Dissertation: La conscience peut-elle être un obstacle pour l'action ?
Publié le 22/02/2012
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Il peut se faire que l’on réfléchisse avant d’agir et que l’action soit ratée. On peut alors penser que la conscience a été un obstacle pour l’action.
Il est vrai que l’action exige que le sujet ne tergiverse pas éternellement. Dès lors, l’homme d’action semble bien différent de l’homme de cabinet, perdu dans ses pensées et qui ne met jamais la main à la pâte. Pourtant, une action inconsciente n’en est pas une : elle est bien plutôt une simple réaction digne tout au plus d’une bactérie ou d’un insecte. Dès lors, on peut se demander si la conscience peut être un obstacle pour l’action. La conscience apparaît en nous cette capacité à nous rendre compte de ce que nous faisons. Elle est une composante de l’action. Car un être inconscient n’est pas dit agir. Le vivant sans conscience comme l’huître ou la bactérie est déterminé à faire ce qu’il fait. Il réagit automatiquement. La conscience est donc une composante nécessaire de l’action. Or, celle-ci exige à la fois précision et surtout opportunité. Le chirurgien qui opère ne peut attendre d’avoir résolu tous les problèmes. Le marin doit tourner la voile au moment opportun – ce que les Grecs nommaient Kaïros. C’est pourquoi la conscience peut être un obstacle à l’action lorsqu’elle la fait différer. Elle en est alors paradoxalement la source et l’obstacle, soit ce qui empêche d’atteindre un but donné. Il en va de même lorsqu’on doute. En effet, cet état de conscience en ce qui concerne l’action se caractérise par l’hésitation quant à une décision. Est-elle bonne ou mauvaise ? On comprend ainsi que Hamlet dise que la conscience rend lâche dans son monologue de la scène I de l’acte III de la pièce éponyme de Shakespeare où il dit que « la conscience fait de nous autant de lâches « (traduction Guizot « Thus conscience does make cowards of us all «. On peut appliquer notre analyse à la question de l’utilité ou de l’efficacité. Si je doute des conséquences de ce que je vais faire, comment ne serais-je pas paralysé pour agir ou ne pas agir. Ainsi René Char (1907-1988) raconte-t-il dans ses Feuillets d’Hypnos (1946), qu’il dût rapidement se décider pour attaquer ou non un convoi allemand où un de ses hommes était prisonnier sur la base du signe de refus que celui-ci lui fit. Il comprit qu’il voulait lui dire que l’attaque risquait d’amener des représailles. La décision dut être prise rapidement. Toutefois, l’hésitation n’est pas incompatible avec l’action puisque nous ne sommes jamais absolument sûr de ce qui va se passer. Nous pouvons même comme Descartes l’indique dans son Discours de la méthode considérer prendre pour vraie une opinion douteuse afin d’être toujours résolu en nos actions. Dès lors, lorsque le sujet est paralysé ou lorsqu’il diffère une action, sa conscience ne serait pas responsable. Dès lors, ne doit-on pas penser que la conscience doit être étrangère au sujet pour être un obstacle pour l’action ? Comment est-ce possible ? En matière d’action, la conscience morale compte seule. C’est qu’en effet il est absolument nécessaire d’évaluer si l’action est bonne, mauvaise ou indifférente, c’est-à-dire ni bonne ni mauvaise. Or, cette conscience morale se présente en nous comme une voix qui nous dit ce qui est bien ou mal et elle prononce son jugement sur un ton de supériorité telle que le sujet ne peut s’empêcher de la considérer comme en quelque sorte extérieure à lui. La raison n’en est-elle pas qu’elle est acquise, autrement dit qu’elle résulte de la façon dont la société nous modèle ? N’est-ce pas pour cela qu’elle nous apparaît comme un obstacle à l’action ? En effet, un sentiment qui nous paraît moral comme celui de s’occuper des enfants dès la naissance paraît absent de certaines sociétés. C’est ainsi qu’à Sparte, un conseil des anciens décident si le garçon né peut être gardé ou non. Dans ce dernier cas il est jeté dans un gouffre au témoignage de Plutarque dans sa Vie de Lycurgue (XVI). Autre exemple. Dans Tristes tropiques (1955, Plon, p.206), Claude Lévi-Strauss (né en 1908) donne l’exemple des Caduveo, un peuple d’Amérique du Sud dont les ancêtres, les Mbaya-Guaicuru, dépréciaient l’enfantement. Avortement et infanticides massifs amenaient à assurer le renouvellement de 90% d’une génération par la capture lors de guerres menées contre d’autres peuples. Les enfants capturés étaient élevés ensuite dans la haine de l’enfantement. C’est pourquoi Montaigne soutenait dans les Essais (I, 22 « De la coustume et de ne changer aisément une loy receüe «) que la conscience n’est en nous que la voix de la coutume et non de la nature. Dès lors, la conscience morale paralyse l’individu en l’empêchant de réaliser ce qu’il désire. Tel est le cas d’Hamlet. En effet, la conscience morale dans la mesure où elle est implantée en nous par la société est un obstacle entre nous et l’action lorsque cette dernière vise à satisfaire nos fins et non celles de la société. C’est ainsi que se forme ce tribunal où une voix qui n’est pas la nôtre nous condamne, voire suscite les motifs qui nous empêchent d’agir. Toutefois, lorsque je secoue les prescriptions de la société dans laquelle je vis, ce n’est que parce qu’elles me paraissent injustes. Dès lors, c’est ma conscience qui me fait agir. Dès lors, n’est-elle pas toujours la condition de l’action de sorte qu’il est impossible qu’elle soit un obstacle pour elle ? En effet, agir, c’est toujours suivre sa conscience sinon on serait agi. Ainsi le tribunal que j’instaure en moi lorsque je délibère et mon tribunal et je ne peux pas dire que la société me juge puisque c’est moi qui accepte ou non le dit jugement. La preuve que les préjugés sociaux peuvent être modifiés est que les sociétés ne restent jamais les mêmes. Au mieux, on pourrait dire que certaines actions qui suivent les préjugés sociaux sont machinales mais justement, la conscience n’est pas un obstacle puisqu’elle n’intervient pas. Mais même dans le cas de l’habitude, on ne peut pas dire que la conscience du sujet soit absente. Certes, Bergson n’a pas tort dans sa conférence « La conscience et la vie « reproduite dans son ouvrage L’énergie spirituelle (1919) de dire qu’au fur et à mesure qu’une action devient automatique, c’est-à-dire que les mouvements sont de mieux en mieux su, la conscience se retire. Mais en réalité, il n’y a pas d’action pour automatique qu’en sont les mouvements élémentaires qui n’exige du sujet une attention de tous les instants. Et l’attention, c’est la conscience. Le pianiste comme le joueur de football ne peut être distrait, sans quoi ses automatismes deviennent un obstacle à la réalisation de l’action qu’il voulait. Si donc c’est l’absence de conscience qui est un obstacle pour l’action comment comprendre qu’on puisse se sentir paralysé par elle ?
C’est qu’en cas d’hésitation le sujet a d’ores et déjà décidé de ne pas agir. Tel est le cas d’Hamlet qui ne veut pas venger son père et donc tuer sa mère et son oncle qui l’ont assassiné. L’indécision est une action contrariée mais dont la contrariété n’est pas dans la conscience du sujet puisqu’il y a une action négative en quelque sorte mais dans le choix du sujet de ne pas choisir. Tel est le rôle de la délibération qui distrait le sujet de l’urgence de la situation s’il y en a une. Les scrupules de la conscience morale sont du même ordre, s’il est vrai que sa voix dicte toujours clairement ce qui est juste comme Rousseau le soutenait par sa « Profession du vicaire savoyard « dans l’Émile, même si le juste est parfois le plus difficile à accomplir. Et là, l’obstacle à l’action n’est pas la conscience, mais l’intérêt du sujet que la conscience met à mal. En un mot, le problème était de savoir si la conscience peut être un obstacle pour l’action. Elle semblait l’être parce qu’elle peut être la source de l’action et la différer ou l’empêcher. Pourtant, c’est seulement à la condition d’être une conscience implantée dans le sujet qu’elle apparaissait pouvoir être un véritable obstacle, c’est-à-dire venir empêcher le sujet de se réaliser. En réalité, la conscience est toujours la seule source de l’action y compris de l’action hésitante ou abandonnée ; elle ne peut l’empêcher.
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