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Contre l’arme nucléaire Albert CAMUS

Publié le 24/03/2020

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Contre l’arme nucléaire

Albert CAMUS

1913 - 1960 Actuelles I (1950)

Le monde est ce qu’il est, c’est-à-dire peu de chose’. C’est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d’information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique. On nous apprend, en effet, au milieu d’une foule de commentaires enthousiastes, que n’importe quelle ville d’importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d’un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.

En attendant, il est permis de penser qu’il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d’abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l’homme ait fait preuve depuis des siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d’aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d’idéalisme impénitent, ne songera à s’en étonner.

Ces découvertes doivent être enregistrées, commentées selon ce quelles sont, annoncées au monde pour que l’homme ait une juste idée de son destin. Mais entourer ces terribles révélations d’une littérature pittoresque ou humoristique, c’est ce qui n’est pas supportable.

Déjà, on ne respirait pas facilement dans un monde torturé. Voici qu’une angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d’être définitive. On offre sans doute à l’humanité sa dernière chance. Et ce peut être après tout le prétexte d’une édition spéciale. Mais ce devrait être plus sûrement le sujet de quelques réflexions et de beaucoup de silence.

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« L'HOMME ENGAGÉ [ Au reste, il est d'autres raisons d'accueillir avec réserve le roman d'anticipation que les journaux nous proposent.

Quand on voit le 35 rédacteur diplomatique de l'Agence Reuter annoncer que cette inven­ tion rend caducs les traités ou périmées les décisions mêmes de Post­ dam, remarquer qu'il est indifférent que les Russes soient à Kœnigsberg ou la Turquie aux Dardanelles, on ne peut se défendre de supposer à ce beau concert des intentions assez étrangères au désintéressement scien- 40 tifique.

Qu'on nous entende bien.

Si les Japonais capitulent après la des­ truction d'Hiroshima et par l'effet de l'intimidation, nous nous en réjouirons.

Mais nous nous refusons à tirer d'une aussi grave nouvelle autre chose que la décision de plaider plus énergiquement encore en 45 faveur d'une véritable société internationale, où les grandes puissances n'auront pas de droits supérieurs aux petites et aux moyennes nations, où la guerre, fléau devenu définitif par le seul effet de l'intelligence humaine, ne dépendra plus des appétits ou des doctrines de tel ou tel État.

50 Devant les perspectives terrifiantes qui s'ouvrent à l'humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d'être mené.

Ce n'est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l'ordre de choisir définitivement entre l'enfer et la raison.

Combat, 8 août 1945, recueilli dans Actuelles I, © Éd.

Gallimard.

1.

Ces réflexions s'inscrivent après la destruction d'Hiroshima par une bombe atomique.

,..;-Ên quoi l'article de Camus diffère+il de tous ceux des autres journalistes sur l'évé­ riement? 1 • Quel jugement Camus porte-t-il sur la bombe atomique et sur la civilisation méca­ r/ique? 1 1 • Oistinguez les réflexions du moraliste de celles du journaliste.

Montrez que selon damus, les premières doivent avoir la primauté sur les secondes.

• En un développement argumenté, dites comment peut se faire « l'utilisation intelli­ gente des conquêtes scientifiques».

1 { ~ Groupement de textes: voir 75 -82.

148. »

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