses pour l’ordre social. La notion de droit, selon Comte, n’a eu d’utilité qu’à une certaine époque de l’histoire où l’individu, au  nom du droit, a lutté contre l’oppression.

- De même, le risque existe que la priorité donnée au « droit à « (droit au travail, au plaisir, à la paresse…) conduise à une véritable aliénation : ce n’est plus l’individu qui a une dette envers l’Etat, c’est l’inverse; l’individu, en position de créancier, n’a qu’à attendre qu’on lui fournisse son dû. La puissance tutélaire d’un Etat qui a confisqué la liberté politique au profit de la consommation s’accommode très bien de ce type de droit.

- C’est ce que souligne Tocqueville dans De la démocratie en Amérique. En effet, les hommes de la modernité ne sont plus menacés par un excès d’inégalité : l’heure est à l’égalité (thème de l’égalité de droit : tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs). Or, selon Tocqueville, nous nous orientons vers une égalité de fait : les hommes « semblables et égaux « ne se distinguent plus par leurs aptitudes ou leurs ressources; ils n’ont plus rien à attendre les uns des autres. L’égalité entraîne paradoxalement la dissolution du lien social parce qu’elle anéantit la complémentarité et renvoie chacun à lui-même. Les individus n’ont plus le sentiment de participer à un dessein collectif. La consommation leur tient lieu d’idéal politique. Leur seule préoccupation est d’accroître leur bien-être sans conflit. Ainsi, par un accord implicite, tous abandonnent leur liberté politique à un pouvoir organisateur, prestataire de services à chacun.

- Le pouvoir mis en place de la sorte a ce privilège de prendre en charge les comportements sans rencontrer de résistance parce que chacun se complaît dans la dépendance. Il n’use pas non plus du discours : il n’a plus besoin de convaincre puisque personne ne perd de temps dans les débats d’idées; il est acquis pour tous que le pouvoir doit gérer la vie de la société pour permettre l’égalité de jouissance            . Cette neutralité est cependant le moyen d’une forme de violence très réelle : le pouvoir n’est pas reconnu comme tel par les individus qui forment des mondes clos; non identifié, il ne peut être ni légitimé ni contesté. Tocqueville montre donc que la mort du politique, la mort des idéologies, l’individualisme qui en est la source seraient les vraies menaces contre la liberté.

- Mais s’il peut être périlleux de trop mettre l’accent sur l’exigence des droits, il ne l’est pas moins d’oublier les droits au profit des devoirs. Il s’avère souvent indispensable de réclamer justice lorsque les autres ne nous donnent pas tout ce qui nous est dû. La personne humaine étant une valeur de premier plan, nous avons le devoir de défendre notre droit. Nécessaire réciprocité des droits et des devoirs. La notion de droit, en effet, enveloppe nécessairement la représentation d’une communauté de personnes, la conscience de la solidarité de chaque personne avec les autres personnes. Kant définit ainsi le droit comme l’a ”ensemble des conditions qui permettent à la liberté de chacun de s’accorder avec la liberté de tous”.

Conclusion

- Au total, le droit définit, pour les individus d’une société, un ensemble d’obligations contraignantes. Il a pour fonction de faire régner l’ordre dans la société et d’établir entre les membres d’une société des rapports de justice. Il a aussi pour finalité de garantir à chaque membre de la société un minimum de liberté et de la protéger contre les empiétements des autres sur la sienne. Il faut, dès lors, distinguer le fait du droit, le droit apparaissant comme une norme idéale qui fonde et justifie un acte, mais aussi un ensemble de règles définissant ce qui est permis et illicite. Il faut alors revenir sur la distinction entre le légitime et le légal et se demander ce qui fonde réellement le droit. 

Liens utiles