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Cours: L'HISTOIRE (1 de 2)

Publié le 22/02/2012

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histoire

 

INTRODUCTION : les sens du terme

"Histoire" peut avoir plusieurs sens. Il y a d’abord l’histoire comme discipline scolaire: c’est la science qui s’intéresse aux faits passés. Mais il y a aussi l’histoire comme l’ensemble des faits passés, la réalité historique dont l’historien cherche à prendre connaissance. "Histoire" désigne aussi bien la connaissance du passé que ce passé lui-même (attention à l’ambiguïté de certains sujets), le connu que la connaissance. Il y a un troisième sens: "histoire" désigne tout récit, ce qu’on raconte, au sens le plus large.

I. LES PROBLEMES DE LA CONNAISSANCE DU PASSE

L’ambiguïté du terme fait tout le problème du travail de l’historien. Au fond, un historien, est-ce autre chose que quelqu’un qui raconte des histoires sur l’histoire? Peut-on alors sérieusement parler de "science" historique? Comment un récit, un "muthos", peut-il avoir une valeur scientifique? C’est tout le problème du statut épistémologique des sciences de l’homme qui se pose ici.

1) l’historien s’intéresse au sens des faits passés, non à leur "vérité"

Le problème de la connaissance se pose avec une acuité toute particulière pour l’historien. En effet, l’histoire est la seule discipline qui s’intéresse à un objet qui est par principe absent, dont on n’a gardé que quelque traces (témoignages, vestiges, légendes...) qu’on peut toujours interpréter comme bon nous semble. Le passé est révolu, donc on ne peut pas "vérifier" en histoire.

Il y a des thèses qui s’affrontent sur le sens à donner à tel ou tel événement, sur ce qui s’est réellement produit ce jour-là, mais on ne peut plus parler de vérité: il y a toujours plusieurs versions possibles, on est d’accord sur les faits (ce qui s’est passé à Waterloo un certain jour de 1815, par exemple), mais pas sur le sens de l’événement, ce qui justement compte le plus à nos yeux. Il y a donc interprétation, recherche de sens (rendre significatif), sans que la vérité du passé soit jamais plus que l’horizon de la recherche historique.

Il faut donc abandonner l’idée naïve qui consiste à croire que l’historien nous raconte les faits tels qu’ils se sont réellement passés: si c’est ça la "science historique", on ne peut pas parler de science. Il n’y a rien qui puisse nous assurer que ça s’est passé ainsi. Cette conception scientiste risque plutôt de mener au scepticisme: tous les historiens se contredisent entre eux, comment choisir?

L’historien essaie, lorsqu’il raconte une histoire sur le passé, de reconstruire le passé avec un gain de sens, un maximum d’intelligibilité, pas de le retrouver à l’état brut. Les faits ne parlent pas, ils ne sont qu’une base sur laquelle peut s’édifier un discours raisonné, mais il appartient à l’historien de justifier sa lecture des faits.

2) la construction du fait historique

Comment l’historien s’y prend-il pour rendre compte du passé? On pense couramment qu’il lui suffit d’examiner les vestiges du passé et d’en tirer les conséquences qui s’imposent. Mais alors, il n’est pas besoin d’être historien: n’importe qui, avec un minimum de bon sens, pourrait en faire autant!

En fait, le travail d’historien consiste en grande partie à "construire des faits historiques"! C’est-à-dire qu’un fait n’est pas historique en lui-même. Qu’il s’agisse d’un tesson de poterie par exemple: c’est à l’historien qu’il incombe de lui donner une signification historique, de déterminer le style, l’époque de fabrication, l’utilisation qui en a été faite, etc.

De sorte qu’on ne peut pas dire qu’il y a des objets ou des faits qui sont en eux-mêmes historiques, d’autres qui ne le sont pas. L’opération historique consiste à ajouter quelque chose à un objet qui n’a rien d’historique en lui-même, qui peut être tout à fait banal.

La conception régnante de l’histoire croit que l’historien retrouve dans un objet ou un témoignage du passé ce que l’histoire lui a imprimé. Comme si cet objet parlait de lui-même. Il s’agit là de la conception qu’on pouvait se faire de l’histoire au dix-neuvième siècle. Dans les années trente, l’histoire a connu une véritable révolution épistémologique, avec l’école des Annales. Cette école d’historiens a mis en avant une conception "lente" de l’histoire.

Jusqu’à eux, ce qui faisait l’objet des études historiques, c’est une histoire rapide, événementielle. C’est-à-dire qu’on s’intéressait uniquement à des événements marquants, qu’on dit historiques au sens où ils auraient changé le destin d’une nation, par exemple. On s’intéressait donc à des "grandes dates", 1492, 1515, 1789, etc. On peut dire que l’histoire de France (et on l’enseigne encore ainsi, au moins dans le cycle primaire) se confondait avec la biographie de quelques "grands hommes".

Avec l’école des Annales, l’historien a commencé à s’intéresser à des objets historiques qu’on considérait comme insignifiants jusque là. Par exemple, parmi les travaux de ces historiens, on peut citer, de Braudel une histoire de la Méditerranée, de Le Roy-Ladurie une histoire du climat... Tout peut, a priori, devenir historique: histoire de l’alimentation, du quotidien, des manières de se tenir à table, des cimetières... Justement parce que c’est l’historien qui construit l’objet historique, qui lui donne sa dimension historique.

C’est-à-dire que l’historien ne retrouve pas le passé, il le reconstruit à partir du présent, plus ou moins bien, avec plus ou moins de talent. Comment s’y prend-il?

3) le problème des témoignages

Le travail de l’historien consiste, à partir de témoignages d’un certain passé, à proposer une certaine version, une vision de ce passé. Mais ces témoignages posent problème. Tout d’abord, parce qu’ils peuvent prendre des formes variées: ce sont aussi bien des vestiges matériels (des ruines, un camp archéologique..) que des témoignages écrits (mémoires) ou oraux (légendes). Son matériel de départ est donc multiforme. Prenons l’exemple de témoignages écrits.

Que prétend-il en faire? Est-ce qu’il prétend par exemple, à la lumière de ces documents, avoir une vision des choses aussi exacte que celle des contemporains? Cela semble une gageure impossible à tenir: il est à première vue trop mal placé, trop éloigné de son objet d’étude. Cela relèverait du tour de force: surmonter la distance temporelle, pour connaître les événements aussi bien que les protagonistes. Il semblerait donc que dans son projet même, l’histoire, en ce sens, soit grevé d’un défaut, d’une tare de départ. On y reviendra.

Ensuite, remarquons qu’il ne peut pas admettre tous les témoignages tels quels: certains sont contradictoires entre eux, il faudra opérer des choix. L’historien est volontairement partiel, est-il partial pour autant? Comment s’y prend-il pour opérer ses choix?

En fait, choisir certains témoignages contre d’autres, cela ne veut pas dire que l’historien admet ce qui est écrit ici, rejette ce qui se trouve là.

Tout d’abord, il soumet ces documents à une critique: qui a écrit cela, dans quel but, l’auteur est-il de parti pris, quelle est son intention... Or un document n’est jamais neutre, il reflète la position de son auteur. On a même parfois à faire à des "faux"! Par exemple, l’événement qui a déclenché la guerre de 1870 est une certaine lettre écrite par Bismarck depuis la ville d’Ems, qui contenait des termes injurieux pour la France et qui est tombée entre "malencontreusement" entre les mains des services secrets français. Cette lettre a eu l’effet d’"un chiffon rouge sur le taureau gaulois". N’obtenant pas réparation, la France a déclaré la guerre à la Prusse. Et ce n’est que récemment que certains historiens ont pu établir que Bismarck avait écrit cette lettre intentionnellement et a tout fait pour qu’elle tombe entre les mains des français! Son but était de faire l’unification de l’Allemagne (à l’époque éclatée en quelque 300 Etats) dans une guerre contre la France! Pour cela, il fallait que ce soit la France qui déclare la guerre.

On voit donc qu’un document n’exprime jamais un point de vue neutre, il est toujours à critiquer. L’historien ne peut pas espérer y trouver la "vérité" de l’événement qu’il étudie: il y trouvera plutôt l’expression de la situation historique et idéologique de son auteur. Sa vocation n’est pas de déterminer la véracité de certains documents pour en transposer le contenu comme vérité historique. L’historien écrit l’histoire à partir de documents, mais contre ces documents. Il ne construit pas tellement sa thèse à partir des documents qu’il a choisis, mais aussi bien, à l’inverse, il choisit ses documents en fonction de la thèse qu’il veut soutenir.

D’ailleurs tout témoignage sur un événement bien précis, même s’il est sincère, reste prisonnier de la perspective de son auteur.

Si l’on prend l’exemple de la bataille de Waterloo, que sera la vérité de cette journée, où la chercher? Est-ce qu’on peut dire, par exemple, que faire l’histoire de la bataille de Waterloo va consister à faire la synthèse de tous les témoignages dont on dispose sur cette bataille? A collationner, par exemple, les récits de tous les participants? On serait alors face à une quantité considérable de documents, mais surtout la synthèse va en être impossible. Chacun racontera ce qu’il aura vu, mais il y aura certainement des versions contradictoires. Tout se passe comme si l’événement en question se dissolvait dans la masse des témoignages dont on dispose à son égard: on n’a plus que des versions subjectives d’un événement dont l’objectivité est introuvable.

L’événement "Waterloo" ne peut pas être assimilé à la totalité des témoignages sur Waterloo.

Et même si on ne prend que quelques-uns de ces témoignages, lesquels retenir?

Par exemple, dans la Chartreuse de Parme, on trouve un récit de la bataille, vue par le héros, Fabrice Del Dongo: "Il avait beau regarder du côté d’où venaient les boulets, il voyait la fumée blanche de la batterie à une distance énorme, et, au milieu du ronflement égal et continu produit par les coups de canon, il lui semblait entendre des décharges beaucoup plus voisines; il n’y comprenait rien du tout." Fabrice était donc sur le terrain des opérations, n’a rien vu, rien compris, il n’a même pas vu d’ennemi!

On pourrait objecter qu’il était simplement mal placé?

Prenons alors l’exemple de quelqu’un qui était "bien placé": en première ligne, au coeur de la fournaise. Que pourra-t-il raconter de cette journée? Uniquement ce qu’il aura vu, c’est-à-dire pas grand chose: les ennemis qu’il aura tués, ses voisins qui tombaient autour de lui, la peur qu’il aura eue, la fumée qui l’empêchait de voir... Une bataille comme tant d’autres! Tout ce qu’il aura vu, c’est en fait plutôt ce qui l’empêchait de voir autre chose, ce que cette bataille avait d’historique. Engagé dans la mêlé, il y a fort à parier qu’il ne pensait qu’à sa propre survie, qu’il ne cherchait pas plus loin qu’à s’en sortir. C’est-à-dire que les acteurs réels sont souvent trop engagés dans l’action pour en faire un récit général.

Alors prenons quelqu’un qui avait ce point de vue général, qui aurait assisté à la bataille sans y être physiquement engagé: Napoléon, par exemple. Las Cases rapporte à ce sujet, dans le Mémorial de Sainte-Hélène, que le jour anniversaire de la bataille, Napoléon aurait laissé échapper ces quelques mots: "Journée incompréhensible!... Concours de fatalités inouïes!... Grouchy!... Ney!... Derlon!...N’y a-t-il eu que du malheur!... Ah, pauvre France!..." Il faut comprendre que Napoléon, qui était sans doute le mieux placé, n’y a pas compris beaucoup plus qu’un Del Dongo. Il a tout vu, mais ne comprend toujours pas, bien des années plus tard, ce qui s’est passé: pour lui, en y repensant, il aurait dû, en toute logique, gagner cette bataille.

On pourrait conclure en disant que pour rendre compte d’un événement, il n’y a pas de "bon point de vue".

En fait, tous ces observateurs sont trop proches de l’événement, ils manquent de la distance nécessaire pour comprendre ce qui se passe sous leurs yeux.

C’est-à-dire que, finalement, celui qui aura le meilleur point de vue, c’est justement l’historien. Comme il n’a pas assisté à l’événement en question, il ne se laissera pas induire en erreur par sa vision personnelle. Il ne faut donc pas dire que le métier d’historien consiste à pouvoir raconter un événement passé aussi bien que ceux qui y ont assisté, malgré la distance temporelle qui l’en sépare. On pourrait presque dire qu’il s’agit de connaître les hommes du passé mieux qu’ils ne se connaissaient eux-mêmes, ou comme ils ne se sont jamais connus eux-mêmes!

Au contraire, c’est cette distance temporelle qui va lui permettre d’en faire le récit mieux que tous ceux qui y auront assisté en personne. En quelque sorte, pour l’historien, cette distance temporelle est à la fois un obstacle qu’il faut surmonter et un moyen, elle est un garant de son objectivité: il n’est pas impliqué.

D’autant plus que l’historien a un avantage évident sur tous les contemporains de l’événement: il en connaît les retombées, les effets à long et court terme! C’est-à-dire justement ce par quoi cet événement est historique.

On a donc vu que l’historien ne se borne pas à reprendre à son compte ce qu’il aura trouvé dans les témoignages d’époque, ni à en faire la synthèse. Il transforme des témoignages subjectifs, toujours sujet à caution, en un discours raisonné, un discours qui rend compte de ses raisons.

Par exemple, faire l’histoire de la bataille de Waterloo, cela consiste en même temps à tenir compte de ce qu’en dit Napoléon et à dire pourquoi Napoléon n’a pas compris ce qui se passait sous ses yeux, c’est-à-dire à donner une évaluation, une critique de son témoignage...

Mais alors, est-ce que la science historique ne pourrait pas être définie comme un discours (celui de l’historien) sur un discours (celui des témoins)? Peut-elle encore prétendre à un statut d’objectivité: il semble plutôt qu’elle ne fait que rajouter à la subjectivité des témoignages celle de leur interprétation!

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