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Comment s'effectua la prise du pouvoir à Paris

Publié le 17/01/2022

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19 août 1944 - René Courtin fut, en 1944, un des membres du comité de direction du Monde. Il fut à la Libération secrétaire général provisoire du ministère de l'économie nationale. Il a consigné au jour le jour sur un carnet les événements auxquels il a participé du 19 au 25 août 1944. Il était depuis longtemps prévu que les services publics seraient pris en charge par des personnalités résistantes désignées par le gouvernement d'Alger sur présentation de la délégation générale, alors dirigée par M. Parodi, et en accord avec le CNR. Depuis près d'une année, un travail minutieux de préparation avait été effectué. C'est le 18 août, dans l'après-midi, que, brusquement convoqués par M. Parodi, les secrétaires généraux provisoires désignés pour exercer les fonctions ministérielles en attendant l'arrivée du gouvernement apprennent qu'ils doivent être prêts à toute éventualité. Le 19 août au matin, la réunion hebdomadaire du comité de financement ( qui a trouvé sur place en sept mois 600 millions pour assurer le fonctionnement de la Résistance) s'est tenue normalement. Mais à la fin de la matinée, l'insurrection éclate. Les Allemands réagissent partout avec brutalité et ouvrent même le feu sur des passants. Les communications deviennent difficiles. Une réunion des secrétaires généraux économiques qui devait avoir lieu à 14 h 30 chez M. Vallé, quai d'Anjou, ne peut être tenue. A proximité la préfecture de police est violemment attaquée par les Allemands. Six à sept cents agents patriotes s'en sont emparés dans la matinée, avant même que l'ordre d'insurrection générale ait été lancé. Le drapeau tricolore qu'ils y ont hissé est - au coeur de Paris ! - le premier que l'on ait vu flotter sur la capitale depuis quatre ans. Au mépris de la prudence la plus élémentaire, les liaisons sont effectuées par téléphone. M. Courtin apprend ainsi par le canal de la délégation qu'il devra, avec M. Monick, désigné comme secrétaire général du ministère des finances, prendre contact le lendemain à 10 heures avec le Comité de Libération (CDL) du ministère des finances, dans l'annexe du ministère, rue de Rivoli. Dimanche 20 août.-Matinée calme. Beaucoup moins d'explosions. L'atmosphère de la réunion du CDL est sympathique. Le ministère est occupé par le CDL. Brunet, directeur du Trésor, secrétaire général intérimaire, qui a toujours été d'une parfaite correction, attend les ordres. Au retour, dans la rue du Bac, je suis arrêté par des Allemands descendus d'un camion, qui me fouillent et me tâtent. Impression désagréable, et surtout humiliante. Vers 14 h 30, j'apprends qu'un armistice a été signé. Les Allemands auraient capitulé. Les drapeaux sont mis partout aux fenêtres. Je descends, avenue de Lowendal, chez Olga Raffalovitch, collaboratrice de Parodi. Olga m'apprend que l'armistice a été négocié par le canal du consul général de Suède, Nordling, et adopté par le CNR le dimanche matin. Les clauses sont les suivantes : les Français gardent les bâtiments occupés par eux. Les prisonniers FFI seront traités en prisonniers de guerre. Les deux partis feront cesser le feu. Cet accord sauve la Préfecture de police et l'Hôtel de Ville qui n'avaient plus qu'une heure de feu. Il semble d'autant plus avantageux que le plupart des bâtiments sont occupés par nos comités de libération, et que nous sommes ainsi assurés de garder le pouvoir. Le risque d'une tentative pétainiste de la dernière heure semble vraiment écarté. Cependant, les secrétaires généraux ne doivent pas s'installer tout de suite. A la justice, le secrétaire général Willard avait pris possession de ses services dès hier matin. Quand l'ordre lui est parvenu, ce matin, de quitter le ministère, il avait sur son bureau deux revolvers et une mitraillette. Il était navré, mais a obéi. Olga m'apprend également que les communistes ont voté contre la trêve. A ce moment, une voiture munie d'un haut-parleur passe en bas, avenue de Tourville. Dans cette voiture, des Allemands et des gardiens de la paix français circulent en annonçant à la population l'accord conclu entre le général allemand d'une part, le gouvernement provisoire et le CNR d'autre part. Je quitte Olga pour aller travailler avec Léonard Rist. L'entretien se prolonge. A 17 h 30, je téléphone à Monick, chez lequel je devrais être depuis 17 heures. Monick m'interpelle joyeusement, en disant qu'il cherche à me joindre depuis le début de l'après-midi. Parodi a, en effet, décidé la prise immédiate des ministères. Le CDL est prêt. Il me faut arriver dans une demi-heure. Ma tenue est par trop négligée. Il me faut emprunter à Rist une chemise, une cravate, un complet veston. Tout voltige dans la chambre, dans un affairement indescriptible ! J'enfourche mon vélo, et, à 18 h 5, je suis devant la statue de Gambetta. Calvet est déjà là. Arrivée de Bloch-Lainé puis de Monick. Le ministère est prêt pour nous accueillir. Nous entrons dans la loge de gauche avec le Comité de libération, qui s'impatiente depuis le début de l'après-midi. Le porche d'entrée est refermé. Bon sourire des huissiers qui nous attendaient, nous disent-ils, depuis longtemps. Dans la cour, le personnel du ministère forme la haie à droite et à gauche. Dans le fond, les directeurs. Nous nous avançons, côte à côte, précédés du CDL. Au milieu de la cour, nous nous immobilisons au garde-à-vous pendant que le drapeau est hissé sur l'hôtel du ministre. Nous montons les degrés : le CDL s'installe à notre droite. Couette, du CDL, commis révoqué par Vichy, nous souhaite la bienvenue. Deux brèves allocutions de Monick et de moi. La cérémonie est terminée, le CDL nous demande de dîner et de coucher au ministère. Les FFI et le CDL resteront eux aussi. A 19 h 30, nous allons dîner à la popote avec le CDL, Sergent, Bloch-Lainé et Calvet. Dîner inattendu et exceptionnel, avec deux vins et du champagne, des prises de guerre, paraît-il ! Mais à 20 h 30, on me remet un mot de Gaillard, que je décachette et qui me donne un coup terrible : Parodi, Roland Pré et Laffon ont été arrêtés en auto cet après-midi même. Ils n'avaient pas de papiers et n'ont pu justifier de ce qu'ils faisaient. Par le consul de Suède, on espère arriver à les libérer. J'arrive à maîtriser mon émotion et glisse le papier à Monick, qui demeure lui aussi impassible. Notre inquiétude est extrême : le mouvement risque d'être décapité en un instant décisif. Nous nous réunissons après le dîner dans le cabinet du ministre des finances. Coup de téléphone à Gaillard. Pas de réponse. Brusquement, Gaillard surgit et nous donne des nouvelles plus précises. Parodi a été arrêté en allant de chez Saint-Phalle à la réunion générale du CNR. C'est Lacoste qui, avec la collaboration de Gaillard, prend la direction des services et remplace Parodi. Lacoste n'est pas encore rentré dans son ministère. Par contre, Miné et Samson se sont installés dès samedi. Gaillard téléphone à son bureau où il apprend la libération de Parodi, mais nous avons besoin de confirmation. Bloch-Lainé téléphone à son ami Saint-Phalle. Parodi nous répond lui-même à l'appareil. Il nous parle longuement. Lui aussi a cru qu'il était perdu. Il a tenu tête aux officiers allemands en déclarant qu'il était le chef de la Résistance, et qu'il passait l'inspection pour vérifier si la trêve était bien respectée. Rassuré, je vais me coucher dans la somptueuse chambre du ministère. Quel changement ! Hier, un errant dans Paris... Lundi 21 août.-Des explosions et des coups de feu pendant la nuit. Les Allemands sont toujours là. Prévenu la veille, Berbigier prend son service. Mes trois autres collaborateurs, prévenus par des moyens divers, arriveront au cours de la journée. Je prends la direction des services. Une cérémonie au monument aux morts est prévue pour 11 heures. Beaucoup de monde. Foule très recueillie. Les clairons sonnent. Minute de silence. Une gerbe de fleurs est apportée. Je prononce quelques mots. Marseillaise. Mardi 22 août .-Petit déjeuner. Les premiers journaux de la France libérée. Voici Combat, Libération, Franc-Tireur transformés en quotidiens de format normal. Nombreuses visites. Celle du cher Bizot qui vient m'embrasser. Notre ami est dans l'euphorie. Il commande des FFI à la mairie du XVIIe, et c'est avec bonne humeur qu'il m'expose que le chef des FFI pour Paris, Rol, le remplaçant de Lefaucheux, a continué la bataille malgré l'ordre de trêve. Coup de téléphone de Piette, qui m'annonce la rupture de la trêve par le Comité parisien de libération (CPL) et nous demande de prendre des mesures de sécurité pour le personnel. Transmis immédiatement à Monick. Deux coups de téléphone d'une imprudence folle m'annoncent que le premier conseil des secrétaires généraux se tiendra à l'hôtel Matignon à 14 heures. Déjeuner rapide. Nous prenons nos vélos biens démocratiquement, Monick et moi, accompagnés de Berbigier et Bloch-Lainé. Aucune difficulté de circulation. Rues mortes. Grosse impression à l'arrivée : gardiens de la paix et gardes mobiles en grande tenue, mitraillettes, les grands salons ..., le merveilleux parce que je ne connaissais pas encore. Pasteur Vallery-Radot revient à la légalité et s'est coupé la moustache. Closon, retour d'Angleterre, est à nouveau parmi nous. Les secrétaires généraux arrivent successivement à pied, à vélo, en auto. Laffon me raconte la tragique arrestation de Parodi, de Pré et de lui-même, samedi après-midi. Emmenés menottes aux mains, ils ont failli être fusillés. Leur libération a été obtenue six heures après l'arrestation. Arrivée de Parodi. Nous entrons en séance. Le délégué général nous fait l'historique de la trêve. Les arguments contre : le glorieux passé parisien et son capital moral de résistance que nous ne pouvons abandonner les hommes préparés depuis des années ne pouvait non plus admettre de laisser, l'arme au pied, l'ennemi s'en aller librement. Cependant, devant la situation critique de la préfecture de police, dont les occupants n'avaient plus que pour une heure de munitions, on accepta une suspension locale des combats de trois quarts d'heure proposée par les Allemands, qui demandèrent ensuite la généralisation de cet accord. Trêve d'abord acceptée en séance du CNR, dimanche matin, puis critiquée l'après-midi. Après une discussion animée, la décision finale est prise : la trêve sera rompue mardi à 17 heures. C'est à ce moment que seraient apposées les affiches ordonnant la reprise du combat. On nous demandait en conséquence de prendre des mesures de sécurité : nous ne devons pas occuper nous-mêmes les ministères de façon permanente en tout cas, n'y pas coucher. Guignebert nous apprend que la presse a été lâchée hier par la Délégation et par l'Information, mais que le poste de radio n'émettra pas de nouvelles politiques pour éviter des mesures de représailles de la part des occupants. Chaban, parti pour Londres il y a moins de quinze jours et qui vient de revenir, nous communique les intentions de Koenig. Notre occupation doit être intermittente et occulte. Il y a trois jours, il paraissait vraisemblable que Paris ne serait délivré que dans deux semaines. Depuis, la situation s'est améliorée. Peut-être les alliés pourront-ils être à Paris mercredi ou jeudi. Chaban a parlé avec autorité et précision, et se retire immédiatement après son exposé. Parodi me donne l'ordre exprès de ne pas coucher au ministère. Consigne inexécutable, car après les manifestations spectaculaires de dimanche et lundi, notre départ prendrait l'allure d'une fuite. Monick le pense comme moi. Nous resterons donc dans la place, mais il est entendu que le ministère, indéfendable, ne conservera que les forces minima. Longue soirée sur la terrasse. Les perspectives me paraissent sombres : après tant d'imprudences et la parution des journaux qui font état de la prise de possession des ministères, ne serons-nous pas attaqués dans la nuit ? Rien pour nous défendre, mais nous ne pouvons partir. Très généreusement, le CDL nous indique qu'il a trouvé un lieu où cacher éventuellement les deux secrétaires généraux, dont il se sent responsable. Priés par moi de retourner chez eux, les membres de mon cabinet s'y refusent. Le soir, des tanks allemands s'installent derrière le Carroussel. Situation peu confortable. Nuit calme, malgré les coups amortis des pièces lourdes qui ébranlent les vieilles pierres du Louvre. Mercredi 23 août.-Dans les journaux, compte-rendu de notre premier conseil des ministres. L'Humanité attaque violemment Nordling, qualifié de neutre germanophile. Gardellini, que pour ses qualités morales et son patriotisme j'ai désigné comme membre de mon cabinet, où il représentera le personnel administratif, vient s'excuser de ne pouvoir entrer provisoirement au cabinet : chef des FFI du ministère, il commandera un groupe de volontaires qui participeront au combat des barricades. Nous passons en revue ces volontaires, Monick et moi : vingt-cinq étaient demandés : cent cinquante se sont présentés! Courte et belle allocution de Monick. A déjeuner, de Boissieu nous donne quelques nouvelles du monde extérieur, d'autant plus intéressantes que nous menons au ministère une vie conventuelle. Contrairement au bruit qui circule dans Paris et donne Maranne comme préfet de la Seine, Flouret a été installé dans la matinée. Dans l'après-midi, importante discussion sur les salaires des cheminots. Le travail commence...

« Nous nous avançons, côte à côte, précédés du CDL.

Au milieu de la cour, nous nous immobilisons au garde-à-vous pendantque le drapeau est hissé sur l'hôtel du ministre. Nous montons les degrés : le CDL s'installe à notre droite.

Couette, du CDL, commis révoqué par Vichy, nous souhaite labienvenue.

Deux brèves allocutions de Monick et de moi.

La cérémonie est terminée, le CDL nous demande de dîner et decoucher au ministère.

Les FFI et le CDL resteront eux aussi. A 19 h 30, nous allons dîner à la popote avec le CDL, Sergent, Bloch-Lainé et Calvet.

Dîner inattendu et exceptionnel, avecdeux vins et du champagne, des prises de guerre, paraît-il ! Mais à 20 h 30, on me remet un mot de Gaillard, que je décachetteet qui me donne un coup terrible : Parodi, Roland Pré et Laffon ont été arrêtés en auto cet après-midi même.

Ils n'avaient pas depapiers et n'ont pu justifier de ce qu'ils faisaient.

Par le consul de Suède, on espère arriver à les libérer.

J'arrive à maîtriser monémotion et glisse le papier à Monick, qui demeure lui aussi impassible. Notre inquiétude est extrême : le mouvement risque d'être décapité en un instant décisif. Nous nous réunissons après le dîner dans le cabinet du ministre des finances.

Coup de téléphone à Gaillard.

Pas de réponse.Brusquement, Gaillard surgit et nous donne des nouvelles plus précises.

Parodi a été arrêté en allant de chez Saint-Phalle à laréunion générale du CNR.

C'est Lacoste qui, avec la collaboration de Gaillard, prend la direction des services et remplaceParodi.

Lacoste n'est pas encore rentré dans son ministère.

Par contre, Miné et Samson se sont installés dès samedi. Gaillard téléphone à son bureau où il apprend la libération de Parodi, mais nous avons besoin de confirmation. Bloch-Lainé téléphone à son ami Saint-Phalle.

Parodi nous répond lui-même à l'appareil.

Il nous parle longuement.

Lui aussi acru qu'il était perdu.

Il a tenu tête aux officiers allemands en déclarant qu'il était le chef de la Résistance, et qu'il passait l'inspectionpour vérifier si la trêve était bien respectée. Rassuré, je vais me coucher dans la somptueuse chambre du ministère.

Quel changement ! Hier, un errant dans Paris... Lundi 21 août.-Des explosions et des coups de feu pendant la nuit.

Les Allemands sont toujours là. Prévenu la veille, Berbigier prend son service.

Mes trois autres collaborateurs, prévenus par des moyens divers, arriveront aucours de la journée.

Je prends la direction des services. Une cérémonie au monument aux morts est prévue pour 11 heures.

Beaucoup de monde.

Foule très recueillie.

Les claironssonnent.

Minute de silence.

Une gerbe de fleurs est apportée. Je prononce quelques mots.

Marseillaise. Mardi 22 août .-Petit déjeuner.

Les premiers journaux de la France libérée.

Voici Combat, Libération, Franc-Tireurtransformés en quotidiens de format normal. Nombreuses visites.

Celle du cher Bizot qui vient m'embrasser.

Notre ami est dans l'euphorie.

Il commande des FFI à la mairiedu XVIIe, et c'est avec bonne humeur qu'il m'expose que le chef des FFI pour Paris, Rol, le remplaçant de Lefaucheux, acontinué la bataille malgré l'ordre de trêve. Coup de téléphone de Piette, qui m'annonce la rupture de la trêve par le Comité parisien de libération (CPL) et nous demandede prendre des mesures de sécurité pour le personnel. Transmis immédiatement à Monick. Deux coups de téléphone d'une imprudence folle m'annoncent que le premier conseil des secrétaires généraux se tiendra àl'hôtel Matignon à 14 heures. Déjeuner rapide.

Nous prenons nos vélos biens démocratiquement, Monick et moi, accompagnés de Berbigier et Bloch-Lainé.Aucune difficulté de circulation.

Rues mortes. Grosse impression à l'arrivée : gardiens de la paix et gardes mobiles en grande tenue, mitraillettes, les grands salons ..., lemerveilleux parce que je ne connaissais pas encore. Pasteur Vallery-Radot revient à la légalité et s'est coupé la moustache.

Closon, retour d'Angleterre, est à nouveau parmi nous.. »

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