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Corse : vingt-cinq ans de violences

Publié le 17/01/2022

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6 février 1998 - Depuis ce qu'on a appelé "le tournant d'Aleria", en 1975, qui marque le début de près de vingt-cinq années de violences en Corse, plusieurs morts d'hommes ont été enregistrées. Mais l'assassinat de Claude Erignac, préfet de la région Corse, marque une escalade : c'est la première fois qu'un fonctionnaire de ce rang, premier représentant de l'Etat dans l'île, est assassiné. Les deux premiers serviteurs de l'Etat morts en Corse pendant cette période ont été deux gendarmes mobiles, tués le 22 août 1975 pendant l'assaut contre la cave d'Aleria, occupée par les militants régionalistes de l'ARC (alors mouvement des frères Simeoni), pour dénoncer le scandale des vins frelatés. Ces événements entraînent des émeutes à Bastia, les 27 et 28 août 1975, au cours desquelles un CRS est tué. La radicalisation d'une partie des jeunes militants corses débouche, dès 1976, sur la création du Front de libération nationale corse (FLNC). Par la suite, plusieurs militaires ou membres des forces de l'ordre ont été victimes d'attentats. Dans la nuit du 11 au 12 février 1982, alors que le Parlement vient d'adopter le premier statut particulier de la Corse, un légionnaire est tué et deux autres sont blessés par le FLNC, dissous le 5 janvier 1983. Le 2 décembre 1984, un CRS est tué à Bastia. L'assassinat est revendiqué par le FLNC. Le 4 août 1987, c'est un gendarme qui tombe. Enfin, le 8 mars 1988, un commando de quatre hommes tue un gendarme. Trois jours après, un autre est sauvé par son gilet pare-balles. En dehors des attaques contre les forces de l'ordre, les années 80 sont marquées par plusieurs assassinats, liés de près ou de loin au nationalisme. Le 9 février 1983, un coiffeur, André Schoch, qui avait refusé de se soumettre au racket, est tué. Le 17 juin de la même année, Guy Orsoni, militant nationaliste et frère d'Alain Orsoni aujourd'hui dirigeant du Mouvement pour l'autodétermination (MPA) est enlevé et assassiné. Les deux responsables présumés, Jean-Marc Leccia et Salvatore Contini, sont à leur tour abattus à la maison d'arrêt d'Ajaccio, le 7 juin 1984, par un commando du FLNC. Affaires non élucidées Le 13 septembre 1983, Pierre-Jean Massimi, secrétaire général du département de la Haute-Corse, est tué. Avant l'assassinat du préfet Erignac, il était le seul fonctionnaire non membre des forces de l'ordre à être tombé en Corse. Le 17 juin 1987, Jean-Paul Lafay, dirigeant anti-indépendantiste, est tué à la fin du voyage dans l'île de Charles Pasqua, ministre de l'intérieur de la première cohabitation. Le FLNC démentira à plusieurs reprises être impliqué. Le 15 novembre 1987, c'est un nationaliste, Jean-Baptiste Acquaviva, qui est tué au cours d'une agression contre un agriculteur. A partir du début des années 90, le nombre de victimes s'accroît sur l'île où beaucoup dénoncent la désagrégation de la société insulaire, sans qu'il soit toujours possible de distinguer violence politique et criminalité de droit commun, d'autant que nombre d'affaires, à ce jour, ne sont pas élucidées et que certains militants nationalistes sont aussi impliqués dans des affaires de droit commun. En outre, plusieurs ressortissants maghrébins ont été victimes de crimes racistes. Le nombre de meurtres, toutes causes confondues, atteint la trentaine, voire la quarantaine chaque année. L'année 1990 voit la disparition par mort violente de plusieurs élus ou militants connus, au moment même où le gouvernement Rocard soumet au Parlement un nouveau projet de statut pour l'île, élaboré par son ministre de l'intérieur, Pierre Joxe. En désaccord sur ce statut, le FLNC enregistre une scission, qui donne naissance au FLNC-canal habituel et au FLNC-canal historique, plus "dur". Guerre civile Le 26 mai 1990, Jules Gaffory, maraîcher, élu à la chambre régionale d'agriculture, proche du RPR, est assassiné. Le 7 juin 1990, c'est Jean-Pierre Maisetti, pépiniériste, connu pour ses engagements à droite, qui est tué à Porticcio, près d'Ajaccio. Le 26 septembre 1990, Charles-Antoine Grosseti, maire de Grosseto-Prugna (dont fait partie Porticcio), est assassiné à Porticcio par deux hommes à moto. Ce n'est pas fini : le 19 décembre 1990, Lucien Tirroloni, président de la chambre régionale d'agriculture, est lui aussi victime de deux tueurs. Le 31 décembre 1990 enfin, Paul Mariani, maire (PS) de Soveria, est assassiné devant sa maison. Le 26 décembre 1994, Jean-François Filippi, maire de Luciana et président du sporting-club de Bastia au moment de la catastrophe de Furiani en 1992, est assassiné huit jours avant l'ouverture du procès. Certains actes criminels sont cependant extérieurs au nationalisme, comme le meurtre, le 13 février 1992, d'un gendarme par un malfaiteur. Un mois auparavant, le 9 janvier 1992, un militant nationaliste connu, Dominique Rossi, candidat aux régionales sur la liste de Corsica nazione, coalition dont A Cuncolta naziunalista (vitrine légale du FLNC-canal historique) est l'élément le plus important, est tué à Ajaccio. A partir de cette année-là, la mouvance nationaliste s'enfonce dans une sorte de "guerre civile" qui fera en quatre ans une vingtaine de morts dans les rangs des principaux mouvements nationalistes, le Mouvement pour l'autodétermination (MPA, vitrine légale du FLNC-canal habituel), A Cuncolta naziunalista, mais aussi dans les rangs du petit mouvement Accolta naziunale corsa (ANC) dont le bras armé est Resistenza. Le 8 août 1993, le FLNC-canal historique revendique trois meurtres, dont celui de l'un de ses anciens militants, Robert Sozzi, tué le 15 juin 1993. Le 18 juillet 1994, Pierre Poggioli, fondateur et dirigeant de l'ANC, échappera lui-même de peu à un assassinat. En 1995, François Santoni, dirigeant d'A Cuncolta, est grièvement blessé, son garde du corps Stéphane Gallo est tué. En une seule journée, le 26 juillet 1995, trois nationalistes sont tués à Ajaccio et Bastia. Le 30 août de la même année, Pierre Albertini, probable chef du FLNC-canal habituel, est tué dans une fusillade. L'un de ses agresseurs est mortellement blessé. Au total, pour la seule année 1995, dix militants nationalistes seront tués. L'année suivante, le 16 février, Jules Massa, garde du corps de François Santoni, est tué. Dans la nuit du 17 au 18 février 1996, Charlie Andreani, militant de l'ANC, est tué à Porto-Vecchio. Enfin l'épisode le plus spectaculaire de cette guerre civile sera, le 1er juillet 1996, un attentat à la voiture piégée sur le port de Bastia, qui visait Charles Pieri, numéro deux d'A Cuncolta, gravement blessé. Un militant qui l'accompagnait, Pierre-Louis Lorenzi, sera tué. Cette "guerre civile" entre nationalistes avait également fait un mort du côté de la police, un membre du RAID, tué le 16 avril 1996, lors d'un échange de coups de feu qui a fait également une victime nationaliste. Mais, depuis l'attentat de Bastia en 1996, si plusieurs assassinats ont été commis dans l'île, aucun ne semblait lié à la mouvance nationaliste. JEAN-LOUIS ANDREANI Le Monde du 9 février 1998

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