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Cours: LE BONHEUR (1/4)

Publié le 22/02/2012

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Problématique 

- Que dois-je faire pour être heureux ? Comment atteindre un tel bonheur ?
- La première réponse semble être évidente : par la satisfaction de tous mes désirs, je parviendrai à un état de contentement parfait. Chaque désir assouvi me procure du plaisir - physique, spirituel. Etre heureux signifie n’avoir plus rien d’autre à désirer. Comme le dit Epicure, “avec le bonheur nous avons tout ce qu’il nous faut”. Le désir meurt dans l’extase du plaisir. Mais, si l’on a réalisé tous ses désirs, ne risque-t-on pas de sombrer dans l’ennui ? Ce ne serait plus alors le bonheur ! Car l’ennui implique que nous ayons au moins un nouveau désir : celui d’en sortir. Un état durable de vie sans désir semble absurde car cela produirait un ennui générateur de désirs, ou bien ce serait la mort.
- Pour résoudre cette contradiction, nous pouvons penser que l’état de bonheur ne consiste pas dans la réalisation instantanée de tous nos désirs, ce qui nous laisserait ensuite devenir les proies d’une temporalité vide nous vouant à un ennui mortifère. La satisfaction de nos désirs doit être harmonieusement dispensée tout au long de notre vie, de façon que, dès que le plaisir né de l’assouvissement d’un désir s’essouffle et s’amoindrit, il soit remplacé par une nouvelle satisfaction, et cela sans jamais d’interruption. Il faudrait donc pour être heureux que nous ayons de nouveaux désirs, mais que nous puissions les satisfaire dès que nous les avons conçus.
- Mais un tel bonheur est-il réalisable ? Apparaît ici un paradoxe intéressant qui souligne la nécessité de la philosophie : tous les hommes courent leur vie durant après le bonheur, la chose la plus importante pour eux, mais aucun ne consacre une minute de sa vie à méditer sur ce qu’est vraiment le bonheur et à savoir s’il est seulement accessible. Comment sommes-nous amenés à nous interroger sur le bonheur et par là à faire de la philosophie ? Oscar Wilde disait qu’il y a deux tragédies dans l’existence: ne pas parvenir à satisfaire tous ses désirs et parvenir à satisfaire tous ses désirs.
- Le premier cas est celui, banal, de l’individu qui, arrivé à un certain stade de sa vie, s’aperçoit qu’il ne parvient pas à obtenir ce dont il a besoin pour être heureux; un abattement, un désespoir peut succéder à cette prise de conscience, et cela peut mener à la réflexion philosophique puisqu’il faut trouver une autre voie pour atteindre le bonheur.
- Le second cas est celui de l’homme mûr qui a tout réussi dans sa vie, qui a obtenu tout ce qu’il avait projeté d’avoir, qui a “tout pour être heureux” parce que précisément il ne l’est pas. Pour parvenir au bonheur, la méditation philosophique est son dernier recours.
- Dès lors, pour trouver le bonheur, nous ne pouvons faire l’économie d’une recherche philosophique, ni nous priver des lumières des grands penseurs.

I) LA CONCEPTION COMMUNE DU BONHEUR

- A la question : “qu’est-ce que le bonheur et comment l’atteindre ?”, la plupart des hommes affirment qu’il suffit d’accumuler un certain nombre de biens, de satisfactions (les cinq “C” singapouriens, par exemple), pour y parvenir. Or, il semble que notre société libérale satisfasse ce désir commun : nous vivons dans une société industrielle qui se donne pour mission de produire tous les biens dont nous avons besoin pour être heureux, et de les offrir à l’acteur économique, sous forme d’objets ou de services; le but visé est l’accroissement général des richesses et une élévation du niveau de vie de chacun.
- Le bonheur réside-t-il dans l’accumulation des biens et des richesses, voire dans la recherche sans frein du plaisir ?

A) LA SATISFACTION TOTALE DES DESIRS, IDEAL DE LA SOCIETE DE CONSOMMATION (l’hédonisme contemporain)

1) Exercice préparatoire : la photo de Mai 68 “jouir sans entraves”

- Consigne : Décrivez la photo de Cartier-Bresson " Jouir sans entraves" reproduite à la première page de la fiche de travail. Que veut dire, selon vous, la formule “jouir sans entraves” ? Qu’en pensez-vous ? Etre heureux, est-ce jouir sans entraves ?
2) Reprise
- Notre époque valorise le plaisir et va même jusqu’à revendiquer un droit au plaisir: la frigidité, par exemple, est considérée comme une maladie, son traitement est pris en charge par la sécurité sociale. Ainsi, nous qui fêtons le trentième anniversaire de Mai 68, rappelons que les révoltés de Mai 68 rejetèrent, au nom de la liberté et du droit au plaisir, la vieille société disciplinaire étouffante, opérant une révolution culturelle, une mutation des mentalités (“jouir sans entraves”). Mais cette valorisation de l’individu, de la consommation, du narcissisme, de la séduction, cette légitimation de la jouissance et de la décontraction qui caractérise nos sociétés individualistes (cf. Gilles Lipovetsky, L’ère du vide), n’a pas toujours existé.
- En effet, les autres époques ont assigné d’autres buts à l’existence humaine : se conduire bien, de façon morale, afin de satisfaire Dieu et de mériter son salut; servir son roi, qui est le bras armé de Dieu sur terre. Cette idée de devoir a été adaptée à la civilisation libérale : l’ouvrier doit travailler pour son patron et lui obéir. Le travail est un bien, une vertu, la détente, l’oisiveté sont un mal. Le plaisir est un mal, il est moralement condamnable. Ainsi le sociologue Max Weber a-t-il montré dans L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme que le dogme de la prédestination au sein du protestantisme a servi de médiateur logique à l’esprit capitaliste : il faut tenter de gagner beaucoup d’argent; si l’on y parvient, c’est la preuve que la grâce divine nous assiste; il ne faut pas dépenser cet argent, ni profiter des plaisirs de la vie, car ce serait pécher; il faut travailler, amasser des richesses, mais ne pas jouir.
- Cette idéologie a commencé à s’effondrer autour de 1968. La raison en est peut-être l’existence, au sein du capitalisme en son premier siècle, de deux contradictions majeures: le capitalisme enjoint de gagner un maximum d’argent en produisant toujours plus, mais pour le moindre coût, en privant la majeure partie de la population des moyens de profiter des biens ainsi produits, en limitant donc le nombre des consommateurs, en freinant son propre développement. Nécessité pour ce système de mieux distribuer les richesses acquises afin de transformer tous les hommes en consommateurs. La deuxième contradiction réside entre le développement des forces productives et l’idéologie du capitalisme commençant qui prônait le travail et la production, mais condamnait la jouissance de la consommation. Il fallait donc déraciner des esprits cette vieille morale et lui substituer l’éloge de comportements consuméristes (le développement du système économique l’exigeait).
- Une première définition du bonheur se fait jour alors : pour être heureux, il faut avoir des désirs et avoir la puissance de les assouvir. Un désir inassouvi fait souffrir, tandis que des désirs réalisés donnent des satisfactions dont l’accumulation constitue le bonheur. Plus j’ai de désirs, plus je suis capable de les satisfaire, et plus je suis heureux. Idéal de notre société de consommation, qui, sous prétexte de procurer le bien-être, ne cesse d’inventer de nouveaux objets, donc de nouveaux désirs : rôle de la publicité pour susciter les désirs. Pour le credo contemporain, il est bon de désirer, chaque individu se définit par ses désirs; à travers eux, il affirme sa personnalité.

B) LA NECESSITE DU POUVOIR ABSOLU (Texte de Platon – l’argument de Callicles - étudié dans le cours sur le désir)

- Les sophistes, ces “professeurs de sagesse”, proposaient, moyennant finance, aux jeunes gens assez fortunés pour s’offrir leur cours, de leur apprendre tout ce qui est nécessaire pour devenir heureux. Les sophistes adoptent le même point de départ que les opinions modernes. Le but de l’existence humaine est d’être heureux. Pour y parvenir, il faut satisfaire tous ses désirs. Mais comment y parvenir ? Il faut, disent-ils, un maximum de richesse, car l’argent permet d’obtenir bien des choses.
- Comme, pour être vraiment libre, il faut n’avoir personne qui vous commande, il faut être à la tête de la société, il faut le pouvoir absolu sur les autres hommes. Les sophistes, contrairement à nous, ont eu la clairvoyance de comprendre qu’un peu plus d’argent et de pouvoir ne suffisait pas à nous rendre heureux, mais qu’il fallait le maximum de richesse et de puissance. La tyrannie, le pouvoir absolu sur les autres, est le désir secret de tout homme. Puisque tout homme désire le bonheur par la satisfaction de tous ses désirs, il en désire aussi secrètement le moyen, qui est la toute-puissance.
- Pour parvenir au pouvoir, il suffit de savoir parler : le pouvoir s’arrache par la conviction, surtout en démocratie. Il ne faut pas hésiter à faire des promesses que l’on ne tiendra pas et à mentir. Notre époque semble s’être mise à l’école des sophistes : aujourd’hui, à l’heure du “tout communication”, on nous enseigne qu’en commerce, comme en politique, pour réussir, il suffit de savoir convaincre (exemple, en France, de Bernard Tapie). Il ne faut pas hésiter à mentir, voire voler : quel homme politique serait élu s’il ne faisait des promesses qu’il sait très bien ne pas pouvoir tenir ? Que ferait un publicitaire, un vendeur qui nous dirait la vérité sur ses produits (“une saveur unique, toute la fraîcheur de la nature, du plaisir à l’état brut” deviendrait “une belle apparence, mais un mélange de substances chimiques au goût fade et insipide”).
- Pour réussir dans la vie et obtenir le bonheur, il faut donc se débarrasser de tous les scrupules moraux qui ne sont que pour les petits enfants. La morale, dit Calliclès dans Gorgias de Platon, n’a été inventée que par les êtres faibles pour se protéger des exactions des forts, mais ceux qui possèdent la force ne doivent pas se soumettre à cette justice purement conventionnelle. Ils doivent obéir à la justice naturelle, qui veut que le plus fort domine. Cette doctrine aboutit à un immoralisme, mais aussi à une conception élitiste du pouvoir qui contredit l’idéal démocratique. Un seul, dans une société donnée, peut conquérir le pouvoir suprême et goûter le bonheur.
- Aussi l’idée que le bonheur s’obtient par la satisfaction de tous nos désirs n’apparaît-elle pas dangereuse et contestable, même si elle est apparemment soutenue par toute l’idéologie de la société de consommation ? N’aboutit-elle pas à l’apologie de la violence et du crime, ce que semblent bien faire tous les délinquants et tous les corrompus qui fleurissent dans notre monde ?

C) EXAMEN CRITIQUE DE LA THESE DES SOPHISTES

- Nous allons voir s’il n’existe pas un autre moyen de parvenir au bonheur qui soit davantage respectueux de la justice et des êtres humains. Cette question nous amène à nous demander si le désir est naturellement bon ou mauvais. En effet, la tentative de satisfaire tous mes désirs me condamne-t-elle nécessairement à la violence ? Est-elle nécessairement agressive et dommageable à autrui, comme le prétendent les sophistes? Ne se pourrait-il pas que mes désirs intègrent un certain respect des autres, un certain amour de la justice, et qu’ils soient au fond pacifiques ?
- Les développements qui suivent recoupent le cours sur le désir. Les deux cours doivent être lus en parallèle.
1) L’innocence du désir : la thèse de Reich
- Le psychanalyste Wilhelm Reich (1897-1957), dans son livre La révolution sexuelle, se pose la question suivante : d’où viennent la violence et la méchanceté humaines ? De le frustration des désirs, et notamment des désirs sexuels naturels. Cette frustration rend l’homme agressif, elle cause des névroses et des perversités telles que le sadisme, le désir de faire souffrir autrui. La cause de la violence ordinaire des hommes “normaux” est la même que celle des névroses des individus reconnus malades : la frustration des désirs due à une répression excessive.
- Selon Reich, un homme épanoui, heureux, n’est pas violent : un homme qui a de quoi manger à sa faim et vivre décemment ne vole pas, un homme qui satisfait ses désirs sexuels ne sera pas un violeur, ni un pervers. La source du mal dans l’homme réside dans une éducation autoritaire, celle imposée dans la société bourgeoise, et, avant elle, dans la société patriarcale. Cette éducation réprime les désirs, notamment sexuels, des enfants et des adolescents, puis des hommes, afin de les rendre obéissants et de les mettre au travail. Ils ont intériorisé les interdits, sont dirigés par des sentiments de culpabilité et jouissent de leurs angoisses et leur subordination à cette morale autoritaire.
- Il conviendrait que règnent dans la société la plus grande permissivité et une certaine abondance, ou au moins un partage équitable des biens. Les individus pourraient satisfaire librement tous leurs désirs et il n’y aurait plus de frustration, donc plus de violence. Il n’y aurait également plus besoin de lois morales et juridiques pour interdire des actions mauvaises que les hommes ne seraient plus tentés de commettre. Reich pense que les pulsions et les désirs humains se régulent spontanément, sans avoir besoin d’une limitation par une autorité extérieure. L’autolimitation des pulsions mènent à la formulation d’une morale naturelle, authentique, reconnue par tous les esprits humains, qui stipule que l’on ne doit pas violer, agresser ou tuer l’autre.
- Ces idées de Reich font aujourd’hui partie de la pensée commune et ont inspiré les pratiques éducatives non répressives : parents qui pensent qu’il est traumatisant de dire “non” au désir d’un enfant; ceux qui considèrent les délinquants et les criminels comme des victimes de la société. Reich a eu des zélateurs déclarés, par exemple en la personne d’Eugene O’Neill, le fondateur de l’école de Summerhill, qui applique ses principes éducatifs (cf. Libres enfants de Summerhill).
2) La pulsion de mort : Freud critique de Reich
- Un autre psychanalyste, Freud, qui n’est rien d‘autre que le père de la psychanalyse, soutient des thèses diamétralement opposées. Freud reconnaît l’existence, en tout homme, de deux types de pulsions fondamentales, qu’il baptise pulsion de vie, ou éros, et pulsion de mort, ou de destruction, ou thanatos.
- La première se déploie essentiellement en désir sexuel et la seconde est indispensable à la conservation de la vie. Car un être ne peut demeurer vivant qu’en détruisant la vie autour de lui, en se nourrissant ou en se défendant contre ses ennemis. L’homme possède en lui une part fondamentale d’agressivité. Comme l’homme, à la différence des animaux, est un animal dépourvu d’instincts, aux pulsions aberrantes, la régulation doit être le fait de sa conscience, orientée par des conceptions morales : " L'homme n'est pas cet être débonnaire, au coeur assoiffé d'amour…, mais un être, au contraire, qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d'agressivité…" (Freud, Malaise dans la civilisation).
- Freud dénonce le mythe de l'homme naturellement bon. La violence est une donnée naturelle, une conduite qui puisa source dans les instincts de l'homme. Elle n'est donc pas un phénomène social provisoire, appelé à disparaître avec l'émergence de sociétés ou de systèmes politiques plus justes. C'est une donnée indépassable, sans solution définitive, de la nature humaine. On ne doit pas dire que l'homme est naturellement bon et que c'est la civilisation qui l'a perverti, mais, au contraire, que l'homme est naturellement agressif et que la civilisation est un remède provisoire et précaire.
- En effet, l’homme, pour devenir humain, a besoin d’être éduqué. L’éducation commence par un véritable dressage, une répression des pulsions agressives, qui doivent être limitées et réorientées sur d’autres buts en un processus nommé sublimation. Il faut apprendre à l’homme à respecter autrui, car ce n’est nullement spontané chez lui. Comme l’éducation morale ne suffit pas à rendre tous les individus respectueux de leurs semblables, un contrôle social, juridique et policier demeure indispensable pour les y contraindre. L’éducation et la civilisation sont donc nécessairement répressives selon Freud.
- Freud montre que l’autorité est une chose bonne et nécessaire pour transformer l’homme en être humain digne de ce nom, pour le faire échapper à la bestialité, pour que règnent la paix et le respect d’autrui. Si la civilisation est nécessairement répressive, il s’ensuit que l’homme ne peut jamais être vraiment heureux en société. Celle-ci exige de gros efforts sur soi et le sacrifice de nombreuses satisfactions pulsionnelles. C’est ce que montre Freud dans Malaise dans la civilisation. Si l’homme est malheureux d’être toujours contraint en société, il résulte que les sophistes voient juste : seul peut goûter le bonheur l’homme qui se délivre de la soumission aux autres, qui possède le pouvoir absolu et peut satisfaire tous ses désirs, y compris d’agressivité, sur le dos de ses subordonnés.
3) La bonté de l’homme selon Rousseau
- Rousseau semble aboutir à des conclusions toutes différentes qui mettraient en évidence la bonté naturelle de l’homme. Que nous enseigne-t-il exactement et en quoi sa thèse permet-elle de résoudre la question qui est la nôtre : le désir est-il naturellement bon ?
- Rousseau parle de l’homme à l’état de nature, c’est-à-dire hors de la société, avant d’avoir été façonné par la société. L’homme vit naturellement solitaire, sans contacts autres qu’occasionnels avec ses semblables. L’homme naturel n’est en fait qu’un animal parmi d’autres. L’homme se distingue seulement des autres vivants par sa perfectibilité, c’est-à-dire sa faculté de se perfectionner, d’acquérir de nouvelles idées et de nouveaux comportements.
- Rousseau prétend, non pas que l’homme est naturellement bon, mais qu’il est naturellement innocent, comme un animal : “les hommes dans cet état n’ayant entre eux aucune sorte de relation morale, ni de devoirs connus, ne pouvaient être ni bons, ni méchants” (Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes). Innocent, non pas au sens où il n'a pas commis de faute (il n'a aucune notion de la faute), mais au sens étymologique : il ne nuit pas. Si deux hommes se rencontrent et se battent, voire se massacrent, pour la nourriture ou le territoire, il n’y a nul mal en cela, car il n’y a de bien et de mal que par rapport à des règles morales connues, lesquelles supposent pour être pensées le développement de l’intelligence dans la société. L'homme à l'état de nature n'est donc pas plus pacifique qu'il n'est querelleur. Comme l'homme y est isolé, le désir de possession n'existe pas, il n'y a aucune raison de conflit.
- Les deux seuls sentiments que l'on peut prêter à l'homme à l'état de nature sont l'amour de soi et la pitié : l'amour de soi car sans lui aucune survie n'est possible; la pitié, parce qu'il obéit à sa sensibilité et que c'est par sa sensibilité pour des êtres sensibles qu'il éprouve de la pitié. L'amour de soi est le simple instinct de conservation, le souci qu’on a de soi-même, de sa propre conservation, indispensable à tout être; antérieur aux attitudes morales, il est néanmoins du côté des vertus, non de l’égoïsme. L’amour-propre, ou la vanité, est un sentiment qui n’existe qu’en société et qui consiste à nous comparer aux autres, à nous juger supérieurs à eux et à les vouloir inférieurs. Rousseau pense également que l’homme possède “une répugnance innée à voir souffrir son semblable”. La pitié tient lieu de lois, de moeurs et de vertu.
- C’est cette pitié naturelle qui serait vite étouffée dans le coeur de l’homme par la vie en société. Cette dernière attise les passions, le désir d’être admiré et préféré aux autres, d’être supérieur et plus riche. Voilà pourquoi, dès qu’ils vivent en société, les hommes deviennent jaloux, envieux, méchants. La seule bonté de l’homme naturel, c’est de ne faire le mal que lorsque cela lui est nécessaire pour sa survie, et non avec plaisir et délectation, pour s’amuser, se faire remarquer ou affirmer sa personne. L’homme sauvage est moins cruel que l’homme social : il peut voler, blesser ou tuer, mais ce sera pour survivre, et sans méchanceté.
- Cela ne fait guère avancer notre problème. Car on peut tout aussi bien montrer qu’il n’y a pas d’humanité indépendamment de la société et si l’on affirme avec Rousseau que la société exacerbe en l’homme ses sentiments agressifs, on pourra conclure que, puisque l’homme est naturellement social, il est dès lors naturellement méchant.

Conclusion :

- Au total, nous avons envisagé une première définition du bonheur, définition commune, à peu près universellement répandue dans les esprits de nos contemporains: le bonheur s’obtient par la satisfaction de tous nos désirs. Nous avons vu que cette idée menait logiquement, dans un premier temps, à l’immoralisme des sophistes, à l’apologie de la violence et de la tyrannie. Cette conception aboutit également à une aporie : si l’on affirme que le bonheur consiste en la satisfaction des désirs, encore faut-il s’interroger sur la nature de ces désirs et ce qui pose alors problème, c’est le statut anthropologique de l’homme : est-il un être de nature, ou de culture, ou les deux à la fois ? Sa bonté, sa méchanceté sont-elles naturelles ou bien sont-elles le fruit de la société ou de l’éducation? La méchanceté définit-elle la nature humaine ou bien est-ce la bonté qui caractérise le mieux l’homme ?
- Ces difficultés ne font-elles pas du bonheur une expérience proprement impossible ?

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