Comment le peuple philippin a chassé Estrada
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
comptes fictifs.
Peu après sa prise de fonctions, Gloria Macapagal-Arroyo a déclaré que son prédécesseur disposait égalementde comptes dits « avions » dont les numéros sont 747, 737 et 727 pour les Boeing, et 300 et 301 pour les Airbus.
Estradaprocédait à des opérations en ne citant que le numéro du compte.
Ces informations, a-t-elle ajouté au cours d'une conférence depresse le 25 janvier, se trouvent dans la fameuse « enveloppe » dont onze sénateurs sur vingt et un ont refusé l'examen le 16janvier, provoquant un profond choc dans l'opinion, la démission des procureurs et du président du Sénat, l'ajournement duprocès et, dans la foulée, les manifestations qui devaient emporter Estrada.
« People power 2 », ont proclamé les médias, les tee-shirts, l'élite politique et les prélats de la puissante Eglise chrétienne.
Lecardinal Jaime Sin, les anciens présidents Fidel Ramos et Cory Aquino ont aussitôt rajeuni de quinze ans : ils étaient aux premiersrangs en 1986 lorsque l'armée a fini par rejoindre des centaines de milliers de manifestants pour chasser de la présidencel'autocrate Ferdinand Marcos et son épouse Imelda, la dame aux milliers de souliers.
Cory, la « dame en jaune », avait même étél'icône de « People Power I ».
TOUT ce beau monde se retrouve le 18 janvier dans le centre de Manille.
L' establishment philippin tient sa revanche à l'égarddu parvenu qui lui a volé la présidence en se proclamant « l'avocat des pauvres ».
Le « texting » a rassemblé cols blancs, bonnessoeurs, familles des classes moyennes et militants de gauche.
C'est la fête.
La tension, si sensible en 1986, n'apparaît pas, la fouleest moins nombreuse.
Il s'agit de vider Estrada l'escroc et non un dictateur, comme ce fut le cas avec Marcos.
Et de le faire, sipossible, selon les règles.
Mais l'armée, qui avait renversé la vapeur quinze ans auparavant en se retournant contre Marcos, ne semanifeste pas.
Le chef d'état-major général, Angelo Reyes, ne rejoindra le podium que le lendemain, entouré des autres généraux.
Onévoquera plus tard un complot militaire : des commandants d'unités auraient menacé Reyes de rejoindre la foule si lui-même ne lefaisait pas.
Mais rien n'est venu confirmer cette assertion.
En fait, Reyes sait que la situation peut tourner au vinaigre.
Dans la maind'Estrada, le chef contesté de la police, le général Lacson, doit être rapidement placé devant un fait accompli.
Reyes et ses pairsfinissent par rejoindre le million de gens massés dans le centre de Manille le 20 janvier.
Le lendemain matin, comme Estradarefuse toujours de démissionner, la Cour suprême déclare à l'unanimité la présidence vacante et Gloria Macapagal-Arroyo prêteserment devant la foule.
Aucun blindé n'est apparu dans les rues, aucun affrontement sérieux n'a eu lieu.
La course de vitesse aété gagnée contre le clan Estrada.
Mais pourquoi a-t-il fallu un deuxième « pouvoir du peuple » ? Les hôtes de la soirée au cours de laquelle Chavit Singsonraconte ses exploits au mah-jong sont des gens âgés, plutôt riches, qui se sont battus contre Marcos avant de le faire contreEstrada.
Chavit est le « héros » du moment.
Dans la salle à manger climatisée, Satur Ocampo, journaliste et ancien communiste,raconte ses neuf ans de prison sous le régime de la loi martiale de Marcos.
« J'en ai refait trois années sous Aquino et Ramos »,ajoute-t-il.
Une autre vedette ne passe pas inaperçue : Jockey Arroyo, sans relation avec la nouvelle présidente et procureur enchef lors du procès d'Estrada.
Personne ne s'évite dans une assemblée où se mêlent chefs de gang, défenseurs des droits del'homme, politiciens véreux, dames de la haute société et anciens prisonniers politiques.
Comme en 1986, la société civile ne sefait guère d'illusions.
« Félicitations Madame Gloria » ; « Libérez tous les prisonniers politiques » ; « L'islam est la paix.
» A Maharlika, communautémusulmane de trente mille âmes, des écoliers tendent leurs banderoles au pied d'une estrade installée dans la cour d'une mosquéeinachevée, faute de financement.
La nomination de Gloria Macapagal-Arroyo a réveillé l'espoir chez les musulmans desPhilippines, qui forment un peu moins de 10 % de la population, regroupés, pour l'essentiel, dans le sud de l'archipel.
Pour lapremière fois depuis 1965, un musulman est membre du cabinet.
Mme Arroyo a promis des négociations.
Une jeune mère dedeux enfants réclame la libération de son époux, un policier arrêté sans preuves, dit-elle, après des attentats commis en mai 2000.
Organisatrice du meeting, l'Assemblée multi-sectorielle de Maharlika, « village » absorbé par l'interminable banlieue de Manille,réclame un dialogue « tangible » avec le Front Moro islamique de libération (FMIL), contre lequel Estrada a relancé lesopérations militaires en mai dernier, avec un succès au moins initial, puisque la plupart des camps du FMIL ont été occupés parl'armée.
« Nous ne réclamons qu'une sorte de semi-autonomie », résume Danny Natangcop, un ingénieur de Maharlika qui atravaillé pendant des années à l'étranger et qui, faute de trouver un emploi à son retour, s'est reconverti dans de petites affaires.
Tout en approuvant le chef de l'Etat, le président démissionnaire du Sénat, Aquilino Pimentel, lui-même originaire de Mindanao,se demande comment s'y prendre.
« Le général Reyes ne veut pas d'une reprise des négociations, probablement parce qu'ilpense avoir pris le dessus sur le terrain.
» Les plus pauvres parmi les pauvres, les musulmans ne sont pas au bout de leurs peines :les militaires excluent de leur rendre leurs camps et, de toute façon, Manille n'entend guère leur lointaine complainte.
« Le seul qui se préoccupait de notre sort », disent encore des petites gens de Joseph Estrada.
Même le déballage, dont le.
»
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