Dissertation: Faut-il respecter en autrui le semblable ou l'être différent de nous ?
Publié le 22/02/2012
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[Introduction] Nous devons respecter autrui ! La maxime semble claire. Et pourtant, lorsque je m'avise qu'autrui n'est pas seulement mon semblable mais aussi, et peut-être fondamentalement, un être différent de moi, que je serais tenté de rejeter en raison de son altérité, l'idée que j'ai de mon devoir peut perdre de sa clarté. A quel titre au juste dois-je respecter autrui ? Faut-il respecter en autrui le semblable ou l'être différent de nous ? Tout le problème est là ! Le respect dû à autrui tient, à n'en pas douter, à ce qu'il est, en étant celui que la langue philosophique me fait appeler "autrui". Mais dois-je le respecter en tant qu'il m'est semblable, et essentiellement à ce titre ? Ou bien dois-je le respecter dans sa différence même, à supposer que je puisse faire la part éthique en lui entre l'identité et l'altérité qui nous qualifient l'un par rapport à l'autre ? Telles sont les questions auxquelles nous serons amenés à répondre après avoir examiné de près la teneur exacte du problème que pose la détermination du fondement du respect que nous devons à autrui. [Développement] [Partie initiale, faisant passer la réflexion de la question posée au problème soulevé] Nous avons pour tâche de nous interroger sur le respect dû à autrui, afin d'être en mesure de dire à quel titre il lui est dû: est-ce à titre de semblable ou bien à titre d'être différent de nous ? Nous sommes ainsi placés devant ce qui semble bien être une alternative, mais qui pourrait ne pas être absolue : il n'est pas exclu a priori qu'autrui demande à être respecté à la fois en tant qu'il est notre semblable et en tant qu'il est un être différent de nous. N'est-il pas en effet, par définition, l'un et l'autre ? Qui dit autrui dit un autre que moi, donc autre et pourtant fondamentalement le même. Etant un sujet comme je suis moi-même un sujet, il ne peut être, du coup, en tant qu'il est lui-même sujet qu'unique et donc autre que le sujet que je suis moi-même ! Mais est-ce à ce double titre ou seulement à l'un des deux que nous devons le respecter, nous tous qui sommes aussi des sujets. La solution du problème ne tient-elle pas à la nature même du respect que doit nous inspirer autrui ? Il convient donc de bien savoir ce que respecter autrui peut vouloir dire. Le respect est un sentiment qui diffère en ceci des autres sentiments qu'il est une disposition intérieure qui nous oblige à adopter une certaine conduite à l'égard de son objet. C'est un sentiment moral - le seul d'ailleurs à être moral, si l'on en croit Kant. Quelle est la conduite que ce sentiment nous oblige à adopter? Kant l'a dit de façon on ne peut plus claire, en formulant la maxime qui nous dicte notre conduite : le respect nous oblige à "traiter l'humanité tant dans notre personne comme dans celle des autres toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen."
Nous sommes ainsi amenés à nous demander si nous sommes dans l'obligation morale de traiter tout autre sujet humain que nous toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen du fait de son identité ou bien de son altérité. Si nous posons la question en ces termes, c'est, d'une part, parce que, à la suite de Kant et de toute la tradition judéo-chrétienne, nous reconnaissons devoir à autrui un respect inconditionnel et, d'autre part, parce qu'autrui nous apparaît conceptuellement devoir être défini comme étant à la fois notre semblable et un être différent de nous. Nous voici ainsi amenés à fonder en toute clarté ontologique l'exigence éthique qui nous oblige à respecter autrui. Comment savoir ce qui, en autrui même, fonde le respect qui lui est dû de notre part ? Nous sommes spontanément enclin à respecter nos semblables, justifiant ainsi indirectement le respect qu'ils nous doivent eux-mêmes. Commençons donc par nous demander si c'est bien parce qu'ils nous sont semblables que nous devons les respecter. Demandons-nous ensuite si ce ne serait pas plutôt en raison de leur altérité. Nous devrions alors être en mesure de savoir, tous comptes faits, ce qui, en eux, requiert les égards éthiques que nous leur devons. [Première partie de la recherche d'une solution au problème: est parce qu'autrui nous est semblable que nous devons le respecter ?] Il ne s'agit pas pour nous de savoir si nous serions enclins à respecter notre semblable. A ce sujet, d'ailleurs, les thèses divergent. Les uns, tel Rousseau, qui est d'ailleurs un des rares penseurs à soutenir ce point de vue, seraient portés à penser que l'homme est naturellement bon et qu'il ne chercherait pas en conséquence à faire inutilement du mal à son prochain. Les autres, beaucoup plus nombreux , tiennent l'homme pour être un "loup pour l'homme", selon la formule rendue célèbre par Hobbes. Quelle que soit notre conduite spontanée, fraternelle ou hostile, la question est pour nous de savoir ce qu'elle devrait être, eu égard à ce qu'est autrui pour nous.
Or qu'est autrui pour nous ? Il est un homme comme nous, et, à ce titre, notre semblable. Il peut bien ne pas nous ressembler physiquement, psychologiquement, socialement ou culturellement. Il peut être petit et impulsif alors que nous sommes grand et pondéré. Il peut être d'un milieu très modeste, alors que nous occupons une place en vue. Il peut être inculte alors que nous sommes cultivé. Il peut être juif alors que nous sommes chrétien. Reste qu'il est un homme. Il est donc sujet des mêmes droits que nous. Comme nous, il est libre de mener sa vie à sa guise, pour peu qu'il n'empêche pas les autres de faire de même. N'est-ce pas à ce titre que nous lui devons le respect ? Ainsi, si nous travaillons avec lui, nous n'avons pas le droit de le manipuler, en abusant de notre savoir faire psychologique ou de notre position, supérieure hiérarchiquement à la sienne. Nous devons ne pas entraver l'exercice de sa liberté. Il semblerait donc bien que nous ayons le devoir de respecter autrui parce qu'il nous est semblable en humanité. La déclaration universelle des droits de l'homme confère à chacun de nos semblables un droit absolu au respect en lui reconnaissant une dignité égale à la nôtre qui nous interdit de nous l'asservir d'une quelconque façon, en faisant de lui le pur moyen de la réalisation de nos propres fins. Et pourtant, un tel respect n'est-il pas, paradoxalement, une façon pour nous d'honorer son altérité radicale ? S'interdire de décider pour quelqu'un, n'est-ce pas reconnaître que nous ne saurions le faire à sa place, et donc s'interdire de s'identifier à lui ? [Deuxième partie de la recherche d'une solution au problème : n'est pas plutôt parce qu'autrui est un être différent de nous que nous devons le respecter ?] Si autrui m'était totalement semblable, ce qui vaudrait pour moi vaudrait pour lui ! Ainsi, s'il est bon pour moi, homme, de vivre ma sexualité dans des rapports avec une femme, il devrait en être de même pour tout autre homme, et je ne saurais donc admettre que quelqu'un puisse se comporter autrement que moi-même. En conséquence de quoi je ne me tiendrais pas pour tenu de respecter un homosexuel ! Et pourtant, n'a-t-il pas droit à mon respect ? Respecter, ce n'est pas approuver une différence, alors même qu'elle me répugnerait. C'est refuser d'inféoder quelqu'un à ma façon de voir, fût-elle, à mes yeux, la seule valide, a fortiori de le condamner sans appel, ainsi que nous sommes facilement tentés de le faire. Pourquoi dois-je respecter dans sa différence celui qui, tout en m'étant semblable en humanité, vit son humanité de façon différente de celle dont je conçois et vis la mienne ? N'est-ce pas parce qu'il n'est pas moi ? Parce que je n'ai pas à régir sa vie comme je régirais la mienne ? Ainsi que Lévinas le donnait à penser en toute clarté, "autrui en tant qu'autrui n'est pas seulement un alter ego. Il est ce que moi je ne suis pas." Il est le sujet que je ne saurais être à sa place sans me l'assujettir. Si je pense, lui aussi pense. Et il n'a pas à penser ce que je pense, sans concevoir de lui-même qu'il est bon et juste pour lui-même de le penser. Je dois respecter sa liberté de penser ! Ce qui est vrai pour moi est-il vrai pour nous ? Nous voulons savoir en effet s'il faut respecter en autrui le semblable ou l'être différent de "nous" ? Le problème ne concerne donc pas que la morale privée. Il concerne aussi la morale publique, sociale et politique. Devrions-nous, parce que nous sommes français n'accueillir sur notre sol que celui qui accepterait d'être notre semblable en adoptant nos us et coutumes? Les racistes le pensent, qui ne jugent de l'humain qu'à l'unité de mesure anthropologique de leur identité morphologique, sociale et culturelle. Qui ne verrait qu'ils soumettent leur relation aux autres à leur seul intérêt identiaire ? Ils font des autres le moyen de leur propre affirmation. Nous sommes aux antipodes du respect, qui nous oblige à donner aux autres la possibilité d'être eux-mêmes, pour autant qu'ils ne nous empêchent pas d'affirmer nous- mêmes notre identité. [Conclusion] Nous pouvions hésiter à distinguer en autrui , quant au respect qui lui est dû, le semblable et l'être différent de nous. N'est-il pas l'un et l'autre, indissociablement ? Un examen attentif des titres qu'a autrui à être respecté nous conduit à penser que, si nous devons respecter en lui le semblable, c'est au fond parce qu'il est différent de nous ! C'est en cela et en cela fondamentalement que réside sa similitude avec nous : nous sommes tous des sujets dont l'altérité fonde l'unicité irréductible. Nous devons respecter en autrui l'être unique qu'il est, à qui et à qui seul il revient de mener sa vie selon ses valeurs propres. Se pose dès lors le problème, ô combien délicat , de la tolérance. Au nom du respect, devrions- nous tout accepter de la part d'autrui ? Ce serait oublier un peu vite que si nous devons respecter en autrui l'être différent de nous, c'est en tant que il est sujet, responsable de ses actes, et à ce titre, tenu d'en répondre…
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