Cours: L'EDUCATION (1 de 2)
Publié le 22/02/2012
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Il existe deux lectures opposées de ce qui fait l’intérêt philosophique de l’éducation: - la première approche est de type sociologique, elle essaie de comprendre l’éducation dans son lien avec la société - la seconde est anthropologique: l’éducation nous apprendrait quelque chose d’essentiel sur l’homme. C’est la position qui caractérise les "Lumières" en Allemagne à la fin du XVIIIème siècle (Aufklärung). I. ECOLE ET SOCIETE Pourquoi aller à l’école? On pourrait dire que toutes les réponses se ramènent au fond à ceci: pour apprendre un métier, afin de s’insérer dans la société et d’assurer sa subsistance. Dans cette perspective, les études humanistes seraient dépassées, reléguées dans les oubliettes de l’histoire. 1. L’école comme appareil idéologique Toute société existant ou ayant existé à ce jour, repose, d’après Marx, sur des inégalités sociales, sur une injustice fondamentale (pourquoi celui-ci commande-t-il, pourquoi cet autre est-il rivé à une chaîne de montage?). Il y aurait de quoi se révolter! Si les individus se laissent faire, ce n’est pas qu’ils y trouvent leur compte, ni même qu’ils le veuillent bien. C’est qu’on a pris soin de les préparer à trouver cela normal. C’est là le rôle de l’idéologie: faire accepter l’inacceptable, perpétuer l’ordre établi. Ce qui injuste dans les faits semble juste dans les idées... L’idéologie est donc une conception du monde sécrétée par une société et qui la justifie dans son fonctionnement et ses valeurs. Elle permet en quelque sorte à une société de survivre en narcotisant la conscience individuelle, en l’imprégnant et en lui faisant aimer ses chaînes. A tel point que, par le fait de l’idéologie, la conscience n’est rien d’autre qu’un produit social. C’est le philosophe Althusser qui a développé la conception marxiste de l’idéologie, et pour lui, l’école n’est rien d’autre qu’un Appareil Idéologique d’Etat (A.I.E.). C’est au moyen d’institutions comme l’école ou l’Eglise qu’un Etat assoit son autorité et son empire jusque sur l’esprit des individus, les disposant à voir leur intérêt là où il n’est pas, lui évitant de recourir à la force. 2. l’école comme productrice d’inégalités A l’analyse de type marxiste, le sociologue Pierre Bourdieu, dans son livre Les Héritiers, ajoute de nouveaux chefs d’accusation. Par exemple il serait faux de croire que l’école sert à combattre les inégalités sociales: l’accès à la culture, même dans le milieu étudiant est fonction de l’origine sociale. Le rôle social de l’école est même plutôt de fabriquer des inégalités que de les résorber: une société ne fonctionne d’ailleurs qu’à l’inégalité sociale, une société parfaitement juste, égalitaire, n’est une utopie que pour ceux qui ignorent tout de la réalité des mécanismes sociaux. Et il incombe à l’école de fabriquer ces inégalités ou tout au moins de les aménager. Dès l’école, en effet, les individus sont classés selon des critères de compétitivité qui seront ceux de la société (les notes des professeurs). L’école opérerait ainsi quelque chose comme un pré-recrutement: elle ne forme pas les individus, elle les sélectionne... Elle n’est pas là pour donner à tout le monde les mêmes chances (tout le monde ne peut pas être directeur d’usine, il faut surtout des ouvriers dans une usine). Elle est là pour donner à la société les travailleurs dont la société a besoin. On pourrait croire que l’école donne tout de même à chacun sa chance: dans la mesure où, grâce à elle n’importe qui, même un fils d’ouvrier, peut devenir P-D-G. C’est ce qu’on appelle la promotion sociale. Or le livre de Bourdieu est formel sur ce sujet, chiffres à l’appui: un fils d’ouvrier devient rarement autre chose qu’ouvrier. CONCLUSION: dans l’approche par la société, l’école est un instrument de la société, elle sert la société en faisant semblant de servir l’individu. L’école est là pour donner à la société les individus dont la société a besoin. Elle n’est donc rien d’autre qu’une "usine" à faire des travailleurs et des citoyens dociles. 3. l’école contre la société C’est cette conception sinistre du rapport école/société que Hegel semble dénoncer dans ses Propos de Pédagogie. L’argumentation de Marx comme celle de Bourdieu repose sur l’idée que l’école n’est qu’un prolongement de la société. C’est ce que refuse Hegel, avant Bourdieu, avant Marx. L’école est en fait une société à part entière, avec ses rites (bizutage) et ses codes (camaraderie, mode vestimentaire...), en marge de la société. Elle se caractérise ainsi: a) C’est une première forme de société: elle assure une transition, un passage de la sphère de la famille (sphère des besoins, du sentiment) à la sphère de la société proprement dite (sphère de la culture et de la raison). On subit ses parents, mais à l’école, on se choisit, on se fait des amis. b) Et c’est surtout une forme heureuse de société: s’il y a émulation dans une classe, il n’y a pas concurrence. Par exemple, si un élève obtient une bonne note par son travail, je peux me dire que, par le travail n’importe qui, même moi peut avoir la même note. On n’envie pas vraiment celui qui a obtenu une note brillante, au contraire, on se reconnaît un peu en lui. De sorte que, pour Hegel, loin de voir dans l’école une "créature" de la société, il faut y voir une société contre la société,une forme de société qui devrait servir de modèle à la société. C’est au nom de cette société heureuse qu’on peut critiquer la société, en dénoncer toutes les carences et les injustices. L’école offre donc une sorte de contre-exemple, d’alternative à une société dominée par l’esprit de gain: sa vertu est de cultiver la gratuité (études classiques ou "humanités"). 4. Education et instruction L’analyse marxiste et surtout celle de Bourdieu ont un autre défaut:elles ne font pas de différence entre l’instruction (acquisition de connaissances) et l’éducation (formation d’une culture personnelle: en quoi ces savoirs transforment l’individu), elles rabattent l’une sur l’autre. Analysant l’école en termes d’utilité sociale, ils ne font pas droits à ses ambitions, qu’on ne peut réduire à donner à chacun le bagage de connaissances nécessaire pour qu’il puisse exercer sa fonction sociale. Elle se donne aussi pour mission de donner à chacun le moyen, la possibilité de se forger une culture personnelle, socialement inutile. Education vient du latin "ex-ducere": conduire hors de... L’éducation nous conduit hors de nous-mêmes, nous change, nous fait nous dépasser. Instruction vient du latin "in-struere": faire entrer, construire à l’intérieur de soi. Or éducation et instruction sont indissociables comme le sont la connaissance et la culture. La culture, ce n’est pas, à côté des connaissances utiles, l’ensemble des savoirs qui ne servent à rien. Il faut dire plutôt que tout savoir a comme un "verso": la culture. La culture est un effet du savoir. C’est ce qui se dégage du savoir que l’on a ingurgité lorsqu’on essaie de se l’approprier, de le faire sien, de le rendre personnel, lorsqu’on se pose la question "qu’est-ce que ça veut dire?". Une connaissance qui transforme le sujet qui connaît, comme un contenu qui modifierait son contenant est culture. Et la culture est un peu, en ce sens, ce qui nous permet de nous servir de nos connaissances, de les utiliser à bon escient. Sans la culture que nous donne l’éducation, sans cette sensibilité qu’elle nous apporte, toute connaissance serait un peu comme une formule mathématique que nous connaîtrions par coeur sans savoir l’appliquer, faute d’avoir compris ce qu’elle veut dire. Paradoxalement, c’est la connaissance, l’instruction qui serait un savoir inutile sans la culture. L’in-struction a donc comme but l’éducation, et l’éducation a comme moyen l’instruction. C’est ne rien avoir compris à ce que c’est que l’éducation que de rabattre, comme Bourdieu, l’éducation sur l’instruction, d’assimiler l’une à l’autre, alors qu’elles sont dans un rapport de moyen à fin.
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