Boris Eltsine Au gouvernail d'un navire en folie
Publié le 17/01/2022
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Tchernomyrdine.
Il fut "encadré " par deux hommes dont la sourde rivalité occupa la deuxième partie du règne eltsinien : AnatoliTchoubaïs, grand maître des milieux bancaires et commerciaux, et Oleg Soskovets, défenseur des exportateurs de métaux et ducomplexe militaro-industriel.
Quand M.
Tchoubaïs obtint, in extremis, le renvoi de ses rivaux (dont Alexandre Korjakov, gardedu corps, compagnon de beuverie et conseiller du président), un autre "contrepoids" - le général Alexandre Lebed - futtemporairement mis en selle.
La fille cadette du chef de l'Etat, Tatiana Diatchenko, joua à cet égard un rôle déterminant, en contrebalançant auprès de sonpère l'influence d'Alexandre Korjakov.
Mais, pour la plupart des analystes, Boris Eltsine était, avant tout, un homme de pouvoir,capable de s'adapter aux circonstances, c'est- à-dire de changer au gré des humeurs du pays (selon ses partisans), ou de cellesdu dernier courtisan à l'avoir approché (selon ses adversaires).
L'apparatchik modèle, devenu un insurgé populiste quand déferlala grande vague démocratique, s'enferma au Kremlin dès que la population manifesta des signes de mécontentement face auchaos.
Le président s'entoura alors de personnages avec lesquels il se sentait en phase, mais dont aucun (qu'il s'agisse de M.Bourboulis, M.
Korjakov, M.
Poltoranine, M.
Lobov ou M.
Gratchev) n'a laissé une forte impression.
LE "CERCLE INTÉRIEUR"
Tous avaient partagé, avant l'opération du président en novembre 1996, des moments de détente arrosée avec BorisNikolaïevitch, au tennis ou au sauna, ce qui en faisait des membres du "cercle intérieur" - ceux qui pouvaient, comme l'a racontéson ancien porte- parole Viatcheslav Kostikov, en profiter pour faire signer un oukase, "dénoncer un rival ou présenter des amisqui n'auraient jamais dû être mis en présence du président".
C'est- à-dire des personnages liés directement au monde du crimeorganisé, comme cela s'est avéré pour plusieurs de ses proches.
Ces "liaisons dangereuses" ne passaient d'ailleurs pas que par un seul clan.
La criminalité, élément de pouvoir incontournabledans un pays dont les structures légales se sont effondrées avec le parti totalitaire qui les commandait, découle, en effet, de laliberté donnée aux "forces du marché".
Cette dernière, au lieu de permettre une sélection d'entreprises performantes, a favorisécelles qui, grâce à des liens avec le pouvoir, parvenaient à ignorer les lois, éviter les impôts et placer leurs bénéfices à l'étranger.
Le mérite de Boris Eltsine aura finalement été de laisser les oscillations politiques perdre de leur ampleur au fil des ans.
Lesprogrammes économiques des permanents du Kremlin et des opposants se sont rapprochés, leurs débats ont commencé à avoirun sens et à influer sur les décisions prises.
En définitive, l'homme n'a pas changé durant sa carrière - ainsi qu'il a voulu le suggérer par sa plaisanterie sur les chars T 72,eux aussi invariables.
Les "métamorphoses" du personnage, ses "multiples facettes" répondent surtout aux besoinsd'autojustification de ses premiers laudateurs trop enthousiastes ; comme à ceux de ses partenaires occidentaux qui l'ontencouragé à commettre ce qui lui sera le plus reproché dans son pays : le dégel irréfléchi de l'économie en 1992 et tous lesdéploiements ultérieurs de chars T 72.
Washington avait, en effet, donné sa bénédiction, plus ou moins discrète, à Boris Eltsineavant l'attaque du Parlement et avant l'entrée des troupes russes en Tchétchénie.
Il reste aux dirigeants étrangers, comme aux Russes, à affiner les jugements qu'ils portent sur eux-mêmes autant que sur BorisEltsine - un homme que les circonstances ont amené à prendre de grandes décisions avec des moyens d'analyse inexistants.
Il futle "révolutionnaire anticommuniste" et, surtout, le décolonisateur malgré lui qui coupa la Russie de son empire, mais aussi le"restaurateur" qui permit aux élites communistes de rester en selle et de faire bombarder, deux ans durant, un petit peuple qui neles menaçait pas.
Alors qu'il aurait voulu être pour la Russie ce que Lech Walesa et Alexandre Kwasniewski furent ensemblepour la Pologne, Leonid Kravtchouk et Leonid Koutchma pour l'Ukraine ou Vytautas Landsbergis et Algirdas Brazauskas pourla Lituanie, Boris Eltsine mérite d'échapper aux jugements sommaires.
SOPHIE SHIHAB Le Monde du 3 janvier 2000
CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés.
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