Cours: LA VIOLENCE (c de g)
Publié le 22/02/2012
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C) LE POINT DE VUE DE L’ANTHROPOLOGIE ET DE L’HISTOIRE
1) L’anthropologie
- Les anthropologues considèrent que la violence est un phénomène essentiellement culturel. La perception, la définition, l’appréciation de la violence changent d’une société et d’une époque à l’autre. Des actes ou des comportements qui étaient autrefois ignorés ou tolérés peuvent devenir insupportables.
- Dans cette perspective, pour définir la violence, nous devons tenir compte des normes qui nous font voir comme violentes ou non certaines actions et situations, lesquelles varient historiquement et culturellement. Il y a certes une quasi unanimité pour considérer certains actes comme violents (la torture, le meurtre, les coups…). Mais on peut remarquer que dès qu’il s’agit de la sanction pénale, par exemple, les pires violences semblent parfois devenir tolérables (la peine de mort, les châtiments corporels – exemple de Singapour et de la pratique du canning). Des formes de violence sont plus ou moins reconnues selon les normes admises. La violence domestique envers les femmes ou les enfants a été longtemps considérée comme normale, même si cela n’est plus tout à fait le cas dans nos sociétés. De même, le fait de ne pas avoir de domicile, d’être sans un abri (un « SDF «), clochard, vagabond, a été longtemps considéré comme un état normal associé au vagabondage, à la bohême romantique, alors que maintenant cette situation est jugée comme le comble de la violence sociale et économique.
- Certaines sociétés valorisent la paix, d’autres la guerre. Ainsi, les Arawak, peuples d’Amérique du sud, prohibent la guerre intestine, alors que les Pano, groupe géographiquement proche, font fréquemment la guerre, moins pour détruire l’adversaire que pour l’assimiler. De même, comme l’a montré Margaret Mead dans Moeurs et sexualité en Océanie, les Arapesh (Nouvelle Guinée) ne font pas la guerre, n’organisent pas d’expéditions pour piller, conquérir et n’ont pas le sentiment que, pour être brave et viril, il soit nécessaire de tuer. Ceux qui, par exemple, ont tué des hommes sont considérés comme des individus à part. Absence, chez ce peuple, de la jalousie et de l’envie, attachement très fort à la coopération. Alors que les Arapesh sont doux, les Mundugumors sont cannibales et chasseurs de tête. Dans cette société, chez les hommes comme chez les femmes, la norme est la violence, une sexualité agressive, la jalousie, la susceptibilité à l’insulte et la hâte à se venger, mentalité que les Arapesh estiment incompréhensible. Tandis que l’idéal arapesh est celui d’un homme doux et sensible, pour les Mundugumors, c’est celui d’un homme violent, et agressif marié à une femme tout aussi violente et agressive.
- Selon René Girard, dans La violence et le sacré, la violence chez l’homme n’est pas instinctive, mais sociale : toute société s’instaure sur la base d’une “violence fondatrice”, qui supplante toutes les autres violences. Le fait de la persécution (désignation et meurtre d’une “victime émissaire”) est ainsi le principe originaire et structurel de tout ordre social. Les rituels religieux ne font que répéter, en vue de le maîtriser, un mécanisme inéluctable. Les sociétés humaines pratiquent la violence du sacrifice pour conjurer la violence réciproque de la vengeance. Le sacrifice, humain ou animal, a pour fonction d’apaiser les violences intestines, d’empêcher les conflits d’éclater. La vengeance, en effet, qui constitue un processus infini, interminable, qui met en jeu l’existence même de la société, fait partout l’objet d’un interdit strict. Dans les sociétés primitives, dépourvues de système judiciaire, le sacrifice et le rite jouent un rôle essentiel et empêchent les germes de violence de se développer. Le système judiciaire et le sacrifice rituel ont la même fonction. Les interdits visent à écarter tout ce qui menace la communauté, notamment ce que Girard appelle “la crise mimétique”.
- Il y a, en effet, au fondement de toute société et de toute relation humaine, le “mimétisme d’appropriation (objet que les deux rivaux mimétiques essaient de s’arracher l’un à l’autre parce qu’ils le désignent l’un à l’autre comme désirable) : si un individu, par exemple, voit un de ses congénères tendre la main vers un objet, il est aussitôt tenter d’imiter son geste; si l’on met un certain nombre de jouets, tous identiques, dans une pièce vide, en compagnie du même nombre d’enfants, il y a de fortes chances que la distribution ne se fasse pas sans querelles. Les conflits humains s’enracinent alors dans le mimétique et la vengeance.
- Relativité culturelle de la violence, volonté de conjurer, par le sacrifice, l’interdit, la loi , la violence mimétique, l’anthropologie fournit un éclairage intéressant sur la violence. Cette dernière n’est pas uniquement variable dans l’espace. Elle s’explique également par l’histoire et acquiert une relativité temporelle que tente de comprendre l’historien.
2) L’histoire
- Pour Rousseau, la violence n’est pas un fait naturel mais dérive de l’histoire, de la vie sociale, et plus précisément de l’apparition de la propriété privée : “Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : “gardez-vous d’écouter cet imposteur; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne “ (Discours sur l’origine de l’inégalité).
- Pour Sartre, la violence dérive de la rareté : il n’y a pas assez de ressources pour les besoins; les matières premières, nécessaires à la reproduction de la vie, sont en quantité limitée et insuffisante ; cette rareté et pénurie constituent une donnée de base de notre existence historique.
- Aujourd’hui, même s’il y a abondance dans nos sociétés, la rareté continue à hanter profondément le coeur de l’homme ; cette angoisse, intériorisée en nous-mêmes, est la source fondamentale de la violence. Car l’Autre est, en puissance, celui qui peut me voler mes biens disponibles. Qui plus est, l’abondance est souvent l’adaptation forcée à des conduites stéréotypées; l’abondance sur certains plans masque difficilement la pénurie sur d’autres (on communique mal, les besoins sont comblés mais les désirs réprimés, etc.); l’abondance n’existe encore que pour une minorité.
- Toutefois, cette thèse de Sartre est à relativiser. L’historien Jean-Claude Chesnais montre, dans Histoire de la violence, que, contrairement à ce que prétend la rumeur ambiante, nos sociétés ne sont pas menacées par une irrésistible ascension de la violence. L’idée d’une poussée continue de la grande criminalité est fausse : seules la petite et la moyenne délinquance ont augmenté. Le recul séculaire de la violence s’explique par l’émergence de la rationalité : érosion des institutions médiévales, mise en place de l’Etat moderne avec son appareil répressif (police, justice) et ses moules sociaux (l’école et l’armée); la lente disparition de la rareté (c’est la misère qui explique en partie la barbarie de certains crimes, comme le suggèrent les chroniques médiévales abondant en récits de famines qui dégénèrent en carnages anthropophagiques), la révolution démographique (diminution de la mortalité qui a abouti à une valorisation de la vie humaine). Les sociétés villageoises anciennes pratiquent la violence sanglante : elles ne connaissent d’autres formes d’expression que la vengeance privée.
- Cette thèse est reprise par Norbert Elias dans La civilisation des moeurs : le déclin historique de la violence est dû à une tendance séculaire à la maîtrise des pulsions , qu’il nomme “civilisation des moeurs”, et à la monopolisation par l’Etat de la “violence légitime”. L’agressivité est, au fil des siècles, lentement maîtrisée, elle a été “affinée”, “civilisée”, comme toutes les autres pulsions sources de plaisir. C’est à peu près au Xvème siècle que les moeurs commencent lentement à perdre de leur caractère pulsionnel.
D) LA VIOLENCE, CONSTITUTIVE DE L’HUMANITE- Cette mise au jour des racines de la violence – racines biologiques, psychologiques, sociales, culturelles, historiques – converge vers cette idée que la violence est finalement constitutive de l’humanité, violence originelle donc qui, comme nous allons le voir dans la suite du cours, peut être néanmoins réfléchie et régulée. Les analyses qui suivent ont déjà été évoquées à travers d’autres thèmes au programme.
1) Une violence pensée : Machiavel
- L’analyse de la violence chez Machiavel donne à voir une violence pensée et non point subie. Si la violence est au coeur de l’homme, ne doit-elle pas être soigneusement réfléchie
- L’analyse machiavélienne de la violence s’articule sur une saisie des véritables mécanismes de la domination conçue comme noyau du pouvoir. Domination et violence son intimement liées. Il s’agit là d’une violence pensée, réfléchie de la part du prince, violence exemplaire, et non point immédiate et naturelle, qui enracine dans les sujets « l’amour du maître «. La problématique de la conservation du pouvoir, au coeur de l’interrogation machiavélienne, se résout finalement en une réflexion sur la façon de faire habiter le maître au-dedans des sujets.
- En effet, le prince doit se faire obéir et, pour ce faire, doit se faire craindre, crainte qui est très semblable à l’amour. La relation d’obéissance est une relation d’extériorité, de passivité, d’habitude, qui induit chez les sujtes l’amour de leur maître. La politique est ici définie comme l’exercice du pouvoir qui établit une relation de domination fondée sur la crainte et l’amour.
- En ce sens, l’Etat n’est pas la simple expression de la force brutale. Il apparaît souvent comme l’instance capable de réfréner l’affrontement violent des égoïsmes particuliers. C’est en dehors de l’Etat que la méchanceté des hommes se donne libre cours. Nécessité, selon Machiavel, d’un Etat fort, capable de s’imposer contre les menées égoïstes. Toute la question que pose l’analyse de Machiavel, et qui est récurrente en philosophie politique, consiste à savoir comment un tel Etat fort peut s’articuler avec la liberté des sujets.
La politique est ici définie comme l’exercice du pouvoir qui établit une relation de domination fondée sur la crainte et l’amour.
2) Violence et état de nature
- Hobbes a montré que l’état de nature (état antérieur à la société civile, non soumis aux lois) se caractérise par une violence naturelle à laquelle l’Etat des destiné à metre fin. La guerre de tous contre tous est la condition naturelle de l'humanité lorsque les hommes vivent sans maîtres reconnus et incontestés. Hobbes se demande pourquoi " l'homme est un loup pour l'homme " et s'efforce d'élaborer une genèse psychologique de la compétition, du conflit, de la guerre. L’état de nature est un état de violence et de guerre, réglé par la loi de la jungle. De la défiance des hommes entre eux procèdent la violence et la guerre.
- En effet, à l’état de nature, l’homme est entièrement libre au sens où sa liberté est strictement coextensive à sa force. Son droit de propriété est sans limites dans la mesure où il parvient à s’approprier tout ce qu’il désire. Liberté et propriété sont équivalentes pour tous : chacun ayant autant de droit sur tout que son voisin.
- En clair, la liberté et la propriété sans bornes ont pour conséquence l’insécurité totale : chaque individu craint pour sa vie. L’état de nature est un état de guerre perpétuelle de tous contre tous.
- Dans l'état de nature, l'autre est donc un ennemi potentiel, un rival perpétuel, de sorte que chacun vit dans une crainte permanente. Mais comme cette situation de guerre ne saurait durer éternellement, la raison humaine, constatant l'absurdité de cette guerre, va chercher les moyens de la paix. Chacun devra donc s'engager par contrat avec chacun à renoncer à ce droit naturel illimité sur toute choses, droit transféré à un souverain, à charge pour ce dernier de défendre la paix civile, fût - ce par la force.
- Le droit naît de la nécessité de fuir le mal. Le passage à l’état de société est alors le fruit d’un calcul rationnel : mieux vaut limiter sa liberté si celle-ci, en retour, est protégée. C’est un contrat qui fonde la société : chaque contractant abandonne sa liberté et son droit à la propriété de toute chose à un tiers, en échange de la garantie par ce tiers de la sécurité de sa personne, si et seulement si tous le font en même temps. Le tiers constitué est l’Etat dont le pouvoir coercitif rend la société possible. Chacun s’engage ainsi à renoncer à toutes les prérogatives de sa liberté naturelle au profit d’un tiers – un homme ou une assemblée – auquel il reconnaîtra une entière souveraineté, à condition que l‘autre en fasse autant.
- Le souverain, bénéficiaire de ce pacte, n’est lié en aucune manière par les sujets et il dispose d’un pouvoir absolu sur eux. Le contrat n’est pas passé entre les sujets et le pouvoir souverain, mais entre tous les individus contraints de mettre fin à l’état de nature. Le pouvoir peut gouverner comme bon lui semble. S’il ne veut pas susciter révoltes et guerres civiles, le souverain doit néanmoins essayer d‘agir de manière raisonnable et ne pas se laisser guider par l’arbitraire de ses caprices. Son pouvoir est certes absolu mais il n'est pas sans conditions.
- Cette construction contractualiste permet d’évaluer le fait à la lumière du droit. Une société, aussi coercitive soit - elle, n’est légitime que si elle assure la sécurité de ses citoyens. Le droit fondamental que pose Hobbes est un droit rationnel : la sécurité, qui rend secondaires les revendications de liberté et de propriété. Le premier des droits de l’homme est donc celui qui rend la société possible et le pouvoir légitime. Un pouvoir qui supprime la liberté sans assurer la sécurité est un pouvoir despotique et l’équivalent d’un retour à l’état de nature.
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