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Dreyfus, affaire

Publié le 11/02/2013

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1   PRÉSENTATION

Dreyfus, affaire, crise politique de la IIIe République qui, de 1896 à 1899, a profondément divisé l’opinion publique et entraîné une crise nationale.

Scindée en deux camps antagonistes, l’opinion s’est opposée au sujet de la culpabilité ou de l’innocence du capitaine Alfred Dreyfus, condamné à tort pour espionnage au profit de l’Allemagne. Au-delà du scandale judiciaire, l’affaire Dreyfus a été un puissant révélateur des profonds clivages idéologiques et politiques de la France d’avant 1914. À terme, elle a en grande partie déterminé la représentation de l’« esprit républicain «.

2   D’UN SUPPOSÉ ESPION À UNE CRISE D’AMPLEUR NATIONALE

En septembre 1894, alors que l’État révise les plans de guerre après la conclusion de l’accord secret franco-russe, on découvre au sein du service de renseignements français un bordereau anonyme contenant une liste de documents militaires confidentiels destinés à l’ambassade d’Allemagne. Après une enquête sommaire, le capitaine Dreyfus — Juif d’origine alsacienne — est accusé de cette trahison, l’écriture de celui-ci étant semblable à celle qui apparaît sur le bordereau. Traduit devant le Conseil de guerre, il est condamné à la dégradation et à la déportation à vie au bagne de Cayenne, sur l’île du Diable (22 décembre 1894).

À cette époque, rares sont ceux qui doutent de la culpabilité de Dreyfus, y compris certains de ses futurs défenseurs, tel le socialiste Jean Jaurès. En fait, le procès alimente le discours de la droite nationaliste et en particulier la campagne antisémite menée tambour battant par la Libre Parole, journal d’Édouard Drumont, également directeur de la Ligue antisémitique. Ce dernier voit dans l’affaire un alibi pour faire progresser son idéal de nationalisme xénophobe au sein de l’opinion française.

Pourtant, la famille du capitaine — notamment son frère Matthieu — refuse la condamnation. Avec l’aide du journaliste et publiciste Bernard Lazare, Matthieu veut prouver l’innocence d’Alfred. Dans un premier temps, l’Éclair et le Matin attirent l’attention du public sur la nature suspecte des preuves fondant sa condamnation. Lazare publie une brochure favorable à Dreyfus, relançant l’attention de l’opinion. Surtout, Matthieu Dreyfus et Lazare reçoivent l’appui décisif du colonel Georges Picquart, chef du 2e Bureau (service des renseignements). Celui-ci découvre l’identité du probable coupable : le commandant Esterhazy. Mais les autorités militaires refusent de revenir en arrière. Un an plus tard, toutes ses tractations ayant échoué, Matthieu Dreyfus révèle cette découverte dans le Figaro. Pour empêcher une révision du procès, les autorités militaires traduisent Esterhazy devant le Conseil de guerre, qui l’acquitte (10 janvier 1898). Quant à Picquart, il est muté dans le sud de la Tunisie, avant d’être mis aux arrêts, puis réformé.

Devant l’évidente volonté du gouvernement de laisser s’épuiser l’affaire, l’écrivain Émile Zola décide de frapper un grand coup pour alerter l’opinion. Le 13 janvier 1898, avec l’accord de Georges Clemenceau qui en dirige la rédaction, il publie « J’accuse « dans l’Aurore. Cette lettre ouverte au président de la République dénonce le déni de justice commis par l’armée et ses complices, hommes politiques et magistrats. Zola est condamné pour diffamation à un an de prison ferme et à une amende.

Mais le procès Dreyfus a pris une nouvelle envergure. Désormais, l’attention de l’opinion et des ténors de l’intelligentsia, du monde politique de droite et de gauche, se braque vers ce que l’on nomme dorénavant « l’Affaire «.

3   L’OPINION SE DIVISE EN DEUX CAMPS

Si l’affaire Dreyfus prend alors une tournure hautement politique et débouche sur une crise morale nationale paroxystique, c’est que le contexte favorise l’exaspération de l’opinion publique.

Sur le plan économique, la période est difficile. Sur le plan politique, la IIIe République a vu éclore, puis s’affirmer un courant nationaliste et revanchard (faisant suite à l’échec de la guerre de 1870), antiparlementaire que la crise boulangiste de 1886-1889 a amplement nourri, avant que le scandale de Panamá ne lui serve de relance.

L’affaire Dreyfus s’inscrit donc dans une période d’instabilité. Avec elle, le monde politique et journalistique trouve prétexte à une véritable guerre de l’écrit par éditorialistes interposés. En une période où les journaux sont nombreux et ont une diffusion en constante augmentation — on parle de « l’âge d’or de la presse « —, cette guerre de l’écrit donne définitivement à l’Affaire une ampleur nationale. L’enjeu de l’affaire Dreyfus en est évidemment accru puisqu’il imprime sa marque sur la vie politique et fait que l’opinion se divise en deux camps.

3.1   Les dreyfusards

Au nom de la vérité, de la justice et des droits de l’individu, les partisans de la révision du procès, les dreyfusards, exigent que le jugement de 1894 soit cassé. Cette position est notamment défendue dans les colonnes de l’Aurore, de la Petite République, du Figaro, du Siècle. Le camp dreyfusard, majoritairement de gauche, souvent anticlérical et antimilitariste, comprend des socialistes (Jean Jaurès), des radicaux et des républicains. Il rassemble des protestants et francs-maçons que les antidreyfusards assimilent aux « juifs « et aux « métèques « dans un vaste et supposé complot contre la France.

Enfin, un des principaux caractères de l’antidreyfusisme est d’avoir entraîné l’acte de naissance des intellectuels en tant qu’acteurs du débat public. Clemenceau en lance le concept en janvier 1898 avec la publication du Manifeste des intellectuels. Nombre de scientifiques, de professeurs, de journalistes, se mobilisent dans la Ligue des droits de l’homme, fondée en juin 1898.

3.2   Les antidreyfusards

Chez les antirévisionnistes ou antidreyfusards, au nom de la défense de l’honneur de l’armée, de la patrie et de la raison d’État, on refuse tout retour en arrière (c’est aussi la position du président de la République Félix Faure). Beaucoup se plaisent en outre à lire la foisonnante publication de textes antisémites. Avec des nuances propres à chacun d’entre eux, ce sont ces positions que répercutent auprès des lecteurs des quotidiens généralistes (l’Autorité, la Croix, le Gaulois), mais plus encore des organes des ligues d’extrême droite (en particulier la Libre Parole ou l’Antijuif).

Du côté des antidreyfusards en effet, outre l’écrasante majorité du clergé et de l’armée, on trouve les ténors du courant nationaliste, souvent antisémites, mais également la plupart des monarchistes et des catholiques qui voient là une nouvelle occasion de combattre la République laïque. Ainsi, plusieurs ligues, peu avant la crise ou durant la crise, fédèrent en partie cette opinion : la Ligue des patriotes (fondée par Paul Déroulède en 1882), la Ligue antisémitique (fondée par Édouard Drumont et Jules Guérin en 1886), la Jeunesse antisémitique française (1893), la Ligue de la patrie française (1898, à laquelle appartient Maurice Barrès), enfin l’Action française, créée en 1899, notamment par Charles Maurras, en réponse directe à la création de la Ligue des droits de l’homme, dreyfusarde. Cette opposition sait, elle aussi, mobiliser les intellectuels, en particulier dans les milieux des académiciens (Ligue de la patrie française).

4   VERS LA RÉVISION DU PROCÈS

Progressivement, les dreyfusards gagnent la majorité de l’opinion, au terme cependant de violents événements et passes d’armes.

Pris entre les deux camps, le gouvernement des républicains modérés perd une grande partie de son autorité. Les ministères se succèdent sans réussir à résoudre la crise. L’agitation gagne la rue. Enfin, la découverte d’un faux document dans le dossier Dreyfus (rédigé par le colonel Henry, chef du 2e bureau, qui se suicide), relance la crise. Lors des funérailles de Félix Faure (février 1899), tandis qu’une révision du procès apparaît inévitable et que le nouveau président, Émile Loubet, est décrié par l’opposition (car on l’a accusé autrefois d’avoir étouffé le scandale de Panamá), nationalistes et antiparlementaires manifestent violemment. Dans une sorte de baroud d’honneur, Déroulède tente en vain d’entraîner l’armée à l’assaut de l’Élysée.

En réaction, les républicains, associés à certains modérés, se mobilisent dans un ministère de « défense républicaine « à majorité progressiste. Appuyé sur ce « Bloc des gauches «, Pierre Waldeck-Rousseau dirige ce gouvernement dans lequel entrent des radicaux et, pour la première fois, un socialiste (Alexandre Millerand). Le gouvernement rétablit l’ordre et traduit en justice les fauteurs de troubles. L’autorité du pouvoir civil sur l’armée est ainsi réaffirmée. D’autre part, le gouvernement rouvre le dossier Dreyfus. Le nouveau procès se déroule à Rennes, le 3 juin 1899. Pour ne mécontenter personne, Dreyfus est de nouveau condamné, mais avec des circonstances atténuantes, à dix ans de détention. Il est du reste gracié dix jours après le verdict par le président Émile Loubet.

Ce n’est qu’en 1906 que l’innocence de Dreyfus est définitivement reconnue par la Cour de cassation. Ce jugement entraîne sa réhabilitation et sa réintégration dans l’armée avec le grade de commandant et une gratification hautement symbolique : la Légion d’honneur.

5   LES CONSÉQUENCES DE L’AFFAIRE DREYFUS

Alfred Dreyfus meurt oublié, en 1935, dépassé par le symbole qu’il avait incarné. Mais l’Affaire a durablement marqué l’histoire politique et intellectuelle française. En témoigne le fait que certains de ses protagonistes ont été promis à des destins mémorables. Les cendres de Zola, mort en 1902, sont transférées au Panthéon. Picquart, réintégré et devenu général, devient ministre de la Guerre de 1906 à 1909. En témoigne plus encore le fait que l’affaire Dreyfus est demeurée et demeure encore pour une part, un lourd enjeu de mémoire en France. Elle a en effet nourri de profonds et durables ressentiments dans la société française et influencé la définition du régime républicain.

Dans l’immédiat, la conclusion de l’Affaire entraîne un reclassement des forces politiques et la formation d’un Bloc des gauches décidé à appliquer un programme anticlérical — qui aboutit à la séparation de l’Église et de l’État en 1905. Rejetée dans l’opposition, la droite antidreyfusarde se replie sur des valeurs tranchées (militarisme et cléricalisme notamment) en décalage avec la consolidation progressive du régime républicain pluraliste. À l’opposé et avec une influence à plus long terme, l’ex-camp dreyfusard s’identifie étroitement à la République. Ils impriment leur marque sur la notion d’« esprit républicain « (celui qui légitime encore la possibilité d’accéder aux responsabilités gouvernementales). Cette conception est étroitement associée aux notions universelles de défense des droits de l’homme et de l’opprimé (devant la raison d’État), de justice, de laïcité, de respect des droits de la nation souveraine exprimés par le parlement. Cette philosophie de la République marque en profondeur toute la génération des hommes politiques qui ont vécu l’Affaire et ont conduit les destinées de la IIIe République jusque dans les années 1930.

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