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Cours: LA RAISON, LE JUGEMENT ET L'IDEE (1/2)

Publié le 22/02/2012

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idee

1) Qu'est-ce que la raison ?

            L'homme commence par se fier à ses sens et à ses impressions. Mais, il lui apparaît  que sensations et impressions sont imparfaites, relatives, et qu'elles doivent être contrôlées par un travail de critique. Un arbitrage est nécessaire. C'est la raison qui le rendra possible.

Par opposition aux formes inférieures de la conscience, la raison se définit d'abord comme la faculté de l'universel. Elle se montre comme la faculté de mettre d'accord les esprits entre eux. Les sociologues ont insisté à juste titre sur le rôle de la société dans l'éveil de la vie raisonnable. C'est d'abord parce que nous avons à mettre d'accord nos impressions premières avec celles de nos semblables que nous recourons à l'arbitrage de la raison. Cependant, on aurait tort de dire que la société créée la raison. Elle l'éveille et l'éduque chez l'homme qui en est déjà pourvu, mais la vie en société ne crée la raison ni chez l'animal (abeilles, fourmis, ect), ni chez l'idiot.

            Mais l'accord se fait entre les esprits parce que, grâce à la raison, ils saisissent un ordre objectif des choses ou des idées. Pour parvenir à ce résultat, c'est qu'elle se fonde sur des principes universels, qui sont les mêmes pour tous les hommes, et qui peuvent se ramener aux deux principes d'identité et de raison suffisante. Quelle est l'origine de ces principes? Nous retrouvons là le conflit classique entre les empiristes et  les rationalistes.

Pour les premiers, ils ont leur origine dans l'expérience sensible (connaissance du monde extérieur et expérience sociale). Or, cette thèse est déficiente: comment en effet expliquer que les mêmes données extérieures produisent des effets aussi différents dans l'espèce humaine?

            On doit donc admettre, avec les rationalistes, que ces principes sont innés, encore évidemment qu'ils ne s'exercent qu'à propos de l'expérience: "J'ai nommé ces idées innées, écrit Descartes, au sens où l'on dit que la générosité... ou certaines maladies, sont innées dans certaines familles." Mais, tout le monde est d'accord pour dire que ces principes sont propres à l'humanité, et qu'ils lui permettent d'organiser son expérience d'une façon très particulière. Penser, raisonner, c'est établir consciemment des rapports.

Comment définir cette objectivité de la raison?

 

L'animal ne raisonne pas parce qu'il ne réfléchit pas sur des rapports. Sa pensée se limite aux choses. Sans doute (et dans cette constatation tient tout le problème de l'instinct), il s'agit comme s'il pensait des rapports; car autrement il pourrait résoudre des équations, ferait de la géométrie... Par temps d'inondation, les écureuils se réfugient sur des troncs d'arbres flottant. Mais, ils n'ont aucune idée du principe d'Archimède, autrement ils construiraient des bateaux. L'animal ne connaît que des choses. Son acte instinctif, utile mais irréfléchi, se présente lui-même à sa pensée comme une chose à faire, mais non pas comme la solution raisonnée d'un problème. Ce dernier, pour lui, est résolu avant d'avoir été posé. Car, poser un problème, et le résoudre consciemment, c'est connaître ce dont on part, et comment on peut adapter des moyens à une fin, c'est-à-dire que c'est encore concevoir et utiliser des rapports.

            L'homme, en revanche, se pose des problèmes. Il n'a pas l'instinct de l'animal, c'est-à-dire le savoir-faire inné. A sa naissance, il est plus démuni que l'animal; seulement, entre les différents objets qui le sollicitent, il saisit des rapports: voilà la marque de la raison.

L'instinct, qui porte seulement sur un certain nombre d'actes à accomplir, est forcément spécialisé, et repasse toujours par les mêmes phases. Mais concevoir un seul rapport, c'est pouvoir idéalement les concevoir tous; c'est pourquoi la raison est "un instrument universel" (Descartes), capable de poser et de résoudre un nombre indéterminé de problèmes.

            Henri Bergson a fait remarquer que seul l'homme fabrique des outils. L'animal utilise des objets des objets pour une fin, mais n'en fabrique pas. L'homo sapiens est aussi un homo faber.

Qu'est-ce qu'un outil ?

 C'est un objet qui n'a pas de valeur en tant que chose, mais qui vaut seulement par sa relation avec un acte à accomplir. Ainsi une pelle verte ou un marteau rouge permet soit de remuer la terre soit de planter un clou.

Un outil, c'est donc un rapport concret. On ne doit dons pas opposer "homo faber" et "homo sapiens", ainsi que Bergson l'a reconnu: " Homo faber, homo sapiens devant l'un et l'autre, qui tendent d'ailleurs à se  confondre ensemble, nous nous inclinons. Le seul qui nous soit antipathique est l'homo loquax, dont la pensée quand il pense, n'est qu'une réflexion sur sa parole" (in "LA PENSEE ET LE MOUVANT" p. 105-106).

 

            En résumé, qu'elle soit théorique ou pratique, la raison est la faculté de l'universel et de l'objectif; elle est la mise en oeuvre de principes innés et la vie en société dégagent et précisent sans pouvoir les créer. Sa connaissance innée porte sur des rapports, et c'est grâce à elle que l'homme peut faire la science, dominer la nature par la pensée et l'utiliser dans la pratique, et aussi dépasser les désirs spontanés de sa nature pour prendre conscience, par la morale, de sa valeur spirituelle.

 

REMARQUE: SCIENCE ET RAISON.

Nous révélant les lois des phénomènes, la science simplifie le donné, augmente notre pouvoir d'action, réalise l'accord des esprits. Mais nous donne-t-elle du réel cette connaissance adéquate, cette explication totale que demande notre raison? Il semble au contraire que ses constructions, nées de l'effort incessant et jamais achevé de l'esprit pour comprendre le monde, ne fournissent que des points de vue commodes sur les choses, dont elles ne retiennent qu'un aspect abstrait. Techniquement, la science vaut par son contenu; métaphysiquement, elle n'a de sens que par rapport à l'esprit qui l'a faite. Aussi, détachée de l'esprit, et considérée en ses seuls résultats, la science amène-t-elle la pensée à se perdre dans l'objet, dont elle oublie qu'il est son oeuvre, et conduit aux pires préjugés du réalisme vulgaire. Mais, prise en sa source, et rattachée à l'esprit, elle est le signe de sa puissance, et  témoigne de la valeur de la raison.

Le concept ou idée générale.

            L'animal trouve son expérience toute découpée en choses dont chacune se présente à lui comme un bloc. S'il les modifie, c'est par des actes dont la pensée se présente à lui encore comme des choses. Son acte lui est donc imposé, c'est l'instinct. L'homme, au contraire, pense avant d'agir, il s'oriente en partie comme il veut dans son expérience. La raison est donc inséparablement liée à la liberté.

            Le premier acte de sa raison est l'abstraction. Par exemple de cette feuille de papier, il distinguera l'objet, puis sa forme, sa couleur, son poids...

Cette idée abstraite devient aussitôt une idée générale ou concept: idée de feuille, de parallélépipède (géométrie), de couleur (physique), ect.

            L'homme, qui est libre, pense toujours au-delà de son action immédiatement utile (à l'inverse de l'animal). Sans doute commence-t-il, lui aussi, par des associations d'idées, pendant la période de l'éducation. Mais, bien vite il saisit les rapports objectifs qui existent entre les données de son expérience. A ce moment-là, il se forme les premiers concepts.

Le concept, oeuvre de la raison, c'est un rapport, ou plus exactement un ensemble de rapports.

            Prenons un exemple:

            Par temps de pluie, les animaux se réfugient dans une grotte, sous un arbre, ect. A l'averse suivante, ils reviendront peut-être sous le même abri. Ils ont donc une image générique, une impression d'ensemble de ce que peut être un abri. Mais, ils n'ont pas l'idée générale d'abri, et la preuve, c'est qu'ils n'en construisent pas, sauf ceux que leur instinct leur fait construire, et toujours selon le même type.

            L'homme, lui, considère dans la grotte,  dans l'arbre, cette propriété qu'ils ont l'un comme l'autre, quelques différents qu'ils soient par ailleurs dans leur réalité concrète de le préserver des intempéries. C'est cela l'idée générale d'abri: dehors, le mauvais temps, dedans la tranquillité, entre le dehors et le dedans ce quelque chose qui n'est ni forcément une grotte, ni forcément un arbre, et qui fait toujours que l'intempérie ne nous atteint pas. Ce "quelque chose" n'est donc pas une image, puisqu'il se trouve lié à des images tout à fait différentes, c'est un rapport: l'écran (quel qu'il soit) interposé entre la pluie et nous, rapport qui reste stable au milieu de la diversité des données sensibles et des images. Une fois qu'il a compris cela, l'homme est capable de fabriquer n'importe quelle sorte d'abri, en utilisant n'importe quels matériaux, groupés de n'importe quelle manière, du moment que le rapport: intempérie-tranquilité se trouve sauvegardé. Finalement, un parapluie c'est une voûte de caverne rendue portative.

Cette analyse, on pourrait la refaire à propos de chacun de nos concepts abstraits: "le chien", c'est un type d'organisation qui se trouve identique, malgré des "contextes" (ou races) différents.

            Dans certains cas, même, le concept n'est plus réalisé dans aucune image , donnée dans l'expérience sensible: ainsi en mathématique la notion d'infini, celles d'imaginaire et d'irrationnel; en physique, les notions de masse, de force, de travail, d'accélération, qui expriment si visiblement des rapports et seulement des rapports que tout essai pour les définir par les seules images aboutit forcément à une erreur entachée d'anthropomorphisme.

            L'idée générale est donc le propre de la raison. Sans elle pas de liberté, pas de science, pas d'invention, et aussi pas de langage, parce que, comme l'a dit  Leibniz, une langue qui n'aurait que des noms propres ne serait pas une langue. Vous comprenez maintenant pourquoi l'étude du concept a retenu l'attention des philosophes, et pourquoi, comme le disaient Platon et Aristote, la raison peut se définir par le pouvoir que nous avons de penser "non à cet homme qui s'appelle Socrate, mais à l'homme".

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