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Grand cours: LE DROIT (12 de 16)

Publié le 22/02/2012

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droit

III) LE DROIT ET LA VIOLENCE

- Le droit substitue le règne de la règle à l’incertitude des rapports de force. Une société n’est viable que si ses membres ont la conviction que personne ne pourra remettre en cause par la force ou par la ruse la répartition des rôles et des places, des biens et des charges, des obligations et des pouvoirs, et que seront garanties la stabilité, la régularité, la prévisibilité, la sécurité, sans lesquelles aucune entreprise ne peut aboutir. Pour que l’ordre ainsi établi puisse être accepté, il doit être juste et ne pas être avantageux uniquement qu’au puissant.

- Il existe pourtant une violence du droit, une violence légale, voire légitime, qui fonde le droit, qui débouche sur le droit. Il est, en effet, des cas où la violence semble se justifier (légitime violence, résistance à l’oppression, etc.. Mais s’il peut y avoir un droit à la violence, l’Etat n’en est-il pas le dépositaire ? Que faire alors dans le cas où l’Etat bafoue le droit, où le loi est injsute ? Comment donc envisager la dialectique du droit et de la violence ?

A) L’OPPOSITION DU DROIT ET DE LA VIOLENCE

- Tout semble opposer le droit et la violence : le droit combat la violence, la violence est interdite et sanctionnée, la violence est un déni de droit, une violation de la loi. L’idée d’un droit de la violence, d’un droit à la violence semble donc contradictoire dans les termes.

1)     Force et violence

- Distinguons la violence de la force qui sont souvent confondues. La force, en son sens philosophique fondamental, est énergie, maîtrise de soi (exemple de la fermeté stoïcienne), principe de puissance et d’action, déploiement de la volonté souveraine. La violence désigne au contraire la puissance déchaînée, non maîtrisée par la raison et le discours, une puissance corrompue, à base de colère, par laquelle un sujet exerce une contrainte sur autrui, de telle sorte qu’il exécute et réalise ce qui est cependant contraire à sa volonté et à ses fins.

- A la différence de la force qui est maîtrise de la volonté, la violence refuse de convaincre par persuasion pour contraindre l’interlocuteur ; elle fait partie des moyens « durs « du pouvoir : « La violence est cette impatience dans le rapport avec autrui, qui désespère d’avoir raison par raison et choisit le moyen court pour forcer l’adhésion…La violence se situe à l’opposé de la force, car l’énergie qu’elle met en oeuvre n’est que l’énergie du désespoir « (G. Gusdorf, La vertu de force).

- La violence naît souvent d’un effort pour compenser un sentiment d’infériorité, effacer une frustration (la violence du coléreux), alors que la force est le pouvoir effectif d’exercer une action sur quelque chose ou sur quelqu’un. La force morale, par exemple, est une puissance souveraine, un principe d’action qui implique la maîtrise de soi. La violence apparaît alors comme l’expression d’une faiblesse secrète.

- Il faut aussi distinguer, selon Julien Freund (in Qu’est-ce que la politique ?), la force publique, dont dispose le pouvoir, et la violence : « dès que la force est contestée naît la violence «. Alors que la force contraint, la violence opprime : la violence consiste dans un emploi de la force pour nier l’autonomie, l’intégrité physique, voire la vie de l’autre. En ce sens, la violence est une contrainte physique ou morale tendant à faire réaliser par un individu ou un groupe ce qui est contraire à leur volonté.

- Si le droit a besoin de la force pour sanctionner les transgressions et pour avoir force de loi, il a ceci de caractéristique qu’il transforme essentiellement la nature de la force: le droit use de la force pour sanctionner une transgression et non comme motif des actions; la force est alors proportionnée et son usage est décrété par une puissance impartiale. Le droit suppose ainsi une puissance publique, supérieure aux rapports de force qui régissent inévitablement les rapports interindividuels. Qu’est-ce, en effet, qu’un droit dont le respect n’est pas assuré ? Comment assurer le respect du droit si les sujets de droit ne sont pas soumis à une autorité commune ? Si la loi ne s’applique pas à tous et si personne n’est en mesure de la faire respecter, on passe du droit à la force sans délai.

- Si la force est du côté du droit comme nous allons le voir par la suite, la violence est désordre, tandis que le droit a toujours pour fonction d’exprimer et de maintenir un certain ordre social, de garantir la paix et la sécurité civiles. La violence est du côté du fait, alors que le droit est de l’ordre de la valeur, du jugement, de la norme.

2)     Du droit du plus fort

- Mais cette distinction entre fait  et norme se brouille quand on fait mention du « droit du plus fort «, en suggérant par là que celui qui dispose en fait d’une supériorité physique est en droit d’imposer sa loi à ceux sur qui il l’emporte (« le plus fort a toujours raison «). C’est au nom d’une telle conception qu’on a justifié, dans l’Antiquité, la fréquente réduction en esclavage des prisonniers de guerre. Or y a-t-il un droit du plus fort ? La thèse de Rousseau (in Contrat social, I, 3) est la suivante : la force ne saurait à elle seule fonder l’autorité ; la supériorité physique ne peut créer aucun pouvoir durable. La fontaine, dans Le loup et l’agneau, n’a pas raison d’affirmer que « la raison du plus fort est toujours la meilleure «.

- Le raisonnement de Rousseau est le suivant : si la force ne fonde pas le droit, le droit suppose une soumission volontaire, une reconnaissance, un acte d’assentiment de l’esprit. Or la force, si elle peut me contraindre, ne m’oblige pas : elle n’implique pas que je me soumette à elle en esprit. Ma soumission est le fruit de ma faiblesse. Mais ce constat n’entraîne pas une reconnaissance légitime. L’obligation est une obéissance volontaire et légitime ; la soumission est le fait d’obéir à une puissance contre son gré ; l’autorité est le pouvoir légitime d’imposer l’obéissance, de commander à autrui (il s’agit ici d’une obéissance acceptée excluant la violence directe) ; l’obéissance est l’acte par lequel les individus se plient volontairement à la loi ou à l’ordre légitimes. La force est une puissance physique de l’ordre du fait, et non du droit, un principe de puissance corrompue, un impatience dans la relation à autrui.

- Le rapport nature / force / droit avait déjà été exposé par le sophiste Calliclès dans le Gorgias de Platon. La force fait droit parce qu’elle relève de la nature, alors que la convention est contre-nature : « le luxe, l’incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force, constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiseries et néant « (Gorgias, 491-492). Tous ceux qui prétendent aller contre la nature au nom de la morale, dit Calliclès, ne font que masquer leur propre faiblesse : ce détour par la morale est une ruse des faibles contre les forts pour leur subtiliser le pouvoir.

- Or,  si la force prétend faire droit, c’est parce qu’elle ne peut plus se soutenir comme force. Le prétendu droit du plus fort est un subterfuge, un “sophisme” pour que le fort puisse se maintenir, alors qu’il n’est plus en mesure de la faire. Le problème du pouvoir instauré par la force est, en effet, la durée. Machiavel avait bien vu qu’il s’agissait là d’un problème de technique politique essentiel, puisqu’il s’assignait un double objet dans Le Prince (publié en 1532) : étudier la conquête du pouvoir et sa conservation.

- La force est une puissance physique. Comme telle, elle a des effets qui durent autant qu’elle. Mais le plus fort n’est jamais assez fort pour faire durer sa position par la force. Il a alors recours à une mystification, qui constitue la ruse politique par excellence : il dissimule le véritable état de fait (rapport de forces), et substitue à la force un fondement juridique. Toute l’opération consiste à entériner l’état de fait, à camoufler l’origine réelle du pouvoir, en lui donnant un fondement intemporel, de façon à garantir l’avenir.

- « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir… « La force a par nature un caractère instable : le plus fort exerce sa domination aussi longtemps qu’il ne rencontre pas un plus fort que lui; elle a donc besoin de l’artifice du droit pour dépasser cette caducité (faire croire que la soumission n’a pas pour motif la seule force physique mais la référence à un principe de légitimité).

- Il y a contradiction entre les termes “force” et “droit” : la force produit ses effets avec nécessité; céder à la force est un fait inévitable et prévisible, qui est contenu dans la force comme l’effet dans la cause. D’un fait on ne peut tirer une norme : obéir au plus fort n’est pas un devoir, c’est tout au plus une nécessité (sauf pour les têtes brûlées ou les kamikazes), et celui qui dispose d’une supériorité physique n’est pas en droit d’imposer quoi que ce soit. La relation au droit, à l’opposé, suppose une autorisation ou une injonction qui peut être ou non suivie d’effets : elle n’est efficace qu’en vertu de l’adhésion de la volonté et suppose donc la liberté du sujet. Mais aucune force ne peut se transformer en droit : la force étant une puissance physique, aucun effet moral (juridico-politique) ne peut en sortir. Céder à la force est donc une simple nécessité physique, non un devoir moral.

- Il ne faut donc pas obéir à la force par devoir : le devoir ne convient qu’envers le pouvoir légitime. Il n’y a pas plus d’obligation d’obéir à celui qui exerce un pouvoir par la force qu’à un brigand ; désobéir face à un tel homme est aussi légitime que de se soigner quand on souffre d’une maladie. Encore faut-il être en mesure de faire la différence entre un pouvoir fondé sur la force, mais qui s’est paré d’un discours de légitimité, et un pouvoir réellement légitime. Cela suppose la capacité d’analyser le discours politique de façon à le démystifier : cela suppose l’éducation .

- L’argument de Rousseau met bien en valeur la différence de nature existant entre le fait et le droit. La référence au droit suppose toujours la parole : elle relève d’abord du jugement : “Tu n’as pas le droit”; “J’ai le droit”. Il s’agit, dans ces expressions, de comparer ce qui est à ce qui doit être. Le fait s’impose: produit par des causes, il est toujours explicable et son existence est incontestable. La force, par exemple, qui est de l’ordre du fait, a toujours une certaine forme d’autorité : “ça ne se discute pas”. Mais l’argument du droit consiste à contester le bien-fondé de ce qui cherche à s’imposer par sa seule présence.

- Mais le droit n’est pas invoqué uniquement pour porter un jugement de valeur sur un fait, mais aussi pour conformer la réalité à l’idée, à l’exigence, à la valeur (celle de justice, en l’occurrence). Le droit est ainsi la référence qui garantit la possibilité d’un acte. Aussi le droit doit-il avoir une certaine efficacité, pour ne pas rester cantonner dans l’idéal : il doit avoir “force de loi”. Le droit a besoin de la force pour sanctionner les transgressions et pour avoir force de loi. En ce sens, la force est la violence légale et légitime, au service du droit et de la justice. Problème fondamental : faire en sorte que la justice soit forte et que la force soit juste.

- Nous sommes alors confrontés à un paradoxe : le droit exclut la force, la vengeance, la violence privée, il est du côte de la raison , de l’ordre, de la non violence, de la paix; il suppose pourtant la force s’il veut se faire respecter et s’incarner dans la réalité, c’est-à-dire dans la loi. La question du rapport entre la violence et le droit rebondit avec le problème du droit et de punir. 

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