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enfermement, histoire de l'

Publié le 10/04/2013

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histoire
1 PRÉSENTATION

enfermement, histoire de l', sous le terme générique d’enfermement sont traditionnellement regroupées des pratiques sociales de natures différentes qui visent toutes à la sécurité publique ; mais même si l’incarcération des auteurs de crimes et délits et l’internement psychiatrique des malades mentaux en sont aujourd’hui les expressions dominantes, l’historien ne peut occulter les diverses formes de répression et d’isolement social que les sociétés ont utilisées pour mettre à l’écart les individus qu’elle rejette.

2 POURQUOI ENFERMER ?

Historiquement, la prison et l’internement des indésirables visent, chacun à sa manière, des formes de déviance par rapport à la norme. Le rôle de l’enfermement est, avant tout, de protéger la société contre des individus considérés comme dangereux pour l’ordre public, pour les « bonnes mœurs «. L’enfermement constitue donc une parade collective contre une menace jugée extérieure et radicalement « autre «. Aussi, selon les périodes et les morales dominantes, l’enfermement a-t-il revêtu des formes diverses et touché différentes classes d’individus.

En Europe, et particulièrement en France, jusqu’aux débuts de l’Ancien Régime, l’isolement social est bien souvent un emprisonnement temporaire avant l’exécution du châtiment : en ce sens, il n’a pas pour objectif l’amendement de l’individu, mais simplement l’incarcération de celui qui est assigné en justice. Avec la codification de la société sous les hospices des « bonnes mœurs «, l’enfermement devient un moyen de surveillance permanent ; opposants au pouvoir et marginaux sont les premiers à relever de cette nouvelle forme d’isolement social. Dans son sens contemporain, l’enfermement n’émerge qu’après la remise en cause des peines et supplices ancestraux par les philosophes des Lumières et, dans leur sillage, par les révolutionnaires de 1789. La stratégie visée devient alors celle de la punition, puis de la correction. L’enfermement est aujourd’hui conçu comme une mesure provisoire idéalement tendue vers la réintégration des individus temporairement internés : dans les cas d’internement psychiatrique et d’incarcération judiciaire, le sujet détenu, capable de guérison ou d’amendement, reste donc destiné à la réinsertion.

3 L’ENFERMEMENT COMME MOYEN DE CHÂTIMENT
3.1 Origines de l’enfermement répressif

Dans la Grèce et dans la Rome antiques, la prison n’est pas d’un usage très répandu : on lui préfère de beaucoup l’atimie (privation des droits civiques), le bannissement ou l’exil, voire la peine capitale. En définitive, la mort sociale de l’individu suffit à défendre la cohésion du groupe. Dans ces sociétés, l’enfermement tient lieu principalement de détention préventive, de contrainte par corps ou de lieu de torture. Mais si les cités antiques s’opposent à la pratique de l’enfermement pour les citoyens prévenus, lesquels sont confiés à la garde de particuliers, elles n’hésitent pourtant pas à emprisonner les étrangers et les esclaves assignés en justice ; et cet usage laisse supposer que, de façon tacite, les citoyens sont alors conviés à l’exil. Il existe donc des prisons dans le monde antique. Celles des Hellènes sont fort mal connues : on sait simplement que la prison d’Athènes est placée sous la surveillance d’un conseil de magistrats, les Onze. À Syracuse, les Latomies — anciennes carrières situées au cœur de la ville — servent à parquer les prisonniers. À Rome, sur le forum, la Mamertine accueille les criminels et les prisonniers politiques : c’est dans sa prison souterraine construite sous Servius Tullius, le Tullianum, qu’a été exécuté le chef gaulois Vercingétorix.

À l’époque féodale, les puissances royales et seigneuriales disposent également de lieux d’isolement. Les premiers usités ont pour objectif l’oubli social du détenu, comme c’est le cas des donjons et des oubliettes. Les cachots quant à eux, bas et étroits, sont l’antichambre de la torture quand ils ne constituent pas par eux-mêmes, du fait de leur extrême exiguïté — les « fillettes « de Louis XI sont devenues légendaires —, une forme de lent supplice. Image d’Épinal de l’enfermement, ces cachots sont utilisés comme une étape transitoire, passerelle d’une chambre de torture à une autre. Effectivement, la torture et son serviteur (le bourreau), comme les galères ou l’échafaud, ont longtemps été préférés à l’isolement pour châtier les individus sortis d’une norme définie par un pouvoir souvent arbitraire. La justice est alors royale, ecclésiastique ou seigneuriale ; elle suit les desiderata de son dépositaire, et en premier lieu, ceux du monarque qui, par simple lettre de cachet, peut faire enfermer toute personne estimée dangereuse pour la sécurité du royaume : seigneur révolté, ministre déchu, protestants et philosophes.

De fait, durant les périodes médiévale et moderne, le terme de prison s’applique presque exclusivement aux forteresses abritant les opposants politiques, même si certains établissements servent de lieux de sûreté permettant de retenir les accusés jusqu’à leur condamnation. Dans le royaume de France, la Bastille et le château de Vincennes — où séjournent Denis Diderot et le marquis de Sade — en sont les illustrations les plus célèbres. Cette situation est comparable dans les autres pays d’Europe : le château Saint-Ange du Vatican, la Tour de Londres (où ont été détenus le roi de France Jean le Bon puis Thomas More), ou encore les « Plombs « de la Cité des Doges de Venise (d’où Casanova s’est échappé de manière spectaculaire). Les quelques efforts consentis par le pouvoir pour humaniser ces lieux de détention — telle la tentative de réforme d’Henri II en 1557, ou l’effort d’enseignement religieux et d’apprentissage professionnel dans les cellules du Vatican en 1703 (première tentative d’amendement des détenus) —, ne portent guère leurs fruits. En dépit de ces tentatives, il est évident que le traitement des internés est extrêmement rigoureux.

3.2 La prison : de la condamnation du fait criminel à la punition de l’individu

L’institution de la « prison-peine « est à l’origine considérée comme une alternative aux supplices publics de l’Ancien Régime : sous la pression des philosophes des Lumières qui critiquent vivement les pratiques punitives d’une justice jugée archaïque, les mises en scène de la violence légale traversent une profonde crise de légitimité, notamment dans les élites ; les foules urbaines, quant à elles, restent attachées à ces spectacles : la tradition rapporte que, lors de la première utilisation de la guillotine à Paris, devant la froide efficacité de la nouvelle méthode, le peuple attroupé s’est mis à crier « Rendez-nous nos supplices ! «.

Du point de vue des intellectuels et des juristes, la naissance de la prison contemporaine repose sur le désir de trouver une alternative aux peines afflictives de l’Ancien Régime. Le juriste italien Beccaria — auteur du traité Des délits et des peines (1764), ouvrage qui est accueilli très favorablement par les philosophes des Lumières — s’oppose violemment à la pratique de la torture, et plus généralement aux pratiques pénales qui tiennent la douleur physique pour unique étalon de la rétribution. Il s’agit de trouver un nouveau principe d’équivalence entre le mal subi et le mal agi, une nouvelle mesure de conversion qui serve l’ambition de rigueur arithmétique de la nouvelle philosophie pénale. La prison est tout à fait adaptée à cette demande de rationalité, car s’il est difficile de mesurer la douleur, on peut en revanche quantifier très finement le temps de détention.

Du même coup, la prison permet de punir autrement les auteurs de crimes et délits : on ne s’intéresse plus tant au corps qu’à l’âme du sujet ; c’est elle que l’on entend « corriger «, déplaçant sensiblement le centre de gravité du processus pénal du fait vers la personne. La peine est moins orientée vers l’édification et la dissuasion du public et plus concentrée sur « l’homme-criminel « lui-même.

Pour cela, il faut assurer l’emprise totale de l’institution sur le sujet. Le philosophe britannique Jeremy Bentham — père de l’« utilitarisme « — jette le premier les bases de cette théorie dans son Panoptique (1791). Il propose l’inauguration d’un établissement du centre duquel on pourrait surveiller toutes les cellules, une prison « panoptique «. L’adoption de ce projet par la Constituante, en France, avorte cependant immédiatement avec l’insurrection de 1792. Pourtant, certains établissements pénitentiaires construits au xixe siècle sont directement inspirés de la conception benthamienne de l’enfermement, ou plus précisément de la manière de surveiller le sujet enfermé. À cette époque, deux écoles architecturales coexistent pour mettre en place cette théorie : plan circulaire ou plan rayonnant (à ailes) permettent tous deux une surveillance optimale des détenus, comme l’illustrent les constructions du Western Penitentiary de Pittsburgh aux États-Unis (1826) et de la prison allemande de Kassel (à partir de 1873). Ce genre de structure de type totalitaire où le détenu n’échappe jamais au champ de vision potentiel de l’institution trouve, à la fin du xxe siècle, un écho singulier dans la fiction d’Orwell, 1984, entièrement organisée autour d’un œil inquisiteur, celui du « Big Brother «. Ce régime de surveillance universelle vise à assurer une véritable police des conduites sans se préoccuper du sujet éthique.

4 L’ENFERMEMENT CONSÉCUTIF À UNE MORALE DOMINANTE
4.1 Origines de l’accueil des marginaux

L’enfermement ne touche pas uniquement les auteurs de crimes et délits et les opposants au régime. Afin de protéger les « honnêtes gens « des classes présumées dangereuses, pauvres et fous subissent bientôt la politique d’enfermement. Cet enfermement, qui cohabite avec les pratiques de bienfaisance, prend diverses formes sous l’Ancien Régime et trouve ses origines à la période médiévale.

Afin de porter secours aux misérables, les premiers nosocomia du ive siècle — établissements ouverts aux indigents et aux malades — disposent d’annexes faisant office d’asiles : ainsi, l’hôpital d’Édesse, créé en 375, accueille une population aussi diverse que les malades, les chômeurs et les pèlerins. Au Moyen Âge, les fondations servant d’hospices prennent le nom d’Hôtel-Dieu lorsqu’elles sont — ce qui est le plus fréquent — sous la responsabilité de l’évêché ; mais les laïcs participent bientôt à l’édification d’établissements de bienfaisance, comme l’illustre la création de l’hospice de Beaune (1443), par Nicolas Rollin, chancelier du duc de Bourgogne. Ces hôpitaux de charité, Hôtels-Dieu et hospices, qui accueillent indifféremment malades et nécessiteux, ne font pas encore office de lieux d’isolement et les infortunés s’y dirigent volontiers.

4.2 Les hôpitaux généraux, ghettos de marginaux

Il n’en est plus de même au xviie siècle. Une vision normative et codifiée de la société amène les « honnêtes gens « à vivre comme un désagrément la promiscuité des marginaux (indigents, handicapés, fous, prostituées, etc.). À partir du xvie siècle, une politique d’enfermement massif est alors mise en place : les malades mentaux sont considérés comme des déviants marqués du sceau de l’asociabilité, des fauteurs de troubles qu’il faut neutraliser. Il s’agit moins d’un acte d’assistance que d’un moyen de les surveiller, voire de les punir. La preuve en est qu’à l’âge classique, la décision d’internement relève moins du diagnostic médical que du décret de police.

Ainsi, les individus reconnus comme fous — jusqu’alors affectés de vertus et de facultés singulières, comme en témoignent le « fou du roi « à l’époque médiévale, ou encore l’Éloge de la folie d’Érasme — se retrouvent dans les maisons d’internement (parfois appelées « maisons de force «) en compagnie d’une population de marginaux composée de vagabonds, de mendiants et de prostituées, tout un cortège d’hommes et de femmes stigmatisés comme « oisifs et inutiles «. La société qui se fait jour sous la pression d’une classe bourgeoise montante ne reconnaît donc plus, ni au pauvre, ni au fou, aucun accès privilégié à la vérité et à l’intentionnalité divine.

C’est dans ce contexte qu’est promulguée la première Poor Law (1601) sous le règne d’Élisabeth Ire d’Angleterre et qu’apparaissent les hôpitaux généraux dans les grandes villes du royaume de France : par l’édit d’avril 1656 est créé le premier hôpital général à Paris et, sous l’impulsion de Louis XIV, des établissements similaires sont fondés dans des villes comme Marseille et Lyon. Dans ces établissements, les internés sont astreints au travail, rédempteur du péché d’une misérable condition.

Selon une estimation, au cours de l’Ancien Régime, les indigents enfermés représentent 1 p. 100 de la population totale de Paris. Dans ces maisons d’internement, la situation sanitaire est des plus rudimentaires ; aussi, épidémies et maladies endémiques se répandent-elles très rapidement. Les indigents se cachent alors afin d’éviter de terminer leurs jours dans ces nouveaux mouroirs populaires, où la médecine n’est qu’occasionnellement dispensée.

4.3 L’enfermement thérapeutique et médical

Au xviiie siècle, une nouvelle approche de la folie permet l’émergence d’une première spécialisation des lieux d’internement. Avec les Lumières, le diagnostic médical — déjà utilisé dans le droit romain et le droit canon — prend ses lettres de noblesse. Mais ce n’est réellement qu’au xixe siècle qu’une médecine spécialisée voit le jour. Les « aliénistes « exercent alors dans des asiles et approchent la folie comme une maladie liée à des facteurs biologiques. Dès lors, les institutions hébergeant les déficients mentaux ne cessent de se médicaliser. Parallèlement, le malade peut dorénavant bénéficier d’une tutelle juridique : conformément aux vœux de philosophes, il peut être représenté par un tiers. Mais il n’en demeure pas moins que l’individu jugé atteint de troubles mentaux subit l’enfermement, même si ce dernier se veut alors correctif et non plus punitif.

5 DU PROGRÈS À LA RÉGRESSION : LE PROCÈS DE L’ENFERMEMENT

Il apparaît donc qu’à partir du xixe siècle, les internements judiciaire et thérapeutique n’ont plus la même signification qu’au début de l’Ancien Régime. Déjà, d’un point de vue juridique, il revient au médecin d’engager la procédure d’enfermement d’un malade mental, et au juge de prononcer la sentence d’incarcération d’un condamné.

Puis, au cours du xxe siècle, le principe de l’enfermement est à maintes reprises revu et débattu. La réclusion est un temps adoptée comme moyen d’une transformation du sujet par un travail sur son intériorité, ce qui rapproche de façon nouvelle les modalités carcérale et psychiatrique de l’enfermement ; d’ailleurs, l’association criminalité-pathologie mentale se retrouve encore dans les dispositions du nouveau Code pénal français (1992) qui prévoit deux peines successives pour le pervers sexuel criminel : une peine de réclusion criminelle classique assortie d’une peine dite « thérapeutique «.

À la fin des années soixante-dix, dans le sillage du philosophe Michel Foucault — Surveiller et punir (1975) —, de nombreux intellectuels instruisent vigoureusement le procès de l’enfermement. Pour ces derniers, il est avant tout une illustration où se manifestent les modalités d’un contrôle social généralisé et les techniques de normalisation des individus dans les sociétés dites développées. L’un des reproches majeurs qu’ils adressent à la prison est de constituer la délinquance en « milieu «, de transformer la détention en « école du crime « et en marquage social indélébile de la déviance. C’est dans cet esprit que s’est constitué en France, autour de Michel Foucault, le Groupe Intervention Prison (GIP) dont certains principes se retrouvent depuis au fondement de l’actuel Observatoire International des Prisons (OIP).

Soutenus par une actualité pénitentiaire singulièrement chargée (notamment le « Mai 68 des prisons «, grandes émeutes qui ont marqué le début des années soixante-dix), ces mouvements ont un impact considérable sur les travailleurs sociaux qui commencent à investir le milieu pénitentiaire, ainsi que sur les praticiens du champ psychiatrique. De manière significative, c’est de cette époque que date la recherche de peines alternatives à l’enfermement, mieux connues aujourd’hui sous le nom de « peines en milieu ouvert «. De même, pour répondre à une analyse affinée des niveaux de crimes et de délits et pour réformer « l’institution totale « telle qu’elle a été décrite par le sociologue américain Erving Goffman dans son enquête sur le milieu psychiatrique, Asiles (1961), les établissements carcéraux se spécialisent : les maisons d’arrêt abritent les prévenus et les détenus pour une peine inférieure à un an, tandis que les maisons centrales hébergent les prisonniers condamnés à une peine carcérale de plus d’un an.

Mais, paradoxalement, c’est au moment même où se développent les mesures de réparation, de médiation et de mises à l’épreuve en milieu ouvert — mesures qui visent à limiter le recours à l’enfermement jugé psychologiquement trop risqué —, que la durée des peines de prison tend à s’allonger, quand ce n’est pas leur nombre lui-même qui explose, comme aux États-Unis où la population pénitentiaire a connu un taux d’accroissement supérieur à 200 p. 100 en moins de vingt ans. De nombreuses démocraties connaissent des problèmes analogues, problèmes auxquels les États européens répondent par la création de prisons privées, comme en France avec le projet d’Albin Chalandon.

Aujourd’hui, à la différence du xixe siècle, on ne prête plus guère de propriétés rédemptrices à la peine : les utopies négatives de la correction, de l’expiation ou du rachat semblent avoir durablement déserté la scène. De la même manière, la psychiatrie asilaire songe moins à guérir qu’à adapter les comportements et à stériliser les délires. Mais, malgré cette révision à la baisse des ambitions et des justifications, l’enfermement dispose encore d’un long avenir car, comme le souligne l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne «.

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