Epistémologie de l'INFORMATION
Publié le 22/02/2012
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Source: http://www.peiresc.org/DINER/Lexique.pdf
Le problème fondamental de la notion d'information réside dans son objectivation, tant les tentations de subjectivité sont grandes. C'est la question centrale de l'épistémologie : les concepts d'une théorie physique correspondent ils à des « objets de la nature » ou ne sont-ils que des signes fonctionnels qui assurent la cohérence et le succès global de la théorie. Sommes-nous constamment menacés d'holisme sémantique ? Le physicien a-t-il déjà « vu » une information autre que conceptuelle ou métaphorique. On peut se poser la même question pour la matière, l'énergie, l'espace, le temps…. le vide. L'objectivation dépend des expériences sensori-motrices et des consensus sociaux. La matière résulte d'un accord entre observateurs sur les expériences de choc, d'inertie, de gravitation et de manipulation d'objets (et de marchandises). Poincaré parlant des expériences de Jean Perrin sur la détermination du nombre d'Avogadro s'exclame : « Les atomes existent puisque l'on peut les compter ». Mais pendant près d'un siècle encore on ne verra pas les atomes. Les voit on vraiment aujourd'hui avec le microscope à effet tunnel ? Que voit on vraiment ? Ce que les traitements informatiques choisissent d'isoler. Et cependant on manipule les atomes avec le STM. Que manipule-t-on vraiment ? L'atome d'hydrogène n'est encore rien d'autre que l'équation de Schrödinger de l'atome d'hydrogène. Un signe dans une théorie. A-t-on déjà vu une force ou de l'énergie ? Une force c'est la cause mystérieuse d'une accélération, une énergie c'est au mieux le produit d'une masse par le carré d'une vitesse et au pire une énergie potentielle (donc cachée). La théâtralité cosmique de l'énergie nucléaire ne change rien à cela. 163 Or voici qu'à la mécanique classique qui unifiait la physique par « figures » et « mouvements » sous la bannière des concepts fondamentaux « matière » et « énergie », se substitue la mécanique quantique, généralisation de la théorie des probabilités, qui impose à toute la physique sa démarche fondamentale d'étude de l'information dans des espaces mathématiques abstraits. La mécanique quantique est de plus en plus considérée comme une théorie de l'information. Issus de points de vue technologiques ( la machine à vapeur, transmission des signaux radioélectriques), les concepts d'entropie et d'information ont acquis droit de cité au coeur même des théories fondamentales. Avec comme corollaire une ambiguïté viscérale : décrivons nous la réalité ou la connaissance de la réalité ? On ne peut se résoudre à considérer la fonction d'onde en mécanique quantique (l'état) comme représentant uniquement la connaissance (l'information) accessible à l'observateur. Une connaissance cependant bien réelle puisque l'on sait la manipuler et la transférer, ce que prouvent les belles expériences sur la « téléportation » atomique. Comme tous les autres concepts de la physique, le concept d'information doit être jugé en fonction de son rôle explicatif ou tout simplement fonctionnel, ainsi que de la cohérence qu'il assure entre diverses théories. Il a prouvé par exemple son utilité dans l'analyse du comportement des systèmes dynamiques inaugurée par Kolmogorov et qui a permis de caractériser l'existence du chaos déterministe. Le chaos, l'imprédictibilité et l'instabilité dans le comportement des systèmes dynamiques sont remarquablement caractérisés à l'aide de la notion d'information. L'entropie de Kolmogorov-Sinai, traduction de l'entropie de Shannon dans l'univers des systèmes dynamiques, peut être interprétée comme une mesure moyenne de l'information nécessaire pour décrire chaque pas de l'évolution du système. On n'a pas assez insisté sur l'énorme révolution conceptuelle de cette démarche. Car voici que le mouvement, longtemps lié à la matière, puis synonyme d'énergie, devient le théâtre d'un changement d'information. De là à considérer que le mouvement est avant tout l'expression d'une information, il n y a qu'un pas que nous sommes en train de franchir. Tout mouvement est un calcul…….A un atomisme de la matière succède un atomisme des évènements, l'information n'étant qu'un décompte d' évènements élémentaires constituant l'événement global. C'est là une autre vision du monde, en résonance comme toujours avec la technologie dominante. A l'ère de l'énergie, époque de la machine à vapeur et du moteur électrique, succède l'ère de l'information, époque de l'informatique. A une économie de l'énergie succède une économie du calcul. Sans oublier pour autant que l'information n'est pas un objet désincarné, mais se trouve fortement liée à la matière et à l'énergie. Tout comme pour le hasard (et les probabilités) il faut avoir clairement conscience de ce qui relève uniquement d'une théorie mathématique et de ce qui s'incarne dans notre expérience physique du monde. Nous assistons à un lent processus de gésine conceptuelle où les démarches du calcul envahissent la vision de la nature et les modes d'expression artistiques. La prudence s'impose, car les charlatans se livrent à leurs habituelles dérives verbales. Le livre (thèse) de Jérôme Ségal : « Le zéro et le un. Histoire de la notion scientifique d'information au XX ème siècle. Editions Syllapse. Paris 2003 », constitue un excellent panorama de ce phénomène majeur de notre culture.
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