Cours: LA VIOLENCE (b de g)
Publié le 22/02/2012
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I) LES RACINES DE LA VIOLENCE
- D’où vient la violence qui est en nous et hors de nous ? A-t-elle une source naturelle ? Ou son origine est-elle sociale, culturelle , historique ? Ne renvoie-t-elle pas à la dimension même du Sacré et de l’interdit ? Nous allons voir qu’aux sources de la violence, nous trouvons des fondements multiples – biologique, psychologique, historique, métaphysique – qui s’additionnent et convergent.
A) L’ORIGINE NATURELLE DE LA VIOLENCE
- La violence serait d’abord un fait naturel, prenant une expression ultime chez l’homme, s’approfondissant et se développant avec la culture.
1) Violence et agressivité
- Il convient d’abord de distinguer agressivité et violence : l’agressivité est naturelle au sens où elle est universelle, instinctive dans une espèce donnée; la violence, irréductible à l’agressivité, est spécifiquement humaine.
- L’agressivité, selon l’éthologue Konrad Lorenz, est un instinct. Chez l’animal, il a une fonction adaptative, au service de la survie de celui qui en fait usage. Il faut distinguer différents types d’agressivité : l’agressivité prédatrice qui est génétiquement programmée; l’agressivité défensive (auto-conservation, conservation de l’espèce, territorialité); l’agressivité intraspécifique (entre animaux de la même espèce); l’agressivité interspécifique (entre animaux d’espèces différentes).
- L’agressivité interspécifique est rare et elle est généralement défensive (lorsque l’animal se sent menacé). L’agressivité animale est essentiellement intraspécifique : des travaux ont montré que l’agression intraspécifique est un phénomène relativement fréquent dans le monde animal et qu’elle peut aller parfois jusqu’au cannibalisme. Mais cette agressivité n’est généralement pas sanguinaire, elle n’a pas pour but de tuer, de torturer, mais consiste essentiellement en une attitude de menace qui sert d’avertissement.
- Selon Lorenz, l’animal possède des processus inhibiteurs de l’agression intraspécifique. Par exemple, deux loups qui s’affrontent pour la direction d’une meute rivalisent dans la menace, mais sans violence réelle.
2) L’instinct de violence
- Certains scientifiques établissent un lien entre la biologie et la criminalité. En 1965, une étude publiée dans la revue Nature par Patricia Jacobs annonçait avoir découvert un “chromosome surnuméraire Y” chez une population de sujets présentant une déficience mentale et une propension à la criminalité. Mais cette thèse génétique est aujourd’hui abandonnée : l’anormalité des chromosomes XXY ou XYY ne se retrouve que chez une minorité de meurtriers et cette structure génétique ne fait pas nécessairement un criminel.
- On a également observé des différences biologiques entre sexes concernant la propension au comportement violent. Les hommes sont généralement plus agressifs et violents que les femmes; le taux de criminalité est huit fois supérieur chez les hommes que chez les femmes. Les observations sur les animaux suggèrent qu’il y aurait une base biologique à cette conduite. On constate en effet que le taux d’hormones sexuelles mâles (testostérone) joue un rôle important dans la propension à l’agression.
- Mais les expériences sur les rats montrent que le lien entre agressivité et testostérone n’est pas mécanique et varie selon le type d’agression (agression offensive et défensive) et dépend également de l’environnement. Chez les humains, les choses sont complexes : le masculin et le féminin, par exemple, ne sont pas réductibles à la biologie, ce sont des catégories socio-culturelles, variables selon les sociétés; la différence de statut et de fonction qu’elles véhiculent influent sur les représentations et sur les comportements des individus.
3) Violence et liberté
- A l’origine de la violence, il y aurait plus fondamentalement encore ce que Rousseau et la tradition humaniste appellent liberté ou perfectibilité (cf.cours nature-culture) : capacité de se perfectionner, faculté de s'écarter de soi en même temps que du monde ou des contextes particuliers dans lesquels on est englué
- Comme l’a montré Kant, le mal radical (autre nom de la violence) est une des caractéristiques essentielles de l’homme. Ce mal radical que la nature ignore réside dans le fait, pour l’homme, de prendre le mal en tant que tel comme projet. Il n’existe rien, dans le monde animal, qui s’apparente à la torture, par exemple.
- Il existe à Gand, en Belgique, un musée de la torture qui laisse songeur. Les animaux commettent eux aussi des actes que l’on pourrait qualifier de cruels. Mais ce n’est pas le mal comme tel qu’ils visent, leur cruauté ne tenant qu’à l’indifférence qui est la leur à l’égard de la souffrance d’un autre; lorsqu’ils tuent, ils ne font qu’exercer au mieux un instinct qui les guide et les tient en laisse. L’être humain, lui, n’est pas indifférent : lorsqu’il torture gratuitement, il est en excès par rapport à tout logique naturelle. Exemple des miliciens serbes qui obligent un grand-père croate à manger le foie de son petit-fils, des Hutus qui coupent les membres de nourrissons vivants pour mieux caler leurs caisses de bière. C’est cet excès qu’on peut appeler la liberté. En clair, les hommes sont trop méchants pour que cela soit naturel !
- Paradoxalement, c'est dans les actes réputés bestiaux, ceux qui s'éloignent le plus de ce que nous tenons pour humain, que nous nous distinguons le plus des animaux, parce qu'aucun animal n'est bestial au sens où nous l'entendons. Ces actes s'écartent certes de ce qui est tenu pour humain, mais en aucun cas ils ne manifestent une régression au stade de l'animalité, ils s'en éloignent au contraire le plus fortement qui soit. Donc, rien n'est plus humain qu'être inhumain. Ce que l'on appelle inhumain n'a rien d'une régression au stade de l'animalité, mais est une transgression des normes que l'on applique aux humains, transgression qui en réalité éloigne de l'animalité au moins autant que les normes communes.
- On peut toutefois interpréter cette origine anthropologique de la violence (la méchanceté, le mal radical) à partir de la nature elle-même : la capacité qu'auraient les hommes de faire le mal pour le mal ne serait pas être mettre sur le compte d'une quelconque dimension sacrée de l'homme qui l'éloignerait de la nature. En réalité, les hommes ne sont jamais méchants, ils ne font jamais le mal pour le mal, mais seulement pour un bien : les hommes ne sont pas méchants, mais mauvais; « ce ne sont pas des diables, mais des égoïstes « (André Comte-Sponville, La sagesse des modernes, p. 67). Le sadique fait du mal à l’autre parce que ça lui fait plaisir à lui ! Son plaisir, pour lui, c’est un bien. Un sadique, c’est un égoïste (il met son plaisir plus haut que la souffrance d’autrui) doublé d’un pervers (il jouit de cette souffrance).
- Ici, ce n’est pas tant la liberté, c’est-à-dire un pouvoir de se déprendre de l’odre naturel, qui fonde la violence, que l’égoïsme. Le comportement du salaud, du sadique, du tortionnaire s’explique par ce que Freud appelle le principe de plaisir. Il y a des gens qui prennent plaisir à faire du bien, et il y en a d’autres qui prennent plaisir à faire du mal. C’est dire que l’écart ou l’excès que constitue la méchanceté peut s’expliquer par la nature elle-même.
B) LES RACINES PSYCHOLOGIQUES
1) Pulsions agressives et instincts de mort (textes de Freud, n°2 p 460 et n°3 B p 461)
- Selon Freud, la violence serait l’expression d’une agressivité spécifiquement humaine, instinctive, irrépressible et ignorante de ses mobiles secrets. Elle manifesterait une pulsion de mort aussi puissante que peut l’être l’instinct de vie et qui permettrait d’expliquer le suicide, la guerre, etc.
- Il y a en nous une pulsion de mort fondamentale (Thanatos), originairement tournée contre soi (tendance au déplaisir et à l’autodestruction illustrée par la tendance à répéter des expériences pénibles sans perspective de satisfaction), et secondairement dirigées vers l’extérieur en se manifestant sous la forme de la pulsion d’agression ou de destruction, et opposée aux pulsions de vie (Eros) qui sont au service de l’individu ou de l’espèce . Les pulsions de vie recouvrent non seulement les pulsions sexuelles et les pulsions d’autoconservation (ensemble des besoins liés aux fonctions corporelles nécessaires à la conservation de la vie de l’individu; la faim en constitue le prototype) répètent l’équilibre biologique, tandis que la pulsion de mort tendrait à rétablir l’état initial inorganique, le degré zéro de tension (principe de Nirvana).
- Freud dénonce le mythe de l'homme naturellement bon. La violence est une donnée naturelle, une conduite qui puise sa source dans les instincts de l'homme. Elle n'est donc pas un phénomène social provisoire, appelé à disparaître avec l'émergence de sociétés ou de systèmes politiques plus justes. C'est une donnée indépassable, sans solution définitive, de la nature humaine. On ne doit pas dire que l'homme est naturellement bon et que c'est la civilisation qui l'a perverti, mais, au contraire, que l'homme est naturellement agressif et que la civilisation est un remède provisoire et précaire.
- En effet, l’homme, pour devenir humain, a besoin d’être éduqué. L’éducation commence par un véritable dressage, une répression des pulsions agressives, qui doivent être limitées et réorientées sur d’autres buts en un processus nommé sublimation. Il faut apprendre à l’homme à respecter autrui, car ce n’est nullement spontané chez lui. Comme l’éducation morale ne suffit pas à rendre tous les individus respectueux de leurs semblables, un contrôle social, juridique et policier demeure indispensable pour les y contraindre. L’éducation et la civilisation sont donc nécessairement répressives selon Freud.
- Freud montre que l’autorité est une chose bonne et nécessaire pour transformer l’homme en être humain digne de ce nom, pour le faire échapper à la bestialité, pour que règnent la paix et le respect d’autrui. Si la civilisation est nécessairement répressive, il s’ensuit que l’homme ne peut jamais être vraiment heureux en société. Celle-ci exige de gros efforts sur soi et le sacrifice de nombreuses satisfactions pulsionnelles.
- Certains psychanalystes ou psychiatres ne reconnaissent pas l’instinct de mort. Certains pensent que la pulsion suicidaire, par exemple, est une déviation de l’instinct de vie, qui se produirait, avec le temps, sous l’effet des frustrations imposées par la réalité. Beaucoup de chercheurs actuellement pensent que l’agressivité n’est pas la violence, mais une tendance à la violence, tendance qui s’actualise dans des circonstances particulières, sociales, familiales, historiques. La psychologie sociale, nous allons le voir, postule que l’agression constitue une réaction comportementale qui ne peut s’apprécier que par rapport au contexte dans lequel elle a lieu et en référence à la norme sociale qui régit la situation.
2) Le point de vue de la psychologie sociale
- Les travaux contemporains en psychologie sociale s’orientent de plus en plus vers une origine sociale de la violence. Les psychologues distinguent “agression” et “agressivité”, termes qui sont généralement confondus. En effet, on attribue généralement tel comportement d’agression à l’agressivité de son auteur. Or, est qualifié d’agression, un acte qui porte préjudice à autrui. Ce terme recouvre, en fait, une vaste gamme de comportements allant d’actes défrayant la chronique des faits divers à des comportements que l’on peut qualifier d’actes d’incivilité (ne pas tenir la porte à quelqu’un qui vous succède, bousculer autrui pour entrer dans un magasin, etc.).
- Ces conduites constituent des réactions à la situation ou à l’environnement. Il peut s’agir du contexte immédiat : les travaux de Stanley Milgram (cf. Cours sur le pouvoir) ont montré que tout un chacun peut adopter un comportement criminel sous l’effet de la soumission à l’autorité. Selon la théorie de l’apprentissage social, l’enfant imite les comportements d’autrui (particulièrement ses parents); un comportement violent chez les parents aura ainsi tendance à se transmettre chez l’enfant.
- D’autre part, l’individu ne s’engage dans un comportement d’agression que s’il se sent victime d’une injustice, quand la cause de la frustration semble arbitraire. L’agression a également une fonction de contrôle visant à reprendre la maîtrise d’une situation, c’est le moyen d’asseoir son pouvoir et son autorité, que ce soit à l’échelle de l’individu ou d’une collectivité. Ainsi la guerre est une agression collective codifiée.
- Les comportements agressifs constituent des réactions au stress: si le stress ressenti est élevé, on assiste alors soit à un comportement d’agression désorganisé et inadapté à la situation, soit à un repli sur soi. Autrement dit, l’agression fait partie des comportements d’interaction avec autrui. Dans les grandes villes, par exemple, l’incivilité et le recours à l’agression sont plus fréquents que dans les bourgades moins peuplées en raison d’une part du stress que représente la vie dans les grands centres urbains, et une certaine carence de contrôle social qui favorise l’expression de comportements anomiques (anomie : absence d’intégration sociale ) pouvant conduire à des comportements extrêmes tels que la criminalité ou le suicide.
- Certaines théories explicatives mettent également l’accent, pour expliquer la violence, sur le contexte socio-économique : la violence résulterait de la dégradation du marché du travail, du chômage, des inégalités sociales, etc. Mais ces explications ont été contestées parce que trop réductrices : la montée de la délinquance précéderait la crise ; les personnes commettant des actes violents ne seraient pas toujours les plus démunies. Dans cette optique, la montée de la délinquance pourrait être concomitante avec l’augmentation des richesses. D’autres soulignent le déclin des conflits sociaux intégrateurs.
- Qui plus est, les mots “agression” et “violence” s’avèrent la plupart du temps le résultat de jugements circonstanciels de la part des victimes . Un comportement qui porte préjudice est toujours considéré comme agressif par la victime, rarement par l’auteur. Le crime , par exemple, est une notion relative et sociale, de sorte qu’un acte pourra être qualifié ou non de criminel, selon le temps ou le lieu. L’homicide était légitime dans certaines sociétés antiques chaque fois que l’intérêt de la famille était en jeu. Le meurtre rituel ou l’inceste n’ont pas toujours été considérés comme des crimes. La définition de la violence et du crime est donc conditionnée par la culture, les moeurs, mais aussi les options politiques, idéologiques ou économiques de la société considérée. Comme le dit Durkheim, un acte est criminel lorsqu’il offense les états forts et définis de la conscience collective, de sorte que ce ne sont pas les caractères objectifs de l’acte qui en font un crime mais le jugement que la société porte sur cet acte.
- Il n’y a donc pas une mais plusieurs formes de violence : physique (agressions, crimes…), matérielle (délits, délinquance contre les biens, cambriolages, vols…), verbale (insultes, injures…). Certaines violences sont dites réactionnelles, c’est-à-dire impulsives (agressivité, barbarie, atrocité…), d’autres rationnelles (calculées : le génocide, par exemple). On peut distinguer les violences également selon qu’elles sont individuelles (sadomasochisme, automutilation, suicide…), interpersonnelles (bagarre, meurtre…), collectives (émeute, soulèvement…), non-intentionnelles (accidents de la route, catastrophes naturelles…). Sur le plan politique, on distingue les violences interétatiques (guerres, conflits), les guerres civiles, les violences infrapolitiques (actes terroristes). L’historien Jean-Claude Chesnais distingue violence privée et violence collective.
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