E. Kant: Sens et valeur des vains désirs
Publié le 22/02/2012
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On a critiqué la définition que j'ai donnée de la faculté de désirer à savoir : la faculté d'être par ses représentations cause de la réalisation des objets de ces représentations, car, a-t-on dit, de simples souhaits sont aussi bien des désirs au sujet desquels chacun se résigne à ne pouvoir, par leur moyen seul, produire leur objet. — Mais ceci prouve uniquement qu'il y a des désirs dans l'homme qui le mettent en contradiction avec lui-même, si par sa représentation seule il vise à la production de l'objet, ce dont il ne saurait attendre aucun succès cependant, conscient de ce que ses forces mécaniques — si je puis nommer ainsi les forces non psychologiques — qui devraient être déterminées par cette représentation pour produire l'objet (donc indirectement), sont ou bien insuffisantes, ou bien même entreprennent quelque chose d'impossible, par exemple de faire que le fait accompli ne le soit pas (O mihi praeteritos, etc.); ou d'anéantir dans une attente impatiente le temps intermédiaire jusqu'au moment désiré. Quoique dans ces désirs fantaisistes nous ayons conscience de l'insuffisance de nos représentations (ou même de leur manque d'aptitude) à être cause de leur objet, néanmoins leur rapport causal et par conséquent la représentation de leur causalité est contenue dans chaque souhait et elle est surtout manifeste quand celui-ci est une affection, l'ardeur du désir. Ces émotions, en dilatant le coeur, en le desséchant et en épuisant ainsi les forces, montrent que les forces sont à diverses reprises tendues par des représentations, mais laissent constamment retomber l'âme dans la lassitude, par impossibilité d'aboutir. Même les prières pour détourner de grands et, semble-t-il, d'inévitables maux, et maints moyens superstitieux pour réaliser des fins impossibles naturellement, prouvent le rapport causal des représentations à leurs objets puisque la conscience même de l'impuissance d'atteindre au résultat ne peut mettre un frein aux effort. — Mais c'est une question de téléologie anthropologique de savoir pourquoi a été mise dans notre nature la tendance à former des désirs que nous savons vains. Il semble que si nous ne devions pas nous déterminer à l'emploi de nos forces avant de nous être assurés de l'efficacité de notre pouvoir de production objective, ces forces resteraient en grande partie inemployées; car, communément, nous n'apprenons d'abord à connaître nos forces qu'en les essayant. Cette illusion des vains désirs n'est donc que la conséquence d'une disposition bienfaisante de notre nature.
E. Kant.
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