Correction du commentaire composé d'un extrait de l'acte III scène 7
Publié le 17/01/2022
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Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand (1868 – 1918)
La « scène du balcon « où un jeune homme amoureux déclare son amour à une jeune femme située au-dessus de lui, proche mais inaccessible, a été popularisée par Shakespeare dans Roméo et Juliette. De nombreux auteurs dramatiques l’ont reprise et, en particulier, celui qui a remis en honneur le théâtre romantique à la fin du XIX ème siècle, Edmond Rostand, dans la scène 7 de l’acte III de Cyrano de Bergerac. Ce qui fait la particularité de cette scène, célèbre dont nous commenterons un extrait, c’est que deux hommes, Cyrano et Christian, tous deux amoureux de Roxane sont sous le balcon de celle-ci. Après avoir soufflé des paroles d’amour à Christian, Cyrano a pris sa place et fait une déclaration enflammée à Roxane qui y succombe. L’intérêt de la scène réside d’abord dans la situation théâtrale puis dans l’intensité et la sincérité de la déclaration d’amour de Cyrano, personnage pathétique condamné à rester dans l’ombre à cause de sa disgrâce physique.
L’intérêt de cet extrait de la scène 7 de l’acte III de Cyrano de Bergerac tient avant tout à ce qui caractérise la genre théâtral, c’est à dire la « double énonciation «. En effet, le spectateur/lecteur sait que Cyrano parle à la place de Christian tandis que Roxane ne le sait pas. Il va donc interpréter les paroles de Cyrano en tenant compte de cette situation particulière. Christian entend aussi les mots de Cyrano et on peut imaginer ses réactions et ses sentiments – sans doute de la jalousie – car malgré son beau visage, il est incapable de s’exprimer d’une façon précieuse et galante propre à séduire Roxane. Le spectateur/lecteur est à même d’interpréter les propos à double sens de Cyrano. Ainsi, dans les quatre premiers alexandrins de l’extrait, Cyrano évoque son « sacrifice «, v. 4. Roxane ne peut absolument pas comprendre en quoi et pourquoi Cyrano sacrifie son bonheur. Dans cette phrase exclamative qui débute par une interjection expressive, « Ah ! «, v. 1, Cyrano fait une proposition à Roxane. Il consent à rester malheureux et dans l’ombre si Roxane est heureuse. Le bonheur de la jeune femme est personnifié puisque Cyrano souhaite l’entendre « rire un peu «, v. 4, même si ce n’est que « parfois « et « de loin «, adverbes qui montrent à quel point son désir est modeste. Cette modestie est encore renforcée par la proposition subordonnée de condition « s’il se pouvait « et l’emploi en fin de vers de l’imparfait du subjonctif à la sonorité très douce « que j’entendisse «, v. 4. De même, la didascalie « Il baise éperdument l’extrémité d’une branche pendante « introduit un jeu de scène pathétique et illustre la situation de Cyrano. En effet, le baiser final sera échangé entre Roxane et Christian. Pour Cyrano, pas de véritable baiser. L’extrémité de la branche remplace et symbolise la bouche à la fois proche et inaccessible de Roxane.
Le spectateur est ému par les paroles et les gestes de Cyrano prêt à sacrifier son propre bonheur à celui de son ami. Cependant, enflammé par son amour, il va aussi poursuivre sa déclaration pour son propre compte, tout en maintenant l’ambiguïté.
Il évoque tout d’abord l’effet que produit le regard de Roxane. C’est un regard qui transmet de la force morale, de la « vertu «, v. 5, et aussi un courage physique digne d’un soldat, de la « vaillance «, v. 6. L’enjambement du vers 6 met en valeur l’adjectif « nouvelle « qui qualifie la vertu. Le regard de la femme aimée a, à lui seul, une puissance de transformation. C’est l’image traditionnelle du regard féminin qui permet une nouvelle naissance. Les trois questions qui suivent (du vers 6 au vers 8) traduisent l’exaltation de Cyrano et sont destinées à la fois à émouvoir Roxane et à la convaincre de répondre favorablement à cet amour, même si, là aussi, les formulations sont à double sens. Troublé par sa propre audace, Cyrano exprime toute son émotion dans un vers très rythmé où la répétition de la formule « c’est trop « devant les adjectifs « beau « et « doux « traduit l’impossibilité d’exprimer des sentiments ressentis trop violemment. Cette sorte de confusion est nette dans le vers suivant qui traduit l’étonnement d’être écouté : « vous m’écoutez, moi, vous ! «. Le changement de pronom personnel montre aussi le trouble et l’émotion. Avant même d’entendre la réponse de Roxane, Cyrano est convaincu de l’effet de sa déclaration : « C’est à cause des mots / Que je dis qu’elle tremble entre les bleus rameaux ! «, v. 13 et 14. L’effet est d’abord physique. C’est le corps qui traduit l’émotion par le tremblement. Rostand joue sur la répétition du verbe « trembler « à trois formes différentes. « Elle tremble «, v. 14, est une sorte de commentaire de la part de Cyrano qui constate l’émotion de la jeune femme. En repassant du vouvoiement au tutoiement, Cyrano retrouve la familiarité précédente. La sensualité est présente à travers la comparaison « comme une feuille entre les feuilles «, v. 15, et l ‘évocation des branches odorantes du jasmin. On note l’association de la femme et de la nature, traditionnelle dans le lyrisme amoureux.
Cyrano sent qu’il a réussi à émouvoir Roxane par la magie de sa parole mais, au moment même où il éprouve un immense bonheur, il est aussi tout à fait malheureux.
Cyrano se considère comme trop laid pour pouvoir être aimé. Quand Roxane lui a demandé de lui servir d’intermédiaire auprès de Christian de Neuvillette, il a tu ses propres sentiments et s’est mis au service de son rival. Il se trouve donc dans une situation très douloureuse, partagé entre son amour et sa loyauté. L’excès de bonheur qu’il ressent en déclarant sa flamme lui fait envisager la mort. Le vers suspendu : « Il ne me reste / Qu’à mourir maintenant «, v. 11/12, n’exprime pas qu’une figure de rhétorique. C’est le cri sincère d’un homme désespéré. La réponse de Roxane, qui cède enfin à la déclaration, ne fera que renforcer ce désespoir. En effet, les vers prononcé par Roxane (v. 19/20), constituent un aveu sous la forme d’une gradation rythmée par la répétition de la conjonction « et « qui traduit ici un renforcement. Les verbes sont de plus en plus forts. Les deux premiers mettent l’accent sur le trouble et l’émotion : « Oui, je tremble et je pleure «, v. 19. La déclaration d’amour elle-même est très simple « et je t’aime, et suis tienne «, v. 19. Le rapprochement sentimental entre les deux personnages se traduit par le partage du vers suivant, Roxane et Cyrano prononçant chacun un hémistiche, un peu comme dans un duo d’opéra. A l’état d’abandon que traduit le « Et tu m’as enivrée «, v. 20, répond le souhait désespéré de Cyrano « Alors que la mort vienne «. Fondé sur un quiproquo, l’amour sera impossible.
Tirant parti d’une situation théâtrale originale, Edmond Rostand reprend à son compte la scène traditionnelle de la déclaration d’amour. Il utilise les ressources de l’alexandrin au service de l’émotion et de la conviction. Surtout, il rend pathétique un personnage qui aurait pu n’être que comique, Cyrano. Cette alliance de la disgrâce physique et de la beauté intellectuelle et morale à fait de Cyrano un personnage populaire, qui continue à plaire et toucher encore aujourd’hui puisque l’adaptation cinématographique réalisée presque un siècle après la création de la pièce au théâtre a connu un très grand succès populaire.
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