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Cours: LA VIOLENCE (g de g)

Publié le 22/02/2012

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III) LA SUPPRESSION DE LA VIOLENCE

- La réaction à la violence par la violence, si elle est parfois nécessaire, n’est pas satisfaisante sur les plans politique et moral : sur le plan politique, la violence ne peut être qu’un recours exceptionnel et le but du politique est la paix, la concorde, l’instauration d’une autorité légitime; sur le plan moral, la violence ruine le respect de la personne humaine, chosifie les relations humaines, comme l’a bien montré Simone Weil, et tend à justifier n’importe quel moyen au service d’une fin considérée comme juste, de sorte que l’utilisation de moyens violents finit par pervertir la fin elle-même. Il semble alors que la réaction politiquement efficace et moralement satisfaisante est la conversion à la paix. La non-violence n’est - elle pas alors le moyen idéal de faire régner la paix et de lutter contre la violence ?

A) LA NON VIOLENCE(texte de Gandhi)

- La non-violence est une pratique organisée qui a ses stratégies et ses tactiques. Elle se réclame à la fois de l’efficacité politique et de la moralité. Exemple de la lutte de Gandhi pour la libération de l’Inde. L’efficacité de la non-violence est la conséquence, selon Gandhi, d’un acte de foi qui suppose : une conviction spiritualiste (la supériorité de l’esprit sur la force physique); une éthique de la souffrance (“Nul ne s’est élevé sans avoir passé par la souffrance…Le progrès ne consiste qu’à purifier la souffrance en évitant de faire souffrir”); un fondement religieux universel (“La religion de la non-violence n’est pas seulement pour les saints, elle est pour le commun des hommes. C’est la loi de notre espèce comme la loi de la violence est la loi de la brute”).

- Mais comment convaincre de l’efficacité de la non-violence celui qui ne partage pas cette foi ou celui qu’elle laisse de marbre comme la brute ? Gandhi valorise l’élément quantitatif (“…Cent mille anglais ne peuvent effrayer trois cents millions d’êtres humains”). Résistance passive qui représente, en réalité, une force physique authentique contre la violence colonialiste et qui a bénéficié du soutien international. Gandhi lui-même relativise la portée de l’arme non-violente : “Là où il n’y a le choix qu’entre lâcheté et violence, je conseillerai la violence…Je risquerai mille fois la violence plutôt que l’émasculation de toute une race”. Devant la brute, le tortionnaire, l’assassin, la résistance passive est dérisoire : la non-violence est certes une force morale, mais elle suppose que celui contre qui on l’exerce répugne à faire usage de ses armes contre un individu qui en est dépourvu. Gandhi a certes triompher de la puissance anglaise. Mais seule la résistance et peut-être la guerre ont pu venir à bout de la violence nazie. C’est pourquoi la foi en la non-violence est conditionnée par son efficacité dans des conditions politiques (rapports de force favorables) ou culturelles (limites morales de l’agresseur). Il s’agit de mesurer l’opportunité de la non-violence en fonction de l’adversaire.

- Il ne faut peut-être pas non plus opposer de façon radicale violence et non-violence : la non-violence, au sens de résistance passive, est une forme détournée de violence, un pouvoir effectif de contrainte; les moyens non-violents ne sont que des formes de violence adaptées à un certain rapport de force : la grève, par exemple, qui est très violente, même si le sang ne coule pas, puisque l’on force la production à s’arrêter et que la vie d’un pays tout entier peut être paralysée (exemple de la grève des transports ou des routiers en France); boycottage des produits commerciaux, etc.   

B) VIOLENCE ET RAISON

- On peut d’abord opposer violence et raison, à la façon d’Eric Weil : l’homme violent cherche à imposer son discours individuel aux autres, quand l’homme raisonnable cherche à constituer avec les autres un discours universel, valable en droit pour tous les hommes.

- Mais la raison est aussi violence : il y a une violence dans la raison, au nom de la raison. D’abord une violence dans la raison : Kant, dans La critique de la raison pure, a montré que la pensée rationnelle est le lieu d’une guerre permanente, guerre des philosophies opposées et dogmatiques (guerre idéologique qui peut devenir guerre politique). Violence, ensuite, au nom de la raison : on dit qu’on va ramener à la raison, rendre raisonnable; on construit des institutions de la violence, asiles, prisons, écoles peut-être (dans certains pays, on envoyait les opposants à l’hôpital psychiatrique). Voir aussi la raison ethnocentriste.

- Mais si l’usage dogmatique ou ethnocentriste de la raison peut-être porteur d’une violence encore plus forte, il faut également rappeler que, comme le dit Hegel, “le silence de la raison engendre aussi des monstres” - le fanatisme, l’intégrisme, la superstition (voir cours sur l’irrationnel). C’est alors peut-être le langage et la communication qui peuvent faire de la raison un moyen de faire régresser la violence et triompher la paix.

- Platon, le premier, a vu dans le silence l’origine et la fin de la violence. Le sophiste, c’est celui qui dénie à la parole et au discours toute prétention à la vérité et qui s’en fait une arme lucrative. Le sophiste dévie la parole de son sens, puisqu’elle n’a plus pour but d’ouvrir le dialogue à la recherche de la vérité, mais de l’enfermer dans une stratégie de domination. Sophistique qui ne cherche pas à convaincre par l’argumentation logique, mais à persuader, et qui s’engage ainsi dans une comédie de dialogue. La sophistique repose sur un relativisme individualiste qui, selon Platon, introduit la démesure dans la cité. Protagoras enseigne, en effet, que “l’homme est ma mesure de toute chose”, c’est-à-dire que tout est question d’appréciation individuelle. Cette question aboutit au cynisme : si l’individu est la mesure de toute chose, il n’y a plus de commune mesure, donc plus de bien public. Etre le meilleur revient à être le plus fort et le plus rusé, et la justice, comme le pense Calliclès dans Gorgias, est la domination du fort sur le faible, c’est-à-dire la violence. La violence est donc ici conçue comme le résultat d’une utilisation cynique du langage.

- Il faut alors réhabiliter le discours et rétablir le dialogue authentique. Selon Habermas, si le but du dialogue ne peut être la vérité (son critère est, au XXème siècle, incertain), l’incertitude objective  doit être compensée par un accord intersubjectif. Cet accord prend la forme d’un consensus qui est à la fois la condition de possibilité du dialogue et sa finalité. Par consensus, il faut entendre le choix éclairé d’individus dialoguant, l’accord, la communication transparente. Il y a deux types d’activités rationnelles : celle qui est orientée vers le succès, celle qui obéit à l’intercompréhension. Dans la première, les individus se concentrent sur les conséquences de leur action. Ou bien ils agissent sur le monde des objets (activité instrumentale) ou bien ils manipulent les autres, en s’efforçant de détenir une emprise ou d’exercer un pouvoir sur les discussions de ces derniers (activité stratégique). Activité instrumentale et stratégique sont finalisées par les succès, la réussite, l’adaptation à des objectifs déterminés. Dans la seconde qu’Habermas nomme activité communicationnelle, le succès n’est pas le but de l’acteur, mais l’intercompréhension, l’accord rationnel obtenu au bout d’une discussion critique et désintéressée. Là, les partenaires procèdent en argumentant, et cette argumentation présuppose l’impartialité, la responsabilité des interlocuteurs.

- En somme, l’authentique discussion est consensuelle et n’a affaire qu’à des raisons, non point à la menace : elle s’appuie sur la force dépourvue de violence du discours argumentatif. Or c’est ici que la morale trouve son principe. Toute communication est normative : elle présuppose qu’autrui est une personne, que je ne traite pas comme un objet. La communication annonce le règne éthique, la reconnaissance des personnes au sein de l’horizon de l’universalisation. Toute communication présuppose une entente entre les membres. La rationalité communicationnelle fournit un étalon permettant de juger de la transparence des processus sociaux. Elle permet d’envisager la constitution d’un droit qui suppose une universalisation des intérêts. Dans le droit comme dans la morale, l’Universel apparaît comme une exigence s’actualisant à l’intérieur de la communication. 

- S’il y a certes, face à la violence, le dialogue, il s’agit d’une condition nécessaire, mais hélas insuffisante de la paix. Le dialogue, en effet, a une efficacité variable avec l’interlocuteur (du partenaire à l’adversaire). Parole en l’air face à la brute, qui n’a pas de parole, et au fanatique qui ne connaît que sa parole, le dialogue s’efface derrière la force publique (nationale ou internationale). Ici c’est le langage de la violence qui parle. Mais même le violent est forcé au dialogue : le belligérant, par exemple, parce qu’il est sensible au langage des armes, à la menace armée que ses reniements font peser sur ses propres intérêts, doit tenir compte des réactions des opinions publiques, nationales ou internationales. La force du dialogue, c’est qu’il est désarmant. En obligeant les belligérants à parler et à se parler, il les amène à faire taire leurs armes, en vue d’un désarmement, voire de la paix. Il y parvient peut-être d’autant mieux qu’il peut faire appel à l’arbitrage ultime d’une force armée…

- Nécessité aussi de contre-pouvoirs, de discussions parallèles aux discours officiels des institutions, afin de lutter contre les formes de violence subtiles difficilement saisissables par la loi (la loi est elle-même un instrument de pouvoir) : comités d’action, associations de défense des individus (consommateurs, minorités, etc.).

- Nécessité peut-être d’un changement radical de société pour éliminer les causes économiques, sociales, culturelles de la violence. La fin de la guerre, par exemple, l’instauration d’une paix perpétuelle, ne passe-t-elle pas, comme le pensent les marxistes et les anarchistes, par la disparition ou la suppression des Etats ?

 

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