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COMMENTAIRE D’ARRET CASSATION CRIMINELLE 15/12/2010

Publié le 29/03/2014

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COMMENTAIRE D’ARRET 

CASSATION CRIMINELLE 15/12/2010 

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Guinchard et Buisson remettent en cause le statut du parquet en France « les magistrats du parquet ne sont pas en France, des magistrats habilités à se prononcer sur une arrestation ou une détention «. C’est ce qui illustre l’arrêt de la chambre criminelle du 15 décembre 2010. 

Dans cet arrêt, M. X a blessé l’un de ses voisins avec une carabine à air comprimé à cause d’un litige portant sur une servitude de passage. 

Le 22 septembre 2008, M. X a été placé en garde à vue à 18 heures 10. Sur autorisation du procureur de la République, cette mesure a été prolongée le du 23 septembre à 18H10 et a pris fin le même jour à 19H15 soit une durée de 25 heures et 5 minutes. Une perquisition a eu lieu à son domicile à partir de 17H05. M. X a présenté une requête aux fins d’annulation de pièces de la procédure. Mais les juges de la chambre de l’instruction ont rejeté sa requête. Un pourvoi en cassation est formé par M.X 

Selon le pourvoi, la garde à vue de M.X et les actes intervenus au cours de celle-ci sont entachés de nullité car selon la Cour européenne des droits de l’homme, le magistrat du parquet français n’est pas « une autorité judiciaire « au sens de l’article 5 paragraphe 3 de la Convention européenne des droits de l’homme 

Peut- on donc valider le contrôle de la garde à vue par le parquet français ? Ne va-t-il pas à l’encontre de certaines dispositions  qui entraîneraient un bouleversement de l’ordre judiciaire français ? 

La Cour de Cassation se réfère à l’article 5 paragraphe 3 de la Convention Européenne des droits de l’homme pour fonder sa décision. Or selon la cour de la cassation, la décision de la chambre de l’instruction de considérer que le ministère public est une autorité au sens de l’article 5 paragraphe 3 de la Convention Européenne des droits de l’homme n’est pas recevable. Cependant, au regard de ce même texte conventionnel, le demandeur a été libéré à l’issue d’une privation de liberté compatible avec l’exigence de brièveté. Donc la chambre criminelle de la Cour de Cassation rejette le pourvoi. 

Au regard de la procédure, la solution ne peut pas être contestée (I). Cependant, selon la Cour européenne des droits de l’homme, le statut du Procureur de la République française est incompatible avec les exigences européennes (II). 

 

I- Au regard de la procédure, une solution ne pouvant pas être contestée 

 

Au regard de la procédure, cette solution ne peut pas être contestée puisque la France applique l’article 5 paragraphe 3 de la Convention européenne des droits de l’homme en soumettant la garde à vue à l’avis du procureur de la République (A) et en respectant les délais de cette procédure (B). 

a- La garde à vue soumise à l’avis du procureur de la République dans la législation française 

 

* Application de l’article 5 alinéa 3 de la convention européenne des droits de l’homme 

* La garde à vue est décidée par l’officier de police judiciaire : Article 63 alinéa 1 du code de procédure pénale « L’officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l’enquête, placer en garde à vue toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner, qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction «. 

* Mais, cet officier de policier judiciaire doit aviser un juge ou un autre magistrat de la mise en place de la garde à vue : « toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires «. 

 

* La cour européenne des droits de l’homme dans cet article inflige à ce que la personne soit aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat «. 

* Dans la législation française, c’est le procureur de la République qui doit être avisé de la garde à vue dès le début de celle –ci : article 63 alinéa 1du code de procédure pénale « Il en informe dès le début de la garde à vue le procureur de la République « 

*  Le conseil constitutionnel dans un arrêt du 11 août 1993 estime que l’information à ces magistrats doit intervenir sans délai sauf circonstances insurmontables. Cette jurisprudence reprise par la Chambre criminelle du 24 novembre 1998 et du 29 février 2000. 

* Cette obligation d’informer le procureur n’est soumise à aucun formalisme particulier : Cassation criminelle 20 mai 2008. 

* La Cour Européenne des droits de l’homme a reconnu une violation de l’article 5 paragraphe 3 de la Convention Européenne des droits de l’homme lorsque des personnes avaient été gardées en détention provisoire pendant sept ou onze jours avant d’être traduites devant un juge ou un magistrat : CEDH 22/05/1984. 

 

* La personne doit être traduite devant un juge ou un autre magistrat : 

* « Un juge  « : C’est un magistrat qui remplit une fonction de jugement et non d’arbitrage dans une plaidoirie. Il est chargé de trancher les litiges opposant des parties qui peuvent être des personnes physiques ou des collectivités revêtues de la personne morale. Ce sont les magistrats dit du siège. 

* « Un autre magistrat « : Cette personne correspond aux magistrats du parquet qui sont chargés de défendre l’intérêt de la collectivité et l’application de la loi. 

* En France, cette personne doit être traduite devant le Procureur de la République (article 61 du code de procédure pénale) qui fait partie du corps de la magistrature. Il est soumis aux dispositions de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. 

 

B - La procédure de la garde à vue soumise à des délais 

* Application de l’article 5 paragraphe 3 : « à le droit d’être jugée dans un délai raisonnable ou libérée pendant la procédure « : 

* Selon la CEDH le terme « raisonnable « s’applique au délai dans lequel une personne a le droit d’être jugée. 

* C’est donc en fonction de l’état de détention de la personne poursuivie que les tribunaux nationaux et la Cour européenne des droits de l’homme doivent apprécier si le délai écoulé, pour quelque cause que ce soit, avant jugement de l’accusé, a dépassé à un moment donné les limites raisonnables. 

* C’est-à-dire un délai qui, dans les circonstances de la cause, pouvait raisonnablement être infligé à une personne innocente : CEDH 27/06/1968 Wemhoff contre rfa. 

 

* La personne peut être libérée pendant la procédure : « ou libérée pendant la procédure « : 

* L’obligation de libérer une personne dans un délai raisonnable subsiste tant que l’accusé n’est pas jugé, c’est-à-dire jusqu’au jour du jugement qui intervient à l’issue du procès. 

* Cette libération doit lui être accordée « pendant la procédure « : cette période couvre aussi bien le procès qui se déroule devant la juridiction de jugement que pendant la procédure d’instruction. 

* La cour précise le terme final de la période de détention qui correspond au jugement fondé de l’accusation en premier ressort. CEDH 27/06/1968 Wemhoff contre RFA ou CEDH 28/03/1990 B / Autriche.

 

* Dans la législation française, la garde à vue est de 24 heures mais elle peut être prolongée : 

* Article 63 alinéa 2 du code de procédure pénale : « la personne gardée à vue ne peut être retenue plus de vingt-quatre heures. Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, sur autorisation écrite du procureur de la République. Ce magistrat peut subordonner cette autorisation à la présentation préalable de la personne gardée à vue «. 

* Cette prérogative a été reconnue par la chambre criminelle le 4 janvier 2006 : aucune disposition légale ne fait obstacle à ce que, dans le cadre d’une enquête de flagrance, la prolongation d’une mesure de garde à vue soit autorisée par le procureur de la République saisit des faits. 

 

* Dans cette espèce : 

* M. X a été placé en garde à vue le 22 septembre 2008 à 18H10. 

* Puis, cette mesure a été prolongée sur autorisation du procureur de la République à compter du 23 septembre à 18H10. 

* Elle a pris fin le même jour à 19H15 soit une durée de 25 heures et 5 minutes. 

* La procédure a donc bien été respectée, ce que reconnaît le Cour de Cassation : « le demandeur a été libéré à l’issue d’une durée compatible avec l’exigence de brièveté imposée par le dit texte conventionnel «. 

Au regard de la procédure, la solution ne peut pas être contestée puisque les autorités françaises ont bien respecté l’application de l’article 5 paragraphe 3 de le Convention Européenne des droits de l’homme. Cependant, le statut du ministère public français va à l’encontre de ce texte conventionnel. 

 

II- Cependant, Le statut du procureur de la République français étant incompatible avec les exigences européennes. 

Le statut du procureur de la République est incompatible avec les exigences européennes car il n’est pas une autorité au sens de l’article 5 paragraphe 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (A). Cette incompatibilité a été sanctionnée contre la France obligeant celle-ci à modifier sa législation (B). 

a- Le procureur de la République n’étant pas une autorité judiciaire au sens de l’article 5 paragraphe 3 de le CEDH 

 

* Au sens de l’article 5 paragraphe 3 de la Convention Européenne des droits de l’homme, la personne doit être traduite devant un juge ou un autre magistrat : 

* Ces professions doivent remplir des conditions qui sont des garanties pour la personne arrêtée. 

* Une différence importante subsiste entre ces deux catégories : l’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties. 

* Or, le contrôle judiciaire des atteintes portées par l’exécutif au droit à la liberté de l’individu constitue un élément essentiel de la garantie de l’article 5-3. 

* Pour qu’un magistrat puisse exercer « des fonctions judiciaires « au sens de cette disposition, il doit remplir certaines conditions offrant des garanties contre l’arbitraire ou la privation injustifiée de liberté pour la personne détenue : CEDH 28/10/1998 Assenov et a. contre Bulgarie. 

 

* Ces organes doivent faire preuve d’impartialité faisant ainsi référence à l’article 6 paragraphe 1 de la Convention Européenne des droits de l’homme 

* L’approche objective est privilégiée par la CEDH : cette démarche conduit à se demander si, indépendamment de la conduite du juge, certains faits véritables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier : CEDH 26/02/1993 PADANOVI CONTRE Italie. 

* S’il s’avère que le magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires peut intervenir à un stade subséquent à titre de représentant de l’autorité de poursuite, son impartialité peut inspirer des doutes à considérer comme étant objective : CEDH 26/11/1992 Brincat contre Italie. 

* Or le statut du procureur de la République français va à l’encontre de ce principe puisqu’il doit rechercher l’existence d’infractions et de décider de suites à donner. Mais lorsque les investigations menées ont permis de renvoyer l’auteur présumé d’une infraction devant la juridiction de jugement, le procureur de la République ou ses substituts représentent le ministère public. 

* On peut donc voir qu’il y a une atteinte à l’impartialité car le procureur de la République peut participer à la poursuite et au jugement. 

 

* La CEDH remet en cause l’indépendance du ministère public vis-à-vis de l’exécutif. 

* La CEDH exige que le magistrat doit être indépendant de l’exécutif et des parties. 

* Or le ministère public français doit mettre en œuvre la politique pénale du gouvernement : article 30 du code de procédure pénale « le ministre de la justice conduit la politique d’action publique déterminée par le gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. A cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales d’action publique «. 

* Le statut du procureur de la République est défini dans l’article 5 de l’ordonnance du 22/12/1958 : « les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des sceaux, ministre de la justice «. 

* Il est d’ailleurs nommé par décret en conseil des ministres par le Président de la République. 

 

La cour de Cassation remet en cause la décision de la Chambre de l’instruction qui n’a pas retenu que le ministère public était une autorité au sens de l’article 5 paragraphe 3 de la CEDH. La CEDH a d’ailleurs avertit et sanctionné la France à ce sujet. 

b- Cette incompatibilité entrainant des sanctions à l’encontre de la France 

 

* Dans un arrêt de la Grande chambre du 10/07/2008 MEDVEDYEV contre France, la Cour européenne des droits de l’homme remet en cause le statut du procureur de la république français 

* Selon la CEDH, les normes juridiques invoquées par le gouvernement français n’offrent pas une protection adéquate contre les atteintes arbitraires au droit à la liberté. 

* Les mesures prises en application de la loi du 15/07/1994 dans cet arrêt avaient été placées sous le contrôle du procureur de la république qui n’était pas une autorité judiciaire au sens de la jurisprudence européenne : CEDH 4/12/1979 Schiesser contre Suisse. 

* La Grande chambre ne tranche pas sur la question du statut du parquet mais adresse un avertissement au législateur : la privation de liberté doit être placée sous le contrôle d’un magistrat indépendant de l’exécutif et des parties. 

* De même le 29/03/2010, la Cour Européenne a considéré que le magistrat « au sens de l’article 5 de la convention doit présenter les garanties d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut qu’il puisse agir par la suite comme requérant dans la procédure pénale «. 

* Dans cet arrêt, il n’y a pas une condamnation très nette de la part de la Cour Européenne. 

 

* Mais, le 23/11/2010, dans un arrêt France contre Moulin, la CEDH condamne la France en reprenant la décision du 10/07/2008. 

* la Cour considère que, du fait de leur statut, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif, qui, selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de « magistrat « au sens de l'article 5 § 3. 

* la Cour rappelle que les garanties d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties excluent notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale. 

* Par conséquent, la Cour estime que le procureur adjoint de Toulouse, membre du ministère public, ne remplissait pas, au regard de l'article 5 § 3 de la Convention, les garanties d'indépendance exigées par la jurisprudence pour être qualifié, au sens de cette disposition, de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires «. 

 

* Ces décisions de la CEDH vont donc obliger la France à modifier sa législation. 

* La France a d’ailleurs comme projet de réformer la garde à vue. 

* La garde à vue devrait alors s’effectuer sous le contrôle du juge des détentions et des libertés ou à défaut le président du tribunal de grande instance. 

* Le procureur de la République n’interviendrait donc plus lors de la garde à vue, répondant ainsi aux exigences d’impartialité et d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif et des parties. 

* En effet, le juge des détentions et des libertés est un magistrat du siège qui est nommé par le conseil supérieur de la magistrature. Il est donc indépendant vis-à-vis du pouvoir exécutif car il a pour seule mission de rendre la justice. En principe, il n’a pas de lien avec le pouvoir exécutif.

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