Dissertation gratuite: Peut-On Reprocher À Une Oeuvre D'Art De Ne Rien Vouloir Dire ?
Publié le 21/07/2010
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Introduction Si l'on nous montre côte à côte un tableau et le chiffon sur lequel le peintre a essuyé ses pinceaux, nous saurons sans peine dire lequel des deux est une œuvre d'art, La toile se distingue du chiffon parce que les couleurs et les formes qui y sont déposées ont une unité interne, une cohérence qui « veulent dire quelque chose «. Aussi sommes-nous tentés, face à des œuvres déroutantes, de les disqualifier en leur reprochant de « ne rien vouloir dire «. Mais ce critère est-il vraiment pertinent pour le jugement esthétique ? Que voulons-nous dire en affirmant qu'une œuvre d'art doit vouloir dire quelque chose? Son silence ne peut-il pas au contraire être un attribut essentiel de l'art? I. L'œuvre d'art doit nous dire quelque chose Kant a bien montré que notre jugement sur l'art ne relève ni du simple plaisir ni de la compétence technique mais d'une satisfaction esthétique, fruit du libre jeu des facultés de l'esprit. Il semble qu'une des règles élémentaires de ce jeu soit la présence d'un sens qui nous permet de percevoir l'œuvre d'art en tant que telle. * L'œuvre d'art se distingue des objets naturels D'un caillou on peut seulement dire qu'il est là dans l'espace ; un outil ne prend sens qu'à travers sa fonction ; l'œuvre d'art, elle, procède d'une intention et manifeste un sens. Elle doit « vouloir dire « quelque chose en un double sens. a. Elle témoigne d'une volonté d'expression de la part de l'artiste. Baudelaire montre que ce dernier se distingue du simple rêveur en donnant une forme concrète à la perception des « correspondances «. b. Elle prend pour nous un sens particulier en fonction des émotions qu'elle suscite ou de la méditation qu'elle appelle; le travail du critique consiste en une navette permanente entre le sens exprimé et le sens perçu. * L'œuvre d'art peut véhiculer un « message « Le sens exprimé par l'œuvre d'art peut même vouloir être très explicite et ne laisser au public qu'une interprétation possible, ou du moins délivrer un message principal. C'est le cas de toutes les formes d'art « engagé «. Dans cette conception, l'art qui « ne voudrait rien dire « constituerait une trahison ou une lâcheté : l'artiste ne doit pas s'imaginer qu'il n'appartient à aucun camp politique ou à aucune classe sociale, ou que son art n'a aucun impact dans ces domaines. * Le cas de l'absurde Face à cette volonté de sens, à cette idée que l'art aurait le devoir politique ou moral de « dire quelque chose «, on pourrait rappeler qu'au xxe siècle Beckett et le surréalisme ont pu défendre le projet d'un art qui ne craindrait pas l'absurde, le non-sens. Mais on constate que les plus réussies des œuvres de cette mouvance ne font que feindre leur caractère fortuit, ou alors que le choix de l'absurde veut lui-même dire quelque chose, par exemple sur la perte du sens dans les sociétés modernes : c'est le cas de Rhinocéros de Ionesco. II Sois belle et tais-toi ! On peut toutefois se demander si ce critère est réellement pertinent et s'il est légitime de reprocher à une œuvre d'art de ne vouloir rien dire : cela ne signifierait-il pas que l'on réduit l'art à un moyen de communication ? * Le jugement de goût est formel On peut tout d'abord rappeler la distinction établie par Kant entre beauté adhérente et beauté libre : dans le premier cas on se réfère à une idée ou à un modèle pour juger l'œuvre d'art ; elle doit alors vouloir dire quelque chose. Dans le second cas au contraire, le critère d'appréciation est purement formel et s'appuie seulement sur une impression d'harmonie et de mesure, par exemple lorsque nous admirons les motifs de la frise d'une fresque ou les coloris d'un tableau non figuratif. * L'art pour l'art Cette idée de liberté et de beauté formelle trouve une expression particulière à la fin du xixe siècle dans le mouvement des « parnassiens « autour de Leconte de Lisle : pour lui, l'art doit être cultivé pour lui-même par une recherche de la plus grande pureté formelle et non pour « dire quelque chose «. * Un art insignifiant? Doit-on penser que si une œuvre d'art « ne veut rien dire « c'est qu'il n'y a rien à y trouver ? Peut-être s'agit-il là d'un préjugé intellectualiste qui ne laisse pas de place à la pure émotion esthétique en deçà des mots. L'artiste doit-il nécessairement faire autre chose que donner à voir ce qui souvent n'est pas aperçu ? L'art ne peut-il pas avoir pour but de montrer l'insignifiant comme tel ? La réflexion débouche ici sur le thème plus vaste des limites de la liberté créatrice de l'artiste. III. Création et signification * Les surprises de l'art Souvent, comme ce fut le cas pour Van Gogh ou Picasso, une œuvre véritablement novatrice se heurte tout d'abord à l'incompréhension, au mépris ou à un rejet scandalisé. Elle « ne veut rien dire « dans le code des canons classiques ; or on oublie souvent que les œuvres dites « classiques « sont précisément celles qui ont contribué à forger de nouveaux cadres, de nouvelles possibilités de sens. Le problème est donc ici celui de la réception de l'art : celui qui se place hors des cadres de compréhension de son époque est-il un simple provocateur ou un génial précurseur? * L'énigme de l'art : l'ouverture des interprétations Doit-on pour autant se réfugier dans un pur subjectivisme qui place toutes les œuvres d'art sur le même plan sous prétexte qu'elles peuvent sûrement vouloir dire quelque chose à quelqu'un à un moment de l'histoire ? Sans doute pas. La pluralité des interprétations et, à notre époque, la diversification des styles et des modes' d'expression ne dispensent pas, au contraire, d'un travail de formation du goût et de l'esprit critique, qui permettra de dépasser les réactions purement épidermiques et de motiver le jugement que l'on porte sur les œuvres. * En toile de fond : la question des limites de la liberté artistique Cette question du sens perceptible dans l'œuvre d'art rejoint le vaste et ancien débat sur le rapport de l'artiste au public : sa liberté est-elle totale? Doit-il tenir compte des cadres de compréhension et des attentes du public, au risque de verser dans la facilité ? Doit-il s'en moquer ou même se faire systématiquement déroutant, au risque de s'enfermer dans l'hermétisme ? On retrouve ici l'ambivalence de la figure de l'artiste, entre inspiration divine et imposture. Conclusion Le sens exprimé par une œuvre d'art est sans doute un critère tout à fait pertinent pour structurer notre jugement esthétique ; encore faut-il se rappeler qu'il s'agit moins de rendre un verdict pour classer définitivement l'œuvre d'art que d'entreprendre un travail d'interprétation. S'il est difficile de renoncer totalement à déchiffrer le sens d'une œuvre d'art, il importe de respecter et de comprendre la spécificité de ce qu'elle « veut dire «.
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