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Don Quichotte : le héros victime de son imagination

Publié le 20/07/2010

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Don Quichotte est le nom que s’est choisi un pauvre hidalgo (gentilhomme) de la Manche, si imprégné de ses lectures qu’il en vient à vouloir vivre à la manière des chevaliers errants du temps jadis, qui parcouraient le monde pour défendre la veuve et l’orphelin ou pour purger la terre de tous les monstres qui l’infestent, au milieu des sortilèges de magiciens et fées plus ou moins bien intentionnés. La « folie « du héros naît de son entêtement à interpréter le monde qu’il parcourt (celui de l’Espagne de Philippe III) en termes systématiquement romanesques : les moulins sont des géants, la moindre paysanne une princesse cachée et les auberges du bord du chemin des habitations seigneuriales. Après une première tentative en solitaire, Don Quichotte revient à son village et décide de s’offrir les services d’un écuyer, qui l’accompagnera désormais dans tous ses déplacements : ce sera Sancho Panza, un paysan de ses voisins. Cette deuxième errance, beaucoup plus longue et ambitieuse, va occuper l’essentiel de la première partie, divisée en cinq séquences ordonnées de manière concentrique autour d’un épisode central :    La « folie « du héros naît de son entêtement à interpréter le monde en termes systématiquement romanesques.  - l’errance et les combats (les moulins à vent, 8 ; la conquête de l’armet de Mambrin, 21 ; la délivrance des forçats, 22 ; etc.) ;  - la pastorale et sa variation : après l’hospitalité des chevriers (11-14), le séjour dans la Sierra Morena (23-29) ;  - l’auberge vers laquelle convergent tous les personnages, qui se racontent et confrontent leurs expériences (16-47) : la somme de leurs expériences résume le monde selon des points de vue divers. Cervantès tente alors de faire coïncider la variété des formes du récit avec la multiplicité des expériences rapportées, quitte à utiliser le procédé du récit inséré ou celui du récit autobiographique ;    - la pastorale (51-52) : échauffourée avec un chevrier grossier et violent rencontré sur la route. La pastorale est donc un monde fictif et rassurant qui a la même fonction que l’univers épico-chevaleresque : servir de consolation à l’humanité et lui rendre supportable une existence sans relief ;  - le retour au village ou l’errance inversée (46-52). Ce « retour à la case départ « est le symbole d’un échec. Don Quichotte, persuadé d’avoir été enchanté par un magicien, est authentiquement emprisonné dans une cage : il incarne alors l’enfermement dans l’imaginaire individuel. Sancho, d’ailleurs, est devenu aussi fou que son maître à qui il conseille de repartir, espérant bien en tirer un glorieux profit pour lui-même : une place de gouverneur, en récompense de ses bons services.  La construction en miroir est là pour montrer que tout le livre tourne autour de cette figure réflexive (l’auberge, microcosme du monde) qui reproduit le mouvement même de la littérature, de la conscience et de l’imaginaire : donner forme et sens au monde. Dans l’épisode de l’auberge, ce dont on traite, c’est précisément de littérature et des différentes formes de récit élaborées par les nombreux personnages qui affluent.    La publication de la seconde partie a été hâtée par la publication d’un faux, dû à la plume d’Avellaneda, ce qui à tout le moins témoigne de la fortune immédiate du livre. On assiste dans celle-ci à la troisième sortie de Don Quichotte, en apparence identique aux deux précédentes et qui contraint le lecteur à s’attacher aux variations et aux transformations des héros et du récit. Don Quichotte se dit désormais constamment victime d’enchantements qui lui font percevoir une réalité désolante (le monde tel qu’il est). Cette illusion dénonce le travail de l’imaginaire : il opère une compensation et corrige ce qui est perçu, en fonction de l’univers mental propre à chacun. Au chapitre 74, Don Quichotte, désabusé, s’adresse à Sancho et regrette de l’avoir entraîné dans sa folie ; significativement, Sancho conjure alors son maître de tenter à nouveau l’aventure de l’imaginaire, qui seule fait que la vie vaut la peine d’être vécue. Don Quichotte, lui, se laisse mourir, car il n’a plus d’illusions ; l’illusion est donc un mal nécessaire qui apporte ses couleurs au réel et lui donne sens. Recourir à l’enchanteur est sans doute une folie dérisoire, mais permet au moins de vivre. De même, ce qui confère une valeur à l’esprit et à la personne de Don Quichotte, c’est bien sa prétendue « folie « : non seulement elle rappelle à chacun ce qu’exige de nous l’idéal, qui doit sans cesse guider nos pas malgré les démentis de la réalité, mais elle rend supportable cette existence en transformant ce qu’elle a de désespérant. Le chapitre ultime marque un retour à soi et à la prise de conscience de son identité : Don Quichotte reprend son vrai nom. Un long sommeil lui permet de recouvrer la raison : il en meurt.    Apparemment, Cervantès a eu recours dans la seconde partie à une structure cyclique analogue à celle de la première ; du village au village, reprise de l’errance avec un épisode central : le séjour chez le duc et la duchesse, qui deviendrait une sorte d’équivalent à ce que l’auberge avait été antérieurement. Soit :  - le séjour au village et les préparatifs du départ (1-7), qui prennent la place du récit de la première sortie. La sortie du village a lieu de nuit, comme pour mieux souligner la parenté qu’il y a entre cette aventure et le rêve ;  - errance et rencontres (8-13) ; au milieu, les épisodes de la grotte de Montesinos (équivalent burlesque de la descente aux Enfers du héros épique) et du théâtre de Maître Pierre (ou : le problème de l’illusion théâtrale) ;  - le séjour chez le duc et la duchesse (30-57 et 69-70) : épisode central dominé par le triomphe de la théâtralité et de la mise en scène, les hôtes ayant souhaité faire en sorte que le réel ressemble aux rêves d’un Don Quichotte maintenant connu de tous grâce à Avellaneda. Par ce fait, c’est maintenant le monde qui se met à refléter les valeurs du héros. Qui est alors le plus digne ? Est-ce la noblesse courtoise de Don Quichotte ou bien l’oisiveté malicieuse — et parfois méchante — du duc et de la duchesse, partagés entre admiration et amusement à l’égard de leur victime ?  - errance et rencontres (58-72) ; ce second versant des aventures est nettement plus pessimiste : Don Quichotte ne connaît que des échecs et affronte le chevalier de Blanche Lune qui le vainc en combat singulier et le contraint à rentrer chez lui ; un épisode central : le séjour à Barcelone (62-65), avec triomphe populaire et visite de l’imprimerie ;  - le retour au village et la mort (73-74).  La reprise du schéma en cinq parties cache une plus grande complexité, due à la présence de deux épisodes qui dominent la séquence (désormais à chaque fois scindée en deux) de l’errance : d’une part, la grotte de Montesinos, de l’autre le triomphe de Barcelone, qui prennent la place antérieurement réservée au monde de la pastorale. Cette dernière est toujours présente en tant que tentation, mais, désormais, la réflexion portera avant tout sur la littérature comme production (cf. la visite de l’imprimerie) d’une illusion (cf. le théâtre et son rôle, avec Maître Pierre ou durant le séjour chez le duc et la duchesse).

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