Cours: LA CONSTITUTION D'UNE SCIENCE DE L'HOMME
Publié le 22/02/2012
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Exemple : La Sociologie.
a) objet de la sociologie:
a) L'objet que se propose d'étudier la sociologie est celui même de l'histoire. Comme cette dernière, la sociologie considère les sociétés humaines. Mais, devant cet objet, la sociologie adopte l'attitude classique de la science: elle tend vers l'universel. Alors, que l'histoire ne retient que le fait individuel, avec sa date et son lieu, et se borne à la recherche de causes locales et temporelles, la sociologie rapproche des faits fort éloignés dans l'espace et le temps, et essaie de trouver des rapports constants, des relations générales, de véritables lois. La découverte de tels rapports est possible: on retrouve en effet les mêmes usages, les mêmes croyances, chez des peuples fort divers, très éloignés les uns des autres par l'espace ou le temps, mais où les conditions sociales sont les mêmes. Les mêmes conditions sociales produisent donc les mêmes phénomènes sociaux: il existe des lois en sociologie. Du reste la statistique révèle que des faits en apparence livrés au hasard, ainsi le meurtre, le suicide, présentent une remarquable constance.
La sociologie est donc la science des faits sociaux et de leurs lois. Les faits sociaux (institutions, rites et cultes religieux, moeurs, croyances collectives) sont les faits ayant pour substrat un groupe d'individus humains, et résultant de la vie de ce groupe. Les groupes considérés peuvent, du reste, être plus ou moins stables et plus ou moins étendus (famille, église, nation, ect.).
Monstesquieu, éliminant autant que possible le hasard et les rencontres contingentes, cherche les causes des lois et des institutions en essayant de déterminer leur rapport avec le climat, la qualité du terrain, le genre de vie des peuples, les richesses et le commerce des habitants, ect...
L'étude des faits sociaux est fort ancienne. Mais, elle fut d'abord normative. Ce n'est qu'au XVIIième siècle que s'affirma l'idée selon laquelle les faits sociaux sont soumis à des lois analogues aux lois de la Nature, et qu'il s'agit avant tout de découvrir: ainsi, les faits sociaux furent étudiés par les théoriciens socialistes, par Comte, que certains tiennent pour le père de la sociologie scientifique, bien que sa physique sociale soit remplie d'hypothèses contestables et peu fondées. On considère en général que le fondateur de l'école sociologique française est Durkheim[1].
b) Il est, cependant, une affirmation sur laquelle tous ceux qui se disent sociologues sont d'accord: c'est celle de la spécificité du fait social. Nier cette spécificité, c'est en effet contester l'existence de la sociologie comme science indépendante. Ainsi, si l'on admet que les faits sociaux, émanant d'un groupe d'individus humains, sont explicables par les consciences de ces individus, et par leur interaction, il faudra réduire, la sociologie à la psychologie, ou tout au moins, à une interpsychologie. C'est ce qu'a voulu faire Tarde[2]: il explique les faits sociaux à partir des consciences individuelles, en faisant intervenir les lois psychologiques de l'imitation.
Aussi, les sociologues ont-ils toujours tenté d'établir que le groupe social est autre chose que la somme des individus qui le constituent. Déjà, les foules ont des enthousiasmes et des passions dont chacun de leurs membres serait, pris à part, incapable. Dans les groupes plus stables, il y a des manières communes de penser, de sentir, des modes, des moeurs, des traditions, qui, loin de résulter des consciences individuelles, s'imposent à elles, et constituent une réalité sui generis.
Qu'est cette réalité sociale? L'école marxiste tend à découvrir son fondement dans la structure économique du groupe. L'école de Durkheim y voit une "conscience collective". Sans doute, ne faut-il pas faire de celle-ci une entité métaphysique, mais il ne faut pas non plus la réduire aux consciences des individus qui composent le groupe. Si, en effet, la conscience collective n'existe, en un sens, que dans et par les consciences individuelles, il n'en est pas moins vrai que le tout peut être ici autre chose que la somme des parties. C'est ainsi qu'un corps vivant ne se réduit pas à la somme de ses organes; de même, la conscience collective est autre chose qu'une somme de consciences individuelles. La conscience collective peut d'ailleurs s'exprimer de façon matérielle (ainsi par des monuments, des lois écrites); elle s'impose aux consciences individuelles de façon obligatoire, et c'est dans cette contrainte qu'elle exerce sur les individus que Durkheim voit la preuve essentielle de son existence propre, de sa réalité sui generis. Ainsi, le fait social est défini avant tout par son caractère collectif (qui le sépare aussi bien du fait individuel que des principes universels et des lois générales) et par son caractère coercitif (qui se retrouve aussi bien dans les moeurs que dans les lois). Il n'est donc pas possible d'expliquer les faits sociaux par les consciences individuelles: les faits sociaux diffèrent des faits psychiques, et sont soumis à des lois propres.
Les sociologues tendent du reste, après avoir établi que les faits sociaux ne s'expliquent pas à partir des faits psychiques, à expliquer les faits psychiques à partir des faits sociaux. Selon eux, beaucoup de faits psychiques d'apparence individuelle (sentiments familiaux, devoirs civiques, formes complexes de l'amour, émotion esthétiques, sentiment moral) ne s'expliquent et ne s'expriment que par la société. On voit ainsi se constituer, en opposition avec le psychologisme, un sociologisme, ou tendance à étendre l'explication sociologique à tout ce qui, dans l'homme, n'est pas purement biologique. A vrai dire, cette tendance paraît fâcheuse, et les droits propres de la psychologie doivent être maintenus. Les sociologues les plus avertis en conviennent du reste, et Davy déclare en ce sens: "de quelle façon à lui propre chaque individu exerce-t-il les facultés supérieures que développent en lui les influences sociales? C'est une question qu'il appartient à la psychologie de poser".
b) méthode de la sociologie:
1) S'il existe des faits sociaux, si le rôle de la sociologie est d'en établir les lois, la méthode de la sociologie sera inductive. De fait, la méthode que décrit Durkheim en son ouvrage: "Les Règles de la Méthode Sociologique" n'est autre que la méthode expérimentale infléchie selon les besoins spéciaux de la sociologie.
a) Le sociologue devra d'abord établir des faits (soit par enquête personnelle, soit en les empruntant à l'histoire et à l'ethnographie). Pour cet établissement des faits, le sociologue se mettra dans l'état d'esprit du physicien et du chimiste: il considérera les faits sociaux comme des choses, il les appréhendera du dehors. Pour préciser sa pensée, Durkheim indique que le sociologue devra éviter les prénotions, définir le fait social par un caractère extérieur précis, grouper les faits sociaux d'après leurs caractéristiques communes ainsi définis, saisir le fait social par un côté où il se présente isolé de ses manifestations individuelles.
b) Il s'agit ensuite d'établir, entre les faits sociaux, des relations constantes, ou lois: dans ce travail, le sociologue rejettera les explications par les causes finales: les faits sociaux seront expliqués par leurs causes efficientes. En tout cas, on recherchera séparément la cause efficiente qui produit un fait et la fonction qu'il remplit. Le sociologue devra rejeter les explications psychologiques: la cause déterminante d'un fait social sera cherchée parmi les faits sociaux antécédents, et non parmi les états de la conscience individuelle.
c) Mais, une hypothèse formulée, comment la vérifier? La vérification des lois sociologiques se fera grâce à la méthode des variations concomitantes. Sans doute aucune expérimentation proprement dite n'est ici possible. Mais, la sociologie aura recours à l'histoire comparée: prenant des sociétés en différents temps et lieux, elle étudiera la façon dont un phénomène varie en fonction d'un autre. La méthode de la sociologie sera donc avant tout comparative.
On voit par là ce que la sociologie doit à l'histoire et à l'ethnographie. Non seulement en effet ces sciences lui fournissent la plupart de ses faits, mais elles sont pour le sociologue des instruments d'analyse et d'explication. Elles constituent des sciences annexes de la sociologie. L'ethnographie, en faisant connaître au sociologue les peuples primitifs, les sociétés inférieures et élémentaires lui montre l'essentiel séparé de l'accessoire (qui en de telles sociétés, n'est pas encore venu cacher le principal). De même, l'histoire permet de résoudre une institution en ses éléments constitutifs, puisqu'elle nous les montre naissant dans le temps les uns après les autres. Et, l'on sait que c'est grâce à l'histoire comparée que le sociologue parvient à trouver les causes des faits sociaux, à établir des lois et à les vérifier.
Le sociologue veut parfois donner à ses lois la précision qui fait la valeur des lois physiques: pour introduire la quantité, il fait alors appel à la statistique. Elle peut permettre d'établir entre les faits sociaux (ainsi entre la criminalité ou la toxicomanie et le chômage) des lois à forme mathématique. Mais, il ne faut pas oublier que l'établissement des statistiques exactes est fort délicat, et que leur interprétation est difficile.
2) On voit qu'à l'époque moderne s'affirme , chez nombre de penseurs, le souci d'étudier scientifiquement les faits sociaux. Il faut pourtant convenir que nulle méthode sociologique n'a réussi à s'imposer universellement. On peut, par exemple, reprocher à la méthode de Durkheim d'isoler les faits sociaux du reste du réel.
Considérant essentiellement les faits sociaux comme des faits de conscience collective, Durkheim tend à les séparer de leurs bases matérielles: ainsi des faits économiques; affirmant d'autre part que la conscience collective doit être étudiée indépendamment des consciences individuelles, Durkheim tend à séparer les faits sociaux de leurs fondements psychiques.
Le souci de Durkheim est en effet de fonder une sociologie indépendante: dès lors, il veut découvrir des purement sociologiques, unissant un fait social à un autre fait social. Mais, un domaine quelconque n'a-t-il jamais été, dans la Nature, "isolé"? Les faits biologiques ne sont-ils pas partiellement expliqués par des lois chimiques? Le physicien ne fait-il pas usage de rapports mathématiques? On peut donc penser que les faits sociaux ne sont explicables qu'en fonction de l'ensemble du réel (physique, biologique, économique, psychique), et que la plupart des lois sociologiques sont réductibles à des lois économiques, psychologiques, ect.
Soit, par exemple, la loi de Durkheim sur le suicide. Après avoir établi que le suicide est plus fréquent chez les intellectuels (le savoir ne serait-il pas une impasse?...) que chez les manuels, chez les célibataires que chez les gens mariés, chez les athées que chez les croyants, ect..., Durkheim déclare que "le suicide varie en raison inverse du degré d'intégration de la société religieuse, de la société domestique, de la société politique". Mais, comment séparer cette loi du fait psychologique qu'un individu écarte avec d'autant plus de violence l'idée de la mort qu'il sent autour de lui des êtres qu'il aime, qu'il se sent soutenu par eux, qu'il se sent responsable envers eux? De même, il serait facile de montrer que beaucoup de faits sociaux sont l'expression de faits économiques. Mais, on songe dès lors aux méthodes matérialistes de Marx, à la méthode psychologique de Tarde. A la psychologie durkheimienne, qui a longtemps dominé en France, on peut opposer aussi la sociologie de Dilthey[3], qui veut comprendre le fait social comme fait humain, celle de Monnerot, qui déclare que les faits sociaux ne sont pas des choses, ect.
Il est donc bien difficile de définir les principes dont doit s'inspirer la méthode sociologique, et de préciser son domaine; en fait, les études sociales sont à leur début, et ne présentent encore que peu d'unité.
[1] Durkheim: (1858-1917) disciple de Comte, il est le fondateur de la sociologie: il serait le premier à lui avoir donné le statut de science.
[2] Gabriel TARDE: (1843-1904) sociologue et criminologue français.
[3] W. Dilthey: Philosophe et psychologue empiriste anglais qui nie l'âme en assimilant le contenu de l'expérience interne à la totalité du donné.
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