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Dissertation gratuite: Dans quelle mesure la science doit-elle prendre en compte le probable ?

Publié le 22/07/2010

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Pour l’opinion commune, la science est le « royaume de la nécessité « (A. Barberousse). Elle est censée produire une connaissance scientifique, au sens de poser des certitudes. Deux raisons motivent cette conception du discours scientifique. Premièrement Aristote, qui nous dit qu’il n’y a de science que du général, et donc qu’il faut chercher à attribuer à la nature ce qui se produit le plus souvent (hôs epi to polu) et au hasard le « n’importe quoi « ; le critère de fréquence révèle ainsi une différence de nature entre ce qui est objet de science (de connaissance) et ce qui est inconnaissable, et donc négligeable. Et deuxièmement, la conception qui assimile le discours scientifique au discours mathématique : celle-là procédant par démonstration et par enchaînements logiques qui ne laissent place à aucune incertitude. C’est à cette définition du discours scientifique que nous nous attaquerons ici en cherchant la juste place de l’incertitude dans la recherche scientifique, comment la science peut s’appuyer sur le probable pour élaborer une connaissance, pour construire du vraisemblable sur de l’incertain. Nous verrons d’abord comment la science explique le monde, puis s’il est légitime d’appliquer la théorie mathématique des probabilités aux divers domaines des phénomènes, et enfin nous verrons les limites des probabilités comme limites de la science qui grâce à elles peut produire une connaissance « vraie «, à défaut de certaine.    Pour l’homme de science, la connaissance ne peut être qu’approchée. En effet, la science ne fait que représenter des phénomènes réels : la représentation scientifique d’un objet ne dit jamais tout de la réalité de celui-ci, mais il en dit quelque chose. Elle dit quelque chose de la réalité de l’objet, mais non toute sa réalité ; elle implique donc, fût-ce à titre potentiel, la fausseté en même temps que la vérité. Ainsi, la connaissance approchée, la vérité et l’erreur sont-elles inséparables, bien que la part de la première soit d’autant plus grande que celle de la seconde est faible. Et plus, la connaissance scientifique n’est pas seulement approchée, elle est indéfiniment approchante : elle est toujours exposée à des remises en question. Il n’y a donc pas de certitude immuable en science. Cette impossibilité, cette frustration face à la vérité absolue du réel inaccessible ne doit pourtant pas nous empêcher d’avancer, nous enfoncer dans le scepticisme et in fine l’inaction. C’est ce que Descartes nous dit dans son Discours de la méthode III, 3 : « les actions de la vie ne souffrant aucun délais, c’est une vérité très certaine que, lorsqu’il n’est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions, nous devons suivre les plus probables, et même qu’encore que nous ne remarquerions point davantage de probabilité aux unes qu’aux autres, nous devons néanmoins nous déterminer à quelques unes, et les considérer après non plus comme douteuses, en tant qu’elles se rapportent à la pratique, mais comme très vraies et très certaines, à cause que la raison qui nous y a fait déterminer se trouve en elle. « Ainsi, du point de vue pratique, quand il s’agit d’agir, il semble préférable, plutôt que de rester dans l’indétermination, de donner du crédit à une solution rationnelle qui, même si elle n’est ni évidente ni vraie, sera au moins probable. Il faut sortir de l’indétermination pour pouvoir progresser dans les sciences et développer des explications du monde. Nous avons là la première raison d’être du probable : il permet à la science d’avancer malgré l’incertitude. Son importance est donc capitale, l’acceptation du « plus probable « est le point de départ de la démarche scientifique : il faut accepter de ne pas savoir pour commencer à travailler le réel. Paradoxalement, c’est le probable qui nous sauve de l’ignorance totale.  Aristote arrive à la même conclusion lorsqu’il établit la vérité des prémisses d’un syllogisme par l’induction, c’est-à-dire par l’expérience. Toutes nos connaissances ont leur origine dans la sensation : les sensations sont recueillies par la mémoire, se décantent et se stabilisent pour former une expérience faite de notions générales. C’est alors, par un acte de l’intelligence intuitive, que se forment les concepts et les principes universels. Mais comme il y a coupure entre le ciel et le monde sublunaire, celui que nous habitons, les êtres sont sujets à la génération et à la corruption et peuvent être autrement qu’ils ne sont : notre mode d’existence est contingent. Nous observons donc des faits qui se produisent régulièrement et non invariablement comme dans le Ciel. Ainsi, pour Aristote, le probable est ce qui arrive le plus souvent. Le fréquent n’est pas le nécessaire, comme pour le mouvement des astres, mais il n’en reste pas moins que dans la pratique on peut s’y fier. Un nouveau problème se pose donc à nous : celui de la « connaissance du probable « comme nous le dit Bachelard dans le chapitre V du Nouvel esprit scientifique. Pour l’auteur, et il est intéressant de le noter, l’astronomie joue un rôle fondamental dans la démarche scientifique, car elle donne à l’esprit l’habitude des formes qui ne sont pas a priori dans la perception, mais a priori dans la réflexion. Intéressant à noter car l’observation du ciel par un Grec ne lui apprend pas la nécessité des mouvements célestes : l’observation ne nous apprend pas le déterminisme. C’est l’effort pour rationaliser le réel qui amène au déterminisme. Ainsi, comme nous le démontre A. Koyré, la pensée grecque n’a jamais voulu admettre que « l’exactitude puisse être de ce monde, que la matière de ce monde, de notre monde à nous, du monde sublunaire, puisse incarner les êtres mathématiques «, de quoi il résulte que « l’astronomie mathématique est possible, mais la physique mathématique ne l’est pas. « Ce n’est donc que bien après que l’on mathématisa le monde terrestre que l’on passa du monde de l’ « à-peu-près« à l’ « univers de la précision«.  Or, dans le déterminisme du monde mathématisé, de l’univers de la précision, il y a nécessairement un choix, une mise à l’écart des phénomènes perturbants ou insignifiants. Car la mécanique céleste n’est une mécanique que par l’esprit de simplification de celui qui observe le ciel. Le déterminisme est un postulat mécanique, il opère par réduction des phénomènes aux lois de la mécanique classique. Mais cette réduction mécaniste est-elle si évidente ? Bachelard cite Hadamard qui distingue le déterminisme mathématique et le déterminisme physique. Si le premier paraît évident, le déterminisme mathématique étant fondé sur des conséquences logiques, il s’avère que le second, fondé sur des causes, ne lui est pas identifiable. En effet, la cause physique n’est pas toujours définissable en termes mathématiques univoques : elle n’est qu’un état choisi parmi d’autres états possibles ; Bachelard parle d’un « luxe [embarrassant] de possibilités « ! Il paraît donc maintenant important de réfléchir sur la légitimité de l’application de la théorie mathématique des probabilités au monde des phénomènes.  Ainsi avons-nous vu l’importance du probable dans la recherche scientifique : elle permet d’avancer malgré l’incertitude, sortir de l’indétermination. Mais nous constatons en même temps que les probabilités qui rendent possible l’avancée scientifique sont-elles mêmes problématiques du point de vue la connaissance. En effet, si l’on admet la probabilité comme valeur suffisante d’une théorie scientifique, n’est-ce pas par là-même faire de la science une simple croyance, et ne reconnaître ainsi à toute théorie qu’une valeur subjective ? Il nous faut donc chercher la valeur de vérité des probabilités, et ainsi nous poser la question de la légitimité scientifique de la théorie mathématique des probabilités. C’est Reichenbach qui la formule le premier en l’appelant « Problème de l’Application « : celui de la relation entre les probabilités – mathématiques – et la connaissance de la nature. Il décompose le Problème en deux : la signification des énoncés probabilistes – i.e. de l’interprétation des énoncés formels –, et la légitimité de l’application des lois probabilistes aux phénomènes naturels. Selon lui, l’énoncé probabiliste est un énoncé synthétique. En effet, il concerne nécessairement des séries d’évènements : et ce n’est que par une inférence inductive des caractéristiques de la série que nous sommes conduits à attribuer une probabilité à un élément singulier. Mais nous rencontrons une première difficulté : le monde décrit par les énoncés probabilistes est très différent de celui dont nous faisons l’expérience, car nous n’observons jamais de séries infinies dans la nature ; la probabilité déborde largement l’expérience que nous pouvons faire du monde, c’est la « limite pratique « de Reichenbach. Mais, malgré tout, les structures et lois probabilistes servent à représenter ce dont nous faisons l’expérience, à construire des modèles.  Ainsi, la question est bien d’établir les conditions d’application des probabilités et de réfléchir sur la valeur épistémologique de ces constructions mathématiques. Et en effet, très vite nous apercevons ses limites : A. Barberousse nous apprend que si l’on peut toujours trouver un nombre réel plus petit qu’un nombre réel donné, on ne peut pas toujours trouver un corps de masse plus petite qu’une masse données. C’est dire que les phénomènes naturels n’obéissent jamais strictement aux mêmes lois que les structures mathématiques. Car il faut comprendre que la théorie mathématique est une idéalisation de la structure réel des évènements : ainsi, le modèle satisfaisant sera celui où la série réelle des évènements qui « pour des dimensions accessibles à l’observation humaine, convergent suffisamment et demeurent dans l’intervalle de convergence « (Reichenbach). Bachelard, lecteur également de Reichenbach, nous dit exactement la même chose et précise l’intérêt des probabilités : « toute application au réel des lois causales implique une considération de probabilité «. C’est une évidence que nous avons vu plus haut, à savoir que la connaissance probable est toute positive. Mais il ne faut pas se tromper sur le type de connaissance, il ne faut pas franchir une certaine limite. Car, nous dit Bachelard , « si l’on pouvait tenir compte de tous les paramètres d’une expérience réelle – si le mot tous avait un sens dans une expérience réelle – on pourrait dire que le phénomène produit est certain dans tous ces détails, qu’il est entièrement prédéterminé «, mais, et c’est le point crucial, l’on ne peut prendre en compte tous les paramètres : on ne peut aller plus loin que cette limite : il n’y a donc de déterminisme que défini comme une perspective convergente des probabilités. Rien de plus. C’est dire que le physicien déterministe, c’est-à-dire celui qui croit pouvoir se donner toutes les conditions d’une expérience, est dans l’erreur.  La « limite pratique « des probabilités que nous venons de voir avec Reichenbach a pour corollaire épistémologique la « certitude pratique « (Borel) : c’est rétablir que malgré ses limites l’on puisse déduire des connaissances des lois probabilistes. Ainsi, s’il est logiquement et physiquement possible que le 6 ne sorte qu’une dizaine de fois dans une série de 600 lancers d’un dé non-pipé, nous conclurons cependant de l’observation d’une telle série que le dé est pipé. Ce qui signifie que nous aurons supposé que la série observée est suffisamment proche de la série idéale associée à ce type de dé pipé : les 600 lancers auront permis que la limite vers la série idéale associée soit atteinte avec une précision suffisante. Ainsi la limite pratique est-elle atteinte en même temps que la certitude pratique : nous ne pouvons aller plus loin ; mais le degré de vérité de cette expérience est assez élevé pour établir une connaissance, malgré la fausseté de la conclusion. A l’opposé, l’exemple connu des singes écrivains de Borel, cas exceptionnel qui peut être considéré comme impossible, mais pourrait cependant être vrai. Ainsi, nous voyons bien en quel sens précis il est possible de considérer la théorie mathématique des probabilités comme une idéalisation vis-à-vis des séries réelles d’évènements, mais c’est une idéalisation qui fait sens et qui apporte, à la condition de ne pas dépasser la limite – qui conduirait à l’erreur déterministe –, une connaissance positive, fût-elle fausse.    Il est intéressant de s’arrêter un peu sur la notion d’erreur, indissociable de la notion de probable. En effet, une théorie peut-être manifestement fausse sans qu’il en résulte une remise en cause : la science peut continuer non seulement de s’en contenter, mais aussi d’en faire un usage fécond, au moins pour quelque temps. Un autre aspect a aussi son importance : il ne suffit pas que l’on puisse réduire une erreur, parce que cela a un coût : il faut qu’il soit plus avantageux de le faire que de faire autre chose. Ainsi s’expliquerait la découverte tardive de Pluton : les astronomes auraient pu persévérer dans leur recherche, mais, ainsi que nous l’apprend J. Bonitzer dans les Chemins de la science, après la découverte de Neptune, l’importance d’une nouvelle illustration de la validité de la Mécanique newtonienne avait disparu ; ce qui était plutôt à l’ordre du jour était au contraire la Relativité et Pluton n’avait rien d’intéressant à apprendre à ce sujet. D’autre part, l’évolution des connaissances scientifiques ne peut se réduire à la remise en cause de ses édifices théoriques lorsqu’ils se trouvent contredits par des expériences. En effet, la connaissance d’un phénomène ne se réduit pas à sa découverte : il y a exploration systématique de la multiplicité de ses aspects, et perfectionnement dans les moyens de les présenter qui fait que ce qui pouvait être jugé « vrai « à un certain niveau de précision devient « faux « à une précision plus grande. Et, point le plus important, il faut bien avoir à l’esprit qu’en science la prédiction de la probabilité n’a d’intérêt que par les décisions des actes qu’elle permet : elle n’est jamais qu’une médiation vers l’action, vers d’autres expériences, d’autres tentatives, d’autres précisions. L’erreur scientifique n’est jamais une fin, la science se développe de façon tentaculaire et l’erreur ne constitue ainsi jamais un obstacle insurmontable dans le temps.    Cette précision éclaire utilement notre problématique : quelle est la place du probable dans la connaissance scientifique ? En effet, nous avons cherché ici à nous détacher de la conception identifiant discours mathématique et discours scientifique pour montrer qu’il y a dans la science un fond incertain et flou que le probable amplifie à première vue. Après réflexion, il paraît clair que le probable est le centre de gravité de toute la science : plus que d’être simplement pris en compte par la science, le probable est le moteur de la science ; c’est précisément parce que la science n’avance qu’en faisant des erreurs, parce qu’elle ne peut connaître la « vérité vraie « du réel que le probable prend son ampleur véritable, son sens épistémologique fondamental ; il faut le dire maintenant : sans probable, point de connaissance. A l’instar de Paul Feyerabend, nous aimons d’autant plus la science quand elle abandonne ses vaines prétentions, quand elle est à « hauteur d’homme « comme nous le dit le Camus humaniste – ce que Feyerabend semble être aussi.  Qu’est-ce qu’une science à « hauteur d’homme « ? Il nous faut maintenant nous justifier. Le Problème de l’Application formulé par Reichenbach est comme nous l’avons vu celui de la façon dont la théorie des probabilités rend compte des phénomènes naturels. Il semble donc que la théorie des probabilités soit une théorie de l’inférence – nous suivons Barberousse. Ainsi, les possibles mesurés par les probabilités sont des possibles pour nous – Bachelard nous dit la même chose –, les constructions conceptuelles que sont les idéalisations probabilistes sont donc à relativiser à ce que nous pouvons envisager étant donné ce que nous connaissons par ailleurs sur les évènements considérés. Dans cette perspective, les énoncés probabilistes issus des théories scientifiques sont « l’expression des limites de notre pouvoir de connaître scientifiquement le monde «(Barberousse). C’est le « démon de Laplace « qui nous apprend le premier ce que nous appelons science à « hauteur d’homme « en lui donnant un sens humaniste de la connaissance. C’est-à-dire que les hommes sont contraints à l’incertitude vis-à-vis de ce qu’ils peuvent connaître des états du monde – Laplace postule un enchaînement causal strict du monde. Le déterminisme causal absolu qu’il postule rend tout son intérêt aux probabilités qui deviennent la seule façon pour nous d’attribuer des degrés de vérité – Laplace parle même de « degré de vraisemblance « dans son Introduction à l’Essai philosophique sur les probabilités – aux idées que nous formons sur le monde. S’ensuit logiquement que nous pouvons réviser et actualiser nos probabilités lorsque nous avons accès – un accès nécessairement partiel – à de nouvelles données.

« l'incertitude, sortir de l'indétermination.

Mais nous constatons en même temps que les probabilités qui rendentpossible l'avancée scientifique sont-elles mêmes problématiques du point de vue la connaissance.

En effet, si l'onadmet la probabilité comme valeur suffisante d'une théorie scientifique, n'est-ce pas par là-même faire de la scienceune simple croyance, et ne reconnaître ainsi à toute théorie qu'une valeur subjective ? Il nous faut donc chercher lavaleur de vérité des probabilités, et ainsi nous poser la question de la légitimité scientifique de la théoriemathématique des probabilités.

C'est Reichenbach qui la formule le premier en l'appelant « Problème de l'Application» : celui de la relation entre les probabilités – mathématiques – et la connaissance de la nature.

Il décompose leProblème en deux : la signification des énoncés probabilistes – i.e.

de l'interprétation des énoncés formels –, et lalégitimité de l'application des lois probabilistes aux phénomènes naturels.

Selon lui, l'énoncé probabiliste est unénoncé synthétique.

En effet, il concerne nécessairement des séries d'évènements : et ce n'est que par uneinférence inductive des caractéristiques de la série que nous sommes conduits à attribuer une probabilité à unélément singulier.

Mais nous rencontrons une première difficulté : le monde décrit par les énoncés probabilistes esttrès différent de celui dont nous faisons l'expérience, car nous n'observons jamais de séries infinies dans la nature ;la probabilité déborde largement l'expérience que nous pouvons faire du monde, c'est la « limite pratique » deReichenbach.

Mais, malgré tout, les structures et lois probabilistes servent à représenter ce dont nous faisonsl'expérience, à construire des modèles.Ainsi, la question est bien d'établir les conditions d'application des probabilités et de réfléchir sur la valeurépistémologique de ces constructions mathématiques.

Et en effet, très vite nous apercevons ses limites : A.Barberousse nous apprend que si l'on peut toujours trouver un nombre réel plus petit qu'un nombre réel donné, on nepeut pas toujours trouver un corps de masse plus petite qu'une masse données.

C'est dire que les phénomènesnaturels n'obéissent jamais strictement aux mêmes lois que les structures mathématiques.

Car il faut comprendreque la théorie mathématique est une idéalisation de la structure réel des évènements : ainsi, le modèle satisfaisantsera celui où la série réelle des évènements qui « pour des dimensions accessibles à l'observation humaine,convergent suffisamment et demeurent dans l'intervalle de convergence » (Reichenbach).

Bachelard, lecteurégalement de Reichenbach, nous dit exactement la même chose et précise l'intérêt des probabilités : « touteapplication au réel des lois causales implique une considération de probabilité ».

C'est une évidence que nous avonsvu plus haut, à savoir que la connaissance probable est toute positive.

Mais il ne faut pas se tromper sur le type deconnaissance, il ne faut pas franchir une certaine limite.

Car, nous dit Bachelard , « si l'on pouvait tenir compte detous les paramètres d'une expérience réelle – si le mot tous avait un sens dans une expérience réelle – on pourraitdire que le phénomène produit est certain dans tous ces détails, qu'il est entièrement prédéterminé », mais, et c'estle point crucial, l'on ne peut prendre en compte tous les paramètres : on ne peut aller plus loin que cette limite : iln'y a donc de déterminisme que défini comme une perspective convergente des probabilités.

Rien de plus.

C'est direque le physicien déterministe, c'est-à-dire celui qui croit pouvoir se donner toutes les conditions d'une expérience,est dans l'erreur.La « limite pratique » des probabilités que nous venons de voir avec Reichenbach a pour corollaire épistémologique la« certitude pratique » (Borel) : c'est rétablir que malgré ses limites l'on puisse déduire des connaissances des loisprobabilistes.

Ainsi, s'il est logiquement et physiquement possible que le 6 ne sorte qu'une dizaine de fois dans unesérie de 600 lancers d'un dé non-pipé, nous conclurons cependant de l'observation d'une telle série que le dé estpipé.

Ce qui signifie que nous aurons supposé que la série observée est suffisamment proche de la série idéaleassociée à ce type de dé pipé : les 600 lancers auront permis que la limite vers la série idéale associée soit atteinteavec une précision suffisante.

Ainsi la limite pratique est-elle atteinte en même temps que la certitude pratique :nous ne pouvons aller plus loin ; mais le degré de vérité de cette expérience est assez élevé pour établir uneconnaissance, malgré la fausseté de la conclusion.

A l'opposé, l'exemple connu des singes écrivains de Borel, casexceptionnel qui peut être considéré comme impossible, mais pourrait cependant être vrai.

Ainsi, nous voyons bienen quel sens précis il est possible de considérer la théorie mathématique des probabilités comme une idéalisation vis-à-vis des séries réelles d'évènements, mais c'est une idéalisation qui fait sens et qui apporte, à la condition de nepas dépasser la limite – qui conduirait à l'erreur déterministe –, une connaissance positive, fût-elle fausse. Il est intéressant de s'arrêter un peu sur la notion d'erreur, indissociable de la notion de probable.

En effet, unethéorie peut-être manifestement fausse sans qu'il en résulte une remise en cause : la science peut continuer nonseulement de s'en contenter, mais aussi d'en faire un usage fécond, au moins pour quelque temps.

Un autre aspecta aussi son importance : il ne suffit pas que l'on puisse réduire une erreur, parce que cela a un coût : il faut qu'ilsoit plus avantageux de le faire que de faire autre chose.

Ainsi s'expliquerait la découverte tardive de Pluton : lesastronomes auraient pu persévérer dans leur recherche, mais, ainsi que nous l'apprend J.

Bonitzer dans les Cheminsde la science, après la découverte de Neptune, l'importance d'une nouvelle illustration de la validité de la Mécaniquenewtonienne avait disparu ; ce qui était plutôt à l'ordre du jour était au contraire la Relativité et Pluton n'avait riend'intéressant à apprendre à ce sujet.

D'autre part, l'évolution des connaissances scientifiques ne peut se réduire àla remise en cause de ses édifices théoriques lorsqu'ils se trouvent contredits par des expériences.

En effet, laconnaissance d'un phénomène ne se réduit pas à sa découverte : il y a exploration systématique de la multiplicitéde ses aspects, et perfectionnement dans les moyens de les présenter qui fait que ce qui pouvait être jugé « vrai »à un certain niveau de précision devient « faux » à une précision plus grande.

Et, point le plus important, il faut bienavoir à l'esprit qu'en science la prédiction de la probabilité n'a d'intérêt que par les décisions des actes qu'ellepermet : elle n'est jamais qu'une médiation vers l'action, vers d'autres expériences, d'autres tentatives, d'autresprécisions.

L'erreur scientifique n'est jamais une fin, la science se développe de façon tentaculaire et l'erreur neconstitue ainsi jamais un obstacle insurmontable dans le temps. Cette précision éclaire utilement notre problématique : quelle est la place du probable dans la connaissancescientifique ? En effet, nous avons cherché ici à nous détacher de la conception identifiant discours mathématiqueet discours scientifique pour montrer qu'il y a dans la science un fond incertain et flou que le probable amplifie à. »

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