(De l'Esprit de lois, livre XV, chap V), Montesquieu
Publié le 16/09/2006
Extrait du document
De l'esclavage des nègres,
(De l'Esprit de lois, livre XV, chap V), Montesquieu (1748)
Introduction
Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu (1689-1755). Philosophe du XVIIIème, il a un idéal de liberté, contre esclavage. Etude de droit d’où le titre de l’œuvre.
De l’esprit des lois traité de sciences politiques, paru en 1748 anonyme ; œuvre condamnée par l’Eglise. Il s’oppose à l’intolérance. Genre : essai. Type de discours : argumentatif, 9 §. Idée principale : Montesquieu dénonce l’esclavage en utilisant registre ironique : il parle comme s’il était esclavagiste, mais ses arguments s’autodétruisent car ils sont absurdes.
Le code noir : 1685, Louis XIV demande que l’on rédige un code noir, ensemble de 60 articles de lois : ex : art 2 oblige les esclaves à être baptisés ; doivent aller à la messe dimanche ; tentative évasion on leur coupe les oreilles et on leur tatoue au fer rouge, 2è tentative coupe jarret, 3è : mort. Annonce du plan :
I) Une énonciation révélatrice de l’implication de Montesquieu
II) Les arguments d’ordre économique et historique
III) La dénonciation du racisme
III) La religion mise en accusation
I) Une énonciation révélatrice de l’implication de Montesquieu
A. Les indices personnels de l’énonciation : Ce texte est destiné à persuader. Pronom « je « = Montesquieu, il s’implique, c’est un essai (cf Montaigne). A la fin du texte « de petits esprits « désigne les philosophes du XVIIIème, dont il fait partie. « Nous « valeur ambiguë ; il désigne les européens, mais il n’en fait pas partie. C’est un « nous « ironique, il fait semblant de parler comme les esclavagistes (cf Montaigne : « mais quoi ils n’ont point de haut de chausse «). Puis il s’adresse au Princes d’Europe, précisément Louis XV, qu’il critique.
B. Les indices spatio-temporels : lieu Europe. Temps : présent indicatif ( problème contemporain. 1ère phrase : « si j’avais à soutenir je dirais « : plaidoyer hypothétique. Le conditionnel a valeur d’irréel et non de potentiel. De ce mode conditionnel découle toute l’ironie du texte.
C. Les indices de jugement : Dans un essai l’auteur donne son avis. Voc évaluatif, dépréciatif « exterminé, s’en servir, écrasé, prive «.
II) Les arguments d’ordre économique et historique
A. Génocide et traite : c’est le 1er argument de l’auteur. Il fait réf au commerce triangulaire avec « europe, amérique, afrique «. Réf à la colonisation, au besoin de main d’œuvre pour les terres à cultiver. Avec « exterminer « réf au génocide des indiens dès C.Colomb. Mais l’arg ne tient pas la route : antiphrase « ils ont dû « est une fausse obligation. De + un crime ne peut justifier un autre crime. Donc en fait l’auteur pense qu’il ne fallait pas tuer les indiens et que la main d’œuvre se paye.
B. Le « prix du sucre « (expression de Voltaire) : au 1er degré c’est vrai qu’il y a un rapport entre prix main d’œuvre et prix sucre ; sucre fait réf au commerce triangulaire (pas comm équitable). Mais l’adverbe « trop « qui exagère et fait sentir l’ironie. Il fait semblant de parler comme un esclavagiste. C’est à partir de ce moment qu’est né le petit déj à la françcaise car les européens des Antilles et Amérique chocolat, café, sucre… Disproportion entre sucre et esclave.
III) La dénonciation du racisme :
A. Le préjugé de couleur : (arguments 3, 4, 5, 6) forte insistance.
• L’esclave est réduit à sa couleur : « nègre « (l.1, 19) < negro : noir en espagnol. Non raciste au XVIIIème siècle ? (cf la négritude au XX ème) ; « noirs « (l. 13). Le champ lexical de l’esclave se poursuit de manière dépréciative avec « ceux « et « ces gens-là «. Evolution en fin de texte : ce sont des « Africains « (l. 25), terme neutre et respectueux comme européens.
• Au premier degré, la couleur de la peau noire est un étonnement réel au XVIII ème: « Noirs depuis…tête « (l.7), « tout noir « (l.10) : Mélanine inconnue. Sujet du concours à l’académie de Bordeaux (1741) dont Montesquieu était membre.
D’autre part les esclavagistes ne considéraient pas les noirs comme des hommes à part entière : « Il est si naturel…humanité « (l.11) ( seuls les blancs sont des hommes. Les « eunuques « en Orient étaient des hommes souvent noirs, castrés pour ne pas faire d’enfants aux femmes qu’ils gardaient.
Enfin le sacrifice des « roux « (l.17) par les égyptiens est une réalité historique liée à la mythologie : Seth, un roux, a tué Osiris, aussi les rois ont sacrifié des roux sur la tombe d’Osiris. De plus, les roux étaient des étrangers. Notons que les références à l’Antiquité, au XVIII ème, étaient comme un argument d’autorité.
• Le second degré est rendu sensible par l’exagération ridicule de l’étonnement exprimée par « depuis, jusqu’à, tout, si «. Montesquieu utilise un raisonnement absurde (argument 3) : pas de rapport entre le « nez « et le fait de les « plaindre « ; la castration ne justifie pas l’esclavage ; de même pour le sacrifice des « roux «. En outre, Montesquieu use d’antiphrase : « presque impossible de les plaindre « (l 8), « Il est si naturel « (l.11), « les meilleurs philosophes du monde « (l.16).
B. La relativité des valeurs : (arg 7)
• Au premier degré, les rois africains se sont effectivement fait duper au début du commerce triangulaire en échangeant leurs prisonniers contre des « collier(s) de verre « (l.20). Ils étaient donc considérés comme n’ayant pas « le sens commun «, autrement dit comme stupides.
• Il faut comprendre le second degré et admettre la relativité des valeurs : ce qui est rare est cher. Et l’amour de l’ « or « des européens dits « nations policées « ou civilisées, engendre la cupidité, le commerce triangulaire et l’exploitation des esclaves.
IV) La mise en cause de la religion :
A. Une âme blanche : (arg 4)
• Au premier degré, il pose le problème de l’existence de l’ « âme « (l.10). Or le Code noir obligeait les esclaves au baptême dans les colonies françaises. Ils n’étaient pourtant pas reconnus totalement comme des hommes (cf les femmes au XVI ème). C’est un raisonnement à fortiori : « Dieu…très sage «.
• Le second degré se comprend par la moquerie « On ne peut se mettre dans l’esprit que… « qui sous-entend l’étroitesse d’esprit de ceux qui raisonnent ainsi. D’autre part il n’y a pas de lien entre l’âme et le corps donc le raisonnement est absurde. Enfin la symbolique des couleurs est relative (blanc : pureté ; noir : mal et deuil en occident- en Afrique la couleur du deuil est le blanc).
B. Une accusation plus directe : (arg 8)
« Il est impossible… «. Cet argument constitué d’un raisonnement en trois parties proche du syllogisme est moins ironique.
• Syllogisme au premier degré : majeure : nous sommes chrétiens (sous-entendu notre religion interdit l’esclavage des hommes) / mineure : or nous admettons l’esclavage des noirs / conclusion : donc les noirs ne sont pas des hommes.
• Second degré du syllogisme : idem pour la majeure et la mineure. Mais pour la conclusion il faut comprendre : Donc « nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens « (l 24). Cet argument souligne la contradiction résidant dans le fait d’être esclavagiste et chrétien. L’indignation efface l’ironie. Le conditionnel « on commencerait à croire « a une valeur de potentiel. Il est à comprendre au premier degré.
• Le texte se termine sur un appel à la « miséricorde « et à « la pitié « (termes redondants). Montesquieu interpelle la conscience religieuse des « princes d’Europe « afin que cesse ce crime contre l’humanité.
Conclusion
A. Bilan : pour répondre à la question, l’enjeu de ce texte est l’abolition de l’esclavage. Montesquieu dénonce ironiquement cette pratique, forçant ainsi le lecteur à réfléchir. Il utilise des arguments qui pouvaient être utilisés par les partisans de l’esclavage. Ainsi, il met en relief la psychologie du raciste. Mais le deuxième degré est sensible par l’absurdité du raisonnement. Il accuse les colons, les négriers, les rois et la religion complice. L’auteur exprime son humanité, sa raison, et son christianisme.
B. Elargissement : efficacité du texte : première abolition en France en 1794. Abolition en 1848 par Schoelcher. Texte à comparer avec celui de Voltaire.
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