Dissertation gratuite: Puis-Je Savoir Si J'Aime ?
Publié le 21/07/2010
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L’amour est un des attributs de l’humanité : tout homme, au cours de sa vie, est amené à aimer quelqu’un ou quelque chose. « Aimer ou tomber malade «, écrivait Freud. Mais il arrive que quelqu’un aime sans le savoir, et ne se rend compte de son amour qu’une fois que l’objet de cet amour se perd ou est perdu pour lui. Ainsi dans certains couples, c’est au moment de la rupture ou du divorce que l’amour se montre et s’illustre. D’un premier point de vue, il semble immédiatement évident que je sais si j’aime quelqu’un, lorsque je l’aime : l’amour s’impose comme une évidence. Puis-je aimer sans le savoir ? Et dans ce cas, comment puis-je connaître mon amour ? Quelle différence y a-t-il entre se croire amoureux et être amoureux ? Quel est l’objet de mon amour si j’ignore même que j’aime ? Mais d’un autre point de vue, suis-je bien certain d’aimer ce que je crois aimer ? Ne suis-je pas en train de construire une image illusoire de la personne que j’aime ? Et plus généralement, l’amour n’engendre-t-il pas toutes sortes d’illusions non seulement sur l’objet aimé, mais encore sur soi-même ? Tous ces questionnements posent ainsi l’évidence de l’amour et ses illusions, et enfin la connaissance que nous en avons. Pour savoir si l’on aime il faut savoir ce qu’est l’amour. Celui-ci est avant tout un désir qui, comme les désirs, cherche à trouver le plaisir dans la réalité. Fixé sur un objet, il est ici empreint d’une affectivité profonde. Ainsi celui qui aime plus généralement, trouve une raison de vivre dans l’autre, dans l’objet de son amour, comme Aragon envers Elsa : « Mourir est plus facile que de vivre, c’est pourquoi je vis pour toi «. De même, par son amour, il est prêt à se sacrifier pour lui, comme une mère ou un père pour la survie de son enfant. Dès lors, cet attachement si fort entraîne l’angoisse de la perte de l’objet aimé : il importe donc de savoir qu’on aime et ce qu’on aime avant de le perdre, pour pouvoir le protéger, le sauver. Tout d’abord se pose la difficulté de l’intégration ou du refoulement possible des désirs par l’individu : il faut s’accepter comme être désirant et accepter ses désirs pour ne plus être dans l’aveuglement plus ou moins volontaire et l’ignorance de son amour. L’amour devient une modalité du désir. Toute la pièce La Seconde surprise de l’amour, de Marivaux, repose sur ce problème : la marquise et le chevalier, tous deux effondrés par la perte de leur amant respectif refusent de s’avouer qu’ils s’aiment et ne parviennent pas à se le dire, en partie à cause de la complaisance qu’ils ont à vivre dans la tristesse, et des conventions sociales. Ensuite, l’objet de l’amour – qui est un désir – peut être comme tout désir changeant, car « le désir est recherche de nouveauté « (Françoise Dolto). Il évolue avec le temps, de là la difficulté à cerner, à accepter et à reconnaître à temps un amour. C’est cette évolution de l’amour que retrace Adolphe et sa maîtresse, dans le roman éponyme de B. Constant. Leur amour, du moins pour Adolphe, est consumé : il a changé de désir et d’objet. (Néanmoins, cette évolution peut être présente au sein d’une même relation). De plus, un désir n’est pas quelque chose de concret, ni de définissable : nous ne pouvons pas pointer du doigt ce qui chez l’autre l’éveille en nous. La phrase de Roméo (Roméo et Juliette, de W. Shakespeare) lorsqu’il voit Juliette pour la première fois : « Elle enseigne aux torches à briller « indique bien qu’il n’aime pas une partie du corps de Juliette ou une attitude, mais une harmonie indescriptible, d’une image évanescente qui auréole Juliette. Il existe donc un autre problème : celui de ce qu’on aime dans, à travers l’objet de l’amour. En effet, comme le montre l’exemple de Roméo et Juliette, le désir n’est jamais « pur «, c’est-à-dire que tout désir est toujours empreint d’images, de symboles lorsqu’il se fixe sur un objet ; ainsi Roméo aime ce qu’il voit dans le corps de Juliette, non pas son corps pour lui-même. On retrouve ici le phénomène d’embellissement par l’imagination et la mémoire de l’amant qui pare de qualité la personne qu’il désire, ce qu’on appelle la cristallisation de Stendhal (De l’amour, 1822) Enfin, qu’aime-t-on ? Il existe trois grands cas : soit comme Saint-Augustin, on aime l’amour dans l’amour, c’est-à-dire qu’on aime l’image et les sentiments amoureux avant l’objet ; soit, comme l’amour humanisant de Mozart dans ses opéras (La Flûte enchantée, Le Mariage de Figaro...), on aime l’objet en conservant un bon équilibre entre l’imaginaire et le symbolique que l’on a tendance à reporter sur lui, ce qui permet de s’ouvrir au monde et à soi-même ; soit on aime, à travers l’amour, l’image de soi-même : Madame Bovary, de Flaubert, s’exclame et se répète avec joie « J’ai un amant ! «, ce qui lui permet de se sentir dame, femme du monde. Mais l’objet pour elle importe peu : ce pourrait être n’importe quel homme. Une fois ces difficultés surmontées pour comprendre ce que nous aimions, il faut pouvoir passer à la connaissance de son amour. Nous l’avons vu, l’amour chez Mozart permet une ouverture au monde et à soi-même. On peut y voir un écho aux étapes initiatiques vers l’amour du Beau de Platon, dans le Banquet : de la purification à la méditation, en passant par l’ascension, l’amant s’éveille peu à peu pour discerner un beau corps, puis s’ouvrir aux beaux corps, au beau caractère, aux belles occupations, puis de là à la beauté des sciences, à la beauté du savoir et enfin au Beau en lui-même. L’amour entraîne donc tout un cheminement vers la connaissance par cet aspect, mais aussi par la part de souffrance intimement mêlée au bonheur qu’il procure : il permet ainsi à l’homme de connaître non seulement le monde, mais encore ses propres limites, ses propres capacités, ses qualités, donc en un mot, de se connaître lui-même. Le fait de se poser la question « puis-je savoir si j’aime ? « implique et entraîne naturellement une réflexion et une introspection de la part de l’individu : est-il alors le mieux placé pour le savoir ? En tant que sujet conscient capable de se percevoir lui-même, il est indubitablement l’observateur privilégié de ses sentiments, de ses affects, de ce qu’il ressent. Pourtant, comme le montrait Merleau-Ponty, on sait que l’œil innocent est un mythe : notre regard, sur nous-même, est toujours empreint, pétri de notre subjectivité ; il n’est jamais parfaitement neutre, objectif, car il est, et par conséquent les jugements que nous portons sur nos sentiments aussi, chargé de nos désirs (avec les images et les symboles qu’ils colportent) et troublé par notre affectivité même. C’est le problème, entre autre, du refoulement, que nous avons abordé ci-dessus. Pour pouvoir répondre à cette question, « puis-je savoir si j’aime ? «, il faut avoir été capable de surmonter et d’accepter ses possibles refoulements. C’est après avoir fait connaissance avec moi-même que je le peux, mais je peux encore aimer à mon insu... C’est donc en aimant que je peux me connaître, que je m’ouvre à moi-même et au monde et que je m’accepte, donc c’est ainsi que je connais mes sentiments, et je peux répondre oui à la question « puis-je savoir si j’aime ? « Malgré les difficultés rencontrées, je peux répondre oui aussi en ceci que cette question, si elle s’est présentée spontanément à mon esprit, a été le fruit d’un changement dans mon état habituel : je sais que j’aime par la différence entre mon état actuel potentiellement amoureux et mon état d’avant. Il faut donc déjà être à l’écoute de soi-même et disposé à aimer pour savoir et reconnaître l’objet de son amour. Il est cependant possible dans l’absolu d’ignorer que nous aimons, si notre refoulement est tel qu’il empêche jusqu’à la question de se présenter à nous. L’important est la maxime de Socrate : « Connais-toi toi-même «, pour s’accepter pleinement et avancer heureux dans la vie et dans l’amour. Ne reste plus alors que la difficulté à vivre pleinement et heureusement son amour, sans tomber dans les écueils que sont, entre autres, la passion ou l’idéalisation abusive de l’objet.
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