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Cours: LA PERCEPTION (7 de 7)

Publié le 22/02/2012

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perception

D)   MERLEAU-PONTY ET LE RETOUR A L’EXPERIENCE DIRECTE

1)     Le projet et la méthode phénoménologiques

-        Dans La phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty donne à voir l’enracinement de l’homme dans le monde par son corps. Il s’agit d’expliciter la structure de la perception qui est un mode d’accès privilégié aux choses. Merleau-Ponty critique l’approche scientifique du monde et de la perception en tant que la science n’admet pas l’ambiguïté des choses et lui substitue la netteté de ses catégories, au lieu de décrire l’expérience que nous en avons. Il convient donc de convertir son regard sur le monde et de retrouver l’expérience vécue qui est la source de la perception.

-        Le philosophe s’oppose également à l’intellectualisme qui ressaisit l’acte de l’entendement dans la perception (cf. Descartes et l’analyse du morceau de cire). Sa critique de l’intellectualisme est proche de celle de Bergson : ce dernier remarque que l’intelligence, utilisée par la philosophie traditionnelle et la science, manipule la matière, étant dirigée vers l’action. Il faut, au contraire, dit Bergson, privilégier la pensée intuitive qui rend compte du mouvant, de la présence des choses au monde, de leur durée.

-        En tant que phénoménologue, Merleau-Ponty entend jeter un pont entre la chose et l’esprit, c’est-à-dire de penser l’homme comme “être-au-monde”, à la fois incarné et engagé dans le temps, déterminé et pourtant souverain. Il renouvelle la notion d’expérience qui doit être saisie avant toute contamination utilitaire ou conceptuelle (les notions isolées d’un sujet et d ‘un objet). Si la théorie de la Forme a apporté des éléments originaux pour l’interprétation de la perception, les données de la perception viennent cependant d’ailleurs : du corps qui est par excellence l’agent de la perception; du complexe sujet-objet que mutilerait tout effort de séparation; d’autrui regardé comme un alter ego.

-        Selon Merleau-Ponty, le comportement humain est un ensemble structuré qui s’intègre dans une nature conçue comme un univers de formes. Loin d’être un simple effet du milieu, les comportements ont un sens : la relation de l’homme à la nature est une sorte de débat et il s’agit de rétablir une communication significative entre la chose et l’esprit.

-        Le corps se trouve au centre de cette phénoménologie de la perception qui décrit le monde. Le corps, ce n’est pas un édifice de molécules; c’est un sujet habitant véritablement la nature : c’est le “corps propre”, un ensemble de significations incarnées et présentes au monde, qu’il habite et partage avec d’autres consciences sur le mode de l’intersubjectivité.

-         Merleau-Ponty reprend la théorie de la forme dont il s’inspire, mais qu’il va tenter de dépasser. Ainsi la perception n’est - elle pas un acte intellectuel, mais un acte réel et vécu. La perception saisit l’objet comme ici et maintenant, s’offrant à une série indéfinie de vues perspectives : avant de penser le monde, il faut en avoir l’expérience directe. Merleau-Ponty rejette la théorie du savoir acquis : la perception n’est pas une somme de parties émergeant peu à peu de l’ombre : c’est le tout qui est antérieur aux parties (cf. La psychologie de la forme). Par exemple, si l’on considère la grandeur des objets, il est évident que les ignorants ne soupçonnent pas la perspective et qu’il a fallu beaucoup de temps aux hommes pour la découvrir. Merleau-Ponty met en évidence trois points essentiels qui, selon lui, caractérisent la perception : le corps dont le rôle est considéré comme original; la coexistence indissoluble du sujet et de l’objet; l’existence d’autrui.

2) Le rôle du corps

-        « Percevoir, dit Merleau-Ponty, c’est se rendre quelque chose de présent à l’aide du corps «. Mon corps n’est pas un objet; il est vivant et actif. Il est agent de transmission et de transformation entre le monde extérieur et moi. C’est mon ancrage dans ce monde. Mon corps a des organes des sens qui sont l’instrument de cette liaison. C’est lui, ce sont les sens qui m’ouvrent un monde et m’ouvrent au monde; c’est la sensation qui me met en communion avec lui. Mon corps est “le pivot du monde” : je peux grâce à lui tourner autour des objets, les connaître sous leurs divers aspects, et me les représenter, quand je les regarde de loin, sous leurs faces non visibles : “ En tant que j’ai un corps et que j’agis à travers lui dans le monde, je ne suis pas dans l’espace et le temps, je suis à l’espace et au temps…L’ampleur de cette prise mesure celle de mon existence”.

-        Il faut entendre par « corps propre « l’expérience vécue, intime du corps telle que la perception nous la révèle. Merleau-Ponty nous dit que lorsqu’on décrit la perception du corps, et que l’on adopte un point de vue phénoménologique, alors l’existence du corps apparaît comme ambiguë et il cesse d’exister comme une chose ou comme une conscience. Le corps est, en effet, « le véhicule de l'être au monde « (ibid.) et, à ce titre, il est une vue « pré-objective «, c’est-à-dire une vue précédant la conscience constituante. Autrement dit, je ne serais rien sans mon corps, il est le lieu d’épanouissement de mon âme; il donne une signification aux choses et prépare l’acte intellectuel; il résume l’acte vital et le résume dans l’immédiateté de la perception.

-        Ce corps phénoménologique, qui interdit définitivement qu’on le pense sur le modèle mécaniste ou fonctionnaliste de l’instrument, du réceptacle, de la matière inerte, possède une certaine consistance ou profondeur. Il y a toujours plus en lui que ce que, spontanément, depuis les mots et les structures de la langue, nous y reconnaissons. Il joue même, a montré Husserl, un rôle-clé dans la rencontre inter-humaine, dite « intersubjective «, et c’est même là qu’il se révèle le plus comme un être de sens et de langage.

-        Ainsi le corps comporte-t-il deux couches, celle du « corps habituel « et celle du « corps actuel « (Merleau-Ponty, ibid.). L’exemple du membre fantôme permet de comprendre la distinction de ces deux couches et l’épaisseur même du corps. Le membre fantôme est un membre qui a disparu de l’organisation du « corps actuel «, alors que précédemment il en faisait partie, et l’on s’aperçoit que le sujet percevant éprouve toujours des sensations dans ce membre qui n’existe plus. Le « corps habituel « a emmagasiné des gestes et des maniements pour ce membre, il ne les a pas évacués avec la disparition du membre : il a gardé la présence de ce membre, comme une habitude qui resterait. Le membre fantôme se maintient dans le corps habituel comme s’il y avait un refus de déficience dans le circuit sensori-moteur, en tant que nos réflexes ne se trouvent pas à l’état pur, mais sont ancrés dans un monde et un milieu. Si bien qu’un membre ne peut disparaître d’un coup de l’organisation corporelle parce qu’il est impliqué dans le fonctionnement de tous les autres. De sorte que le corps n’est pas un assemblage de fonctions ; il est d’emblée en contact avec le monde, le milieu dans lequel il baigne et duquel il est inséparable. Avoir un corps, c’est justement se joindre à ce milieu.

-        De même l’expérience de la vision témoigne-t-elle de la référence du monde au corps et de la constitution des facultés du corps par son insertion dans le monde. La vision n’est pas qu’un processus physiologique, résultat de la stimulation de la rétine. Voir quelque chose, c’est « entrer dans un univers d'êtres qui se montrent « (ibid.) au sein d’un horizon. Lorsque je regarde une lampe, par exemple, celle-ci ne tourne vers moi qu’une de ses faces, et dans la mesure où il y a un horizon, mon regard peut viser les autres faces qui me sont pour l’instant cachées.

-        Cette vision par esquisses met bien en lumière le rôle du corps. Que certains des aspects de l’objet me demeurent cachés, cela me permet de prendre conscience de mon corps à travers le monde, mais aussi de voir que mon corps est ce vers quoi l’objet tourne sa face ; il est « le pivot du monde : je sais que les objets ont plusieurs faces parce que je pourrais en faire le tour, et en ce sens j’ai conscience du monde par le moyen de mon corps « (ibid.). C’est donc par le corps que je suis conscient qu’il y a un monde et que celui-ci s’organise pour moi. Etre au monde signifie toujours faire partie d’un milieu, être inclus dans un espace dont les vues que j’ai dépendent de mon corps, comme nous le suggère l’exemple précédent du membre fantôme.

-        Le corps n’est pas un objet au sens usuel car il n’est pas là, étalé (objet vient du latin objectum, jeter devant, ce qui s’offre aux regards, à la connaissance sensible ou intellectuelle), si bien qu’il ne saurait disparaître de mon champ visuel. La vision que j’ai de mon corps est toujours la même ; il est toujours là et toujours sous le même aspect : je ne me réveillerai pas un matin avec mon dos à la place de ma main droite…Il est avec moi ; il est ce par quoi et sur la base de quoi s’opère la vision. Pour que je voie quelque chose, il est nécessaire, en effet, qu’il y ait cette permanence de mon corps, car elle m’impose un angle de vue à partir duquel se déploiera ma vision. Cet angle est une situation de fait et mon corps est précisément cette possibilité des situations de fait. De sorte qu’il est très difficile de parler de la vision de son corps, de le voir comme je verrais un objet, car il se dérobe à l’observation et résiste à toute perspective que je pourrais en avoir : « j'observe les objets extérieurs avec mon corps, je les manie, je les inspecte, j'en fais le tour, mais quant à mon corps je ne l'observe pas lui-même : il faudrait, pour pouvoir le faire, disposer d'un second corps qui lui-même ne serait pas observable « (ibid.).

-        Il estdès lors impossible de définir un objet en le coupant du sujet par lequel il est objet. Le sujet ne se révèle que par l’objet dans lequel il s’engage. C’est artificiellement que nous détachons le sujet de l’objet et les croyons étrangers l’un à l’autre. Le sujet naît et se synchronise à un certain milieu d’existence. Il est alors impossible de poser le corps comme objet, de le regarder comme je regarde cet arbre, cette pierre, de l’opposer à moi-même. Il est mon sol perceptif, mon ancrage ici et maintenant, mon moyen de communion au monde. Ainsi ma conscience se trouve-t-elle dans le sensible et c’est ici que la théorie de la forme réapparaît. Le corps est le point de jonction entre le physique et le psychique.

3) Le rôle d’autrui dans la perception

-        Revoir le cours sur autrui. Dépassement, par Merleau-Ponty, du solipsisme pessimiste. Relire attentivement le corrigé du texte de M. Ponty + celui sur le texte de Pascal.

-        Puisque mon corps me fait connaître d’autres corps, pourquoi ces corps, comme le mien, n’auraient-ils pas une conscience ? Autrui me permet d’asseoir ma perception : il y a une relation interne entre mon corps et celui d’autrui.

-        D’abord sur le plan psychophysique : “ Mon regard tombe sur un corps vivant en train d’agir, aussitôt les objets qui l’entourent reçoivent une nouvelle couche de signification…Déjà l’autre corps n’est plus un simple fragment du monde”. Un autre réagit comme moi et se sert de mes objets familiers. Le corps d’autrui et le mien forment un tout; je sens près de moi un autre. Mais cet autre ne s’épuise pas dans les fonctions biologiques et sensorielles. Il se construit des outils, les utilise, enseigne leur emploi et surtout il use du langage, qui est le moyen de communication par excellence : dès ce moment, nous éprouvons la valeur d’un effort de réciprocité qui se manifeste par le dialogue.

-        Au - delà du langage, il y a la sympathie qui est un moyen plus intime que le langage. Mais cette sympathie a elle aussi des limites : si mon amie a perdu son enfant, je souffre avec elle, je souffre pour elle; je ne souffre pas, comme elle, d’avoir perdu personnellement mon enfant; nos souffrances ne sont pas identiques, superposables. Le sacrifice, d’après Merleau-Ponty, révèle mieux que tout autre chose cette impossibilité de communication radicale : celui qui sacrifie sa vie pour un autre ne peut même souhaiter une quelconque réciprocité personnelle puisque la mort, qui anéantit son corps, rend cette réciprocité impensable.

-        Mais le sacrifice suppose la conscience aiguë qu’on a d’un autre. J’ai nécessairement la perception du social et ceci est, dès le commencement, un aspect de ma perception : je ne puis pas ne pas faire qu’au moment où je perçois une chose, je domine par ma pensée tout spectacle qui passe, de même que je suis plongé dans un flux de vie inépuisable qui me déborde de toute part, où Autrui me précède, m’entoure et me suit. Ma perception comporte inévitablement une ambiance sociale qui se fait avec elle ou contre elle et lui communique un certain ton.

 

CONCLUSION :

-        La perception n’est donc pas, comme dans l’empirisme, une synthèse de sensations : la distinction classique de la sensation (comme donnée élémentaire des sens) et de la perception (comme fonction psychique plus élaborée) est artificielle car la sensation pure est un mythe. De même, la perception n’est pas non plus un jugement (Descartes, Alain). Comme nous l’enseigne la phénoménologie, c’est le rapport de mon corps avec le monde qui organise le champ perceptif, de sorte que, dans la perception, l’expérience corporelle est fondamentale. Organisation de formes et de structures, la perception s’enracine dans une expérience vécue dont la science est l’expression seconde. Percevoir, c’est en définitive, pour un sujet vivant incarné dans le monde, saisir un ensemble, une organisation et une structure utiles au corps, découper une bonne forme correspondant aux exigences vitales et existentielles profondes.

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