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Diodore de Sicile, Bibliothèque historique (extrait)

Publié le 13/04/2013

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Dans les premiers chapitres de sa Bibliothèque historique, l’historien grec Diodore de Sicile présente l’intérêt de l’histoire. Cette science, dont il fait l’éloge, possède l’avantage de regrouper les expériences collectives, que chacun peut faire sienne. Elle conduit les hommes à se surpasser, à accomplir de nobles actions ou à mener d'héroïques combats pour qu’une postérité glorieuse leur survive. Supérieure aux autres arts écrits mais aussi à la mythologie, l’histoire témoigne enfin, selon l’auteur, de la grandeur de la culture grecque.

Bibliothèque historique de Diodore de Sicile (livre premier)

 

I. 1 C’est justice que tous les hommes éprouvent une vive gratitude envers les écrivains qui ont composé des histoires universelles, car ils ont consacré tous leurs soins à servir par leurs efforts individuels les intérêts communs de la société. Leurs ouvrages, offrant sans risque un enseignement de ce qui est utile, fournissent à leurs lecteurs la plus précieuse des expériences. 2 Car si les leçons tirées de notre expérience personnelle nous mettent en mesure, à travers bien des dangers et des peines, de discerner en toutes choses ce qui est profitable — et c’est ainsi que le héros le plus riche d’expérience, au prix de grandes infortunes,

 

 

Vit les villes de maints peuples et connut leur esprit — la compréhension des revers et des succès d’autrui puisée dans l’histoire apporte, elle, une instruction exempte de peine. 3 Ensuite, considérant que tous les hommes ont entre eux une parenté originelle et ne diffèrent qu’en fonction des temps et des lieux, ces historiens ont consacré tous leurs soins à les faire entrer dans un seul et même ensemble et, par là, ont agi pour ainsi dire en ministres de la divine Providence. Celle-ci en effet, ayant établi une correspondance entre l’arrangement des astres que nous observons et les natures variées des hommes, entraîne constamment tout le cours du temps dans un mouvement circulaire, distribuant à chacun le lot qui lui est assigné par le destin ; de même ces historiens, en exposant les événements de l’ensemble du monde habité comme s’ils se rapportaient à une seule cité, présentent leurs propres ouvrages comme une histoire cohérente, trésor d’une expérience commune rassemblant les faits du passé. 4 Car il est beau de pouvoir s’appuyer sur l’exemple des erreurs d’autrui afin de redresser les siennes et, au long des hasards variés de l’existence, de pratiquer moins l’analyse du présent que l’imitation des méthodes qui ont réussi. Si en effet, dans les conseils, nous préférons tous l’avis des vieillards à ceux des jeunes gens, c’est en raison de l’expérience qu’ils ont acquise au cours des années. Or l’expérience puisée dans l’histoire surpasse cette expérience individuelle dans la mesure où nous reconnaissons qu’elle l’emporte par l’abondance des données dont elle dispose. Ainsi donc, on ne saurait douter que, dans toutes les situations de la vie, la connaissance de l’histoire soit de la plus grande utilité. 5 À la jeunesse, elle donne les lumières de l’âge ; chez les vieillards, elle multiplie l’expérience acquise ; elle prépare les simples citoyens aux tâches du commandement ; elle pousse les hommes d’État aux plus belles entreprises dans l’espoir d’une gloire immortelle ; enfin, tandis que, par les éloges publiquement décernés aux morts, elle incite les soldats à braver d’un meilleur cœur les dangers pour servir leur patrie, par la crainte d’une honte éternelle, elle détourne les méchants de leurs coupables projets.

 

 

II. 1 D’une manière générale, c’est parce que l’histoire perpétue le souvenir de leurs bienfaits qu’elle a incité les uns à fonder des villes, d’autres à promulguer des lois aptes à garantir la sécurité publique, d’autres enfin, en grand nombre, à consacrer tous leurs soins à approfondir les sciences et les arts pour le bonheur du genre humain. Et comme ce bonheur ne se réalise pleinement que grâce à toutes ces activités combinées, il faut en attribuer le mérite principal à celle qui en est la cause première, à l’histoire. 2 C’est en elle qu’il faut voir la gardienne du mérite des hommes de valeur, le témoin des crimes des méchants, la bienfaitrice du genre humain tout entier. S’il est vrai que les mythes infernaux, bien que la matière en soit imaginaire, contribuent puissamment à retenir les hommes dans la piété et la justice, combien plus grande encore peut-on supposer l’influence que l’histoire, cette prophétesse de vérité, qui est comme la métropole de toute philosophie, exerce sur le progrès moral ! 3 Tous les hommes en effet, de par la fragilité de leur nature, ne vivent que pendant une infime portion de l’éternité ; ils sont morts pendant tout le reste du temps à venir et pour ceux qui, au cours de leur existence, n’ont rien accompli de méritoire, l’ensemble de leur vie périt avec le corps. Mais pour ceux qui ont su acquérir une réputation grâce à leurs mérites, leurs actions vivent éternellement, célébrées par la voix toute divine de l’histoire. 4 Il est beau, je crois, et tout homme sensé doit en convenir, d’échanger des travaux périssables contre une gloire impérissable. Prenez Héraclès par exemple : de l’aveu général, pendant tout le temps qu’il a passé parmi les hommes, il s’est soumis de plein gré et sans relâche à de grandes et redoutables épreuves afin de gagner l’immortalité pour prix des services rendus au genre humain. Parmi les autres hommes de valeur aussi, les uns ont obtenu les honneurs héroïques, d’autres les honneurs divins, mais tous ont été pour le moins jugés dignes de grands éloges, dès lors que l’histoire a immortalisé leurs mérites. 5 C’est que les autres monuments ne subsistent que peu de temps, détruits qu’ils sont par toutes sortes de hasards. En revanche, la puissance de l’histoire, s’étendant à l’ensemble du monde habité, trouve dans le temps, ce destructeur de tout le reste, le garant de sa transmission éternelle à la postérité.

 

 

L’histoire apporte aussi sa contribution à l’éloquence. Or on aurait peine à trouver un art plus beau que celui-là. 6 C’est grâce à lui que les Grecs l’emportent sur les Barbares, les gens cultivés sur les être incultes. Bien plus, c’est uniquement grâce à lui qu’un homme seul peut dominer une multitude. D’une manière générale en effet, l’impression produite par n’importe quelle proposition se mesure à l’éloquence de l’orateur qui la présente, et si nous disons des hommes de valeur qu’ils sont « dignes que l’on parle d’eux «, c’est que nous pensons qu’ils ont gagné ainsi la récompense suprême due à leur mérite. 7 Mais l’art de bien dire se divise en plusieurs branches : on constate que la poésie cherche l’agrément plutôt que l’utilité, que la rédaction des lois vise à la répression, non à l’instruction, et que de même, parmi les autres genres, les uns ne contribuent en rien au bonheur, les autres mêlent inconvénients et avantages, et certains même falsifient la vérité. Seule, l’histoire, en qui les mots et les actes s’accordent parfaitement, cumule en ses récits tous les autres avantages. 8 On la voit exhorter les hommes à la justice, dénoncer les méchants, louer les gens de bien, en un mot fournir à ses lecteurs le plus vaste champ d’expérience.

 

 

Source : Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Livre I, trad. par Yvonne Vernière, Paris, Les Belles Lettres, 1993.

 

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