Donatien Alphonse François, dit le marquis de Sade : LA NOUVELLE JUSTINE - Chapitre X
Publié le 22/02/2012
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"Poursuivons : les goûts cruels t'étonnent.
"Quel est l'objet de l'homme qui jouit ? n'est-il pas de donner à ses sens toute l'irritation dont ils sont susceptibles, afin d'arriver mieux et plus chaudement à la dernière crise ?... crise précieuse qui caractérise la jouissance de bonne ou de mauvaise, en raison du plus ou moins d'activité dont s'est trouvée cette crise ? Or, n'est-ce pas un sophisme insoutenable, que d'oser dire qu'il est nécessaire pour l'améliorer qu'elle soit partagée de la femme ? N'est-il donc pas visible que la femme ne peut rien partager avec nous sans nous prendre, et que ce qu'elle dérobe doit nécessairement être à nos dépens ? Et de quelle nécessité est-il donc, je le demande, qu'une femme jouisse quand nous jouissons ? y a-t-il dans ce procédé un autre sentiment que l'orgueil qui puisse être flatté ? Eh ! ne retrouvons-nous pas d'une manière bien plus piquante la sensation de ce sentiment orgueilleux, en forçant au contraire avec dureté cette femme à s'abstenir de la jouissance, afin que nous jouissions seuls, afin qu'entièrement à nous, rien ne l'empêche de s'occuper de nos seuls plaisirs ? la tyrannie ne flatte-t-elle pas l'orgueil d'une manière bien plus vive que la bienfaisance ? Celui qui impose n'est-il pas bien plus sûrement le maître que celui qui partage ? Mais, comment put-il venir dans la tête d'un homme raisonnable que la délicatesse eût quelque prix en jouissance ! Il est absurde de vouloir soutenir qu'elle y soit nécessaire ; elle n'ajoute jamais rien au plaisir des sens ; je dis plus, elle y nuit : c'est une chose très différente que d'aimer ou que de jouir ; la preuve en est qu'on aime tous les jours sans jouir, et qu'on jouit encore plus souvent sans aimer. Tout ce qu'on mêle de délicatesse dans les voluptés dont il s'agit ne peut être donné à la jouissance de la femme qu'aux dépens de celle de l'homme ; et tant que celui-ci s'occupe de faire jouir, assurément il ne jouit pas, ou sa jouissance n'est plus qu'intellectuelle, c'est-à-dire, chimérique et bien inférieure à celle des sens. Non, Justine, non, je ne cesserai de le répéter, il est parfaitement inutile qu'une jouissance soit partagée pour être vive et pour rendre cette sorte de plaisir aussi piquant qu'elle est susceptible de l'être : il est, au contraire, très essentiel que l'homme ne jouisse qu'aux dépens de la femme ; qu'il prenne d'elle (quelque sensation qu'elle en éprouve) tout ce qui peut donner de l'accroissement à la volupté dont il veut jouir, sans le plus léger égard aux effets qui peuvent en résulter pour la femme ; car ces égards le troubleront : ou il voudra que la femme partage, alors il ne jouit plus, ou il craindra qu'elle ne souffre, et le voilà dérangé. Si l'égoïsme est la première loi de la nature, c'est, bien sûrement, plus qu'ailleurs, dans les plaisirs de la lubricité que cette céleste mère désire qu'il soit notre unique mobile : c'est un très petit malheur que, pour l'accroissement de la volupté de l'homme, il lui faille ou négliger ou troubler celle de la femme ; car, si ce trouble lui fait gagner quelque chose, ce que perd l'objet qui le sert ne le touche en rien ; il doit lui être indifférent que cet objet soit heureux ou malheureux, pourvu que lui soit délecté : il n'y a véritablement nulle sorte de rapports entre cet objet et lui. Il serait donc fou de s'occuper des sensations de cet objet, aux dépens des siennes ; absolument imbécile, si pour modifier ces sensations étrangères il renonçait à l'amélioration des siennes : cela posé, si l'individu dont il est question est malheureusement organisé, de manière à n'être ému qu'en produisant, dans l'objet qui lui sert, de douloureuses sensations, vous avouerez qu'il doit s'y livrer sans remords, puisqu'il est là pour jouir, abstraction faite de tout ce qui peut en résulter pour cet objet. Nous y reviendrons. Continuons de marcher par ordre.
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