Didier Ratsiraka l'ami caméléon
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
conquête et le maintien d'un pouvoir personnel et familial sur un peuple qui, confie- t-il parfois, l'a « déçu par la lenteur de sonévolution ».
Au terme d'un itinéraire politique aussi sinueux, l'énigme reste entière concernant ses rapports avec la France.
« Languefrançaise, langue d'esclaves », lisait-on sur les murs de Tananarive en 1972, lorsqu'il retrouve « un pays devenu fou » : « Laxénophobie était un torrent impétueux que je ne pouvais arrêter, j'ai essayé de le détourner en me montrant plus antifrançais queles antifrançais.
» Une surenchère purement tactique, selon lui, pour couper l'herbe sous le pied de ses opposants d'extrêmegauche.
Son nationalisme n'aurait donc été que de circonstances, de la même manière qu'il fut tour à tour socialiste, libéral, écolo,au gré des modes ? « Cette étiquette de dictateur coco antifrançais, je la garderai jusqu'à la mort, dit-il.
Pourtant, depuis 1972,les Français ont été avertis de chacune de mes décisions.
»
Son réseau ? D'anciens camarades officiers et « les patrons successifs de la Piscine (ex- Sdece) ».
Mais pas seulement.
Sur satable de travail, il montre un téléphone blanc : « J'avais une ligne cryptée avec l'Elysée, pas avec Moscou ni Pékin.
» JacquesChirac est un ami de presque trente ans, qu'il tutoie.
En 1975, alors que Valéry Giscard d'Estaing avait refusé de recevoirl'impétueux chef d'Etat malgache, le premier ministre lui avait fait les honneurs de Matignon.
Vingt ans plus tard, lors de son « exil» volontaire en France pour soigner ses yeux et les troubles cardio-vasculaires de son épouse, le président déchu de Madagascarbénéficiera d'un appartement de la Ville de Paris, dont M.
Chirac était maire.
« Un ILM dans le quartier libanais et chinois deMontparnasse, que nous avons toujours d'ailleurs et dont nous payons le loyer, précise Didier Ratsiraka.
En 1995-1996, nous yavons vécu à neuf dans quatre pièces.
» Selon de nombreux Malgaches, les liens entre les deux hommes passeraient aussi par le «lobby réunionnais », des investisseurs de l'île voisine qui ont beaucoup d'intérêts à Madagascar.
Mais « Ratsiraka le rouge » n'a pas tardé à séduire aussi VGE, qui s'est rendu dans la Grande Ile dès 1976.
Les deux hommesprennent l'habitude d'un déjeuner annuel, et deviennent « très bons amis ».
François Mitterrand n'en concevra pas d'aigreurparticulière : « Je suis le seul chef d'Etat africain à avoir fait la sieste à Latché, où j'ai été invité à deux reprises », rappelle leMalgache, fier d'avoir servi d'intermédiaire auprès de Kadhafi pour désamorcer la crise franco-tchadienne.
« C'est pour cela queje suis grand- croix de la Légion d'honneur.
»
QUAND le président français visite Madagascar en 1990, Didier Ratsiraka a oublié les menées anticolonialistes de ses débutsen politique.
« La décolonisation de l'Afrique noire française a été une réussite préparée par François Mitterrand, mise en oeuvrepar Gaston Defferre, parachevée par le général de Gaulle et, j'ajouterai, consolidée par le président Mitterrand », s'exclame-t-ildans une allocution au long cours, parsemée de références au « grand Jaurès ».
Devenu d'un coup plus profrançais que lesprofrançais, l'amiral s'embarque dans une déclaration d'amour : « Il convient de ne pas mettre Madagascar sous le vent del'histoire.
Et nous entendons pour ce faire naviguer de conserve avec la France, un navire moderne, sûr, fiable, hydrodynamique,performant et digne de confiance ! »
Jusqu'au bout, pourtant, c'est une méfiance réciproque qui présidera aux relations entre les deux pays.
Depuis le débarquementdes mercenaires de Bob Denard aux Comores en mai 1978, Didier Ratsiraka est installé dans la hantise du complot fomenté àl'extérieur, prioritairement par les services français, pour le déstabiliser.
Cette vision paranoïaque de la diplomatie française estexacerbée par un exercice de plus en plus solitaire du pouvoir.
Aujourd'hui encore, le rôle qu'il préfère endosser devant sesinterlocuteurs est celui de la victime.
Pour sa part, le Quai d'Orsay s'est toujours montré circonspect à l'égard de cet ami caméléon dont les intentions sont souventinsondables.
De plus, la rumeur publique l'accusant des pires turpitudes n'a cessé d'enfler tout au long de son règne, jalonné demorts accidentelles suspectes et d'attentats non élucidés.
L'affairisme reproché à son frère Etienne au début de son mandatsemble avoir déteint sur ses enfants en fin de parcours, alimentant le ras-le-bol d'un peuple parmi les plus pauvres du monde.
Enpleine campagne électorale, sa fille aînée, « Princesse Sophie », a défrayé la chronique tananarivienne en fêtant sans discrétionson centième milliard de francs malgaches (environ 15 millions d'euros) dans une boîte de nuit de la capitale.
Lors du soulèvement populaire de 1991, Paris avait eu une attitude de soutien embarrassé.
Didier Ratsiraka n'avait-il pas faittirer sur la foule au lendemain d'un appel téléphonique de François Mitterrand le félicitant pour son « sang-froid » ? Par la suite,les Français avaient favorisé une sortie avec les honneurs.
Dix ans après, nouvel embarras pour le Quai d'Orsay, qui a bien dumal à choisir entre le président sortant et son opposant Marc Ravalomanana, proclamé élu le 29 mars mais dont M.
Ratsiraka «refuse fermement la légitimité ».
Lundi 6 mai, la France s'est fait représenter à la cérémonie d'investiture de M.
Ravalomanana...par le numéro deux de son ambassade.
La France, encore et toujours : c'est vers elle que Didier Ratsiraka s'apprêtera peut-être à nouveau à faire retraite, s'il se décideà abandonner le pouvoir.
Au moment de quitter son île, « le Vieux » songera-t-il à ce jour de janvier 1955 où un gamin d'à peine.
»
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