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Friedrich von Schiller - LES BRIGANDS : Acte II, Scène I

Publié le 22/02/2012

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schiller
Franz von Moor, méditant dans sa chambre. FRANZ. ­ Cela dure trop longtemps pour mon goût. Le docteur prétend qu'il baisse. La vie d'un vieillard est donc une éternité ! Et la voie serait libre devant moi, s'il n'y avait ce misérable et tenace amas de chair qui, comme le chien enchanté du souterrain dans les histoires de revenants, me barre la route des trésors. Faut-il donc que mes projets se courbent sous le joug d'airain du mécanisme ? Faut-il enchaîner l'essor rapide de mon esprit, le réduire à la marche d'escargot de la matière ? Souffler sur une lumière à laquelle déjà les dernières gouttes d'huile ne dispensent plus qu'une vie avare, ce n'est que cela. Et pourtant je voudrais ne pas être celui qui a fait cela, par respect humain. Je ne voudrais pas qu'on le tuât, mais seulement que sa vie fût usée. Je voudrais agir comme le médecin habile, mais à l'inverse. Ne pas barrer le chemin à la nature en me mettant en travers, mais l'aider dans sa propre marche. Nous pouvons bien prolonger les conditions de la vie, pourquoi ne pourrions-nous pas abréger cette vie ? Philosophes et médecins m'ont appris avec quelle précision se rencontrent les manifestations de l'esprit et les mouvements de la machine humaine. Les impressions douloureuses sont toujours accompagnées d'une discordance dans les vibrations mécaniques. Les souffrances morales maltraitent les forces vitales, l'esprit surmené écrase son enveloppe. Quoi donc ? Celui qui saurait ouvrir à la mort cette route nouvelle et la conduire à la demeure de la vie, qui trouverait le moyen de perdre le corps en commençant par l'esprit ? Ah ! quelle oeuvre originale pour qui la réussirait, quelle oeuvre sans égale ! Songe donc, Moor ! Ce serait là un art digne de t'avoir pour inventeur. N'a-t-on pas élevé presque au rang d'une véritable science l'art de mélanger les poisons, et des expériences n'ont-elles pas contraint la nature à indiquer ses limites, de sorte que maintenant on peut compter des années à l'avance les battements du coeur, et dire au pouls : jusque-là, et pas plus loin ! Qui n'essaierait ses ailes en cette science nouvelle ? Et maintenant, comment faudra-t-il m'y prendre pour troubler cette douce et paisible union de l'âme et du corps ? Quel genre de sensations me faudra-t-il choisir ? Par lesquelles la vie est-elle attaquée le plus cruellement ? la colère ? ce loup affamé se rassasie trop vite ; le souci ? ce ver ronge trop lentement pour mon goût ; le chagrin ? cette vipère rampe trop paresseusement ; la peur ? l'espoir l'empêche de gagner du terrain. Sont-ce là tous les bourreaux des hommes ? l'arsenal de la mort est-il si vite épuisé ? (Méditant profondément.) Quoi ? Eh bien ! Quoi ? Non ! ah ! (Sursautant.) L'effroi ! de quoi n'est-il pas capable ? Que peuvent la raison et la religion contre le baiser glacé de ce géant ? Et pourtant ? s'il allait résister aussi à cet assaut ? S'il ­ oh ! viens à mon aide, affliction, et toi, repentir, infernale Euménide, serpent dévorant qui remâches ta nourriture et te repais de tes propres déjections, éternel destructeur en même temps qu'éternel créateur de poison, et toi, remords hurlant, toi qui détruis ta propre maison et blesses ta propre mère. Oh ! venez aussi à mon secours, bienfaisantes divinités, passé au doux sourire, et toi, riant avenir, avec ta corne d'abondance ! Montrez-lui dans vos miroirs les félicités célestes, quand votre pied, dans sa fuite, échappera à ses mains avides… Ainsi, coup après coup, assaut après assaut, j'attaquerai cette vie débile, jusqu'à ce qu'enfin, fermant le cortège des furies, arrive le désespoir ! Triomphe ! triomphe ! Mon plan est fait, difficile et artistement conçu comme pas un, éprouvé et sûr, car (ironiquement) le scalpel ne trouvera à la dissection aucune trace de blessure ni de poison corrosif. (Avec décision.) Allons donc ! (Hermann entre.) Ah ! le deux es machina, Hermann ! […]

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